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René Vietto, acclamé par les supporteurs à son arrivée au col de Braus, le 15 juillet 1934 lors du Tour de France. Photo AFP
Julien Camy, auteur du documentaire «le Roi mélancolique, la légende de René Vietto», revient sur ce cycliste dont le sacrifice au profit d'Antonin Magne pendant le Tour 1934 contribua grandement à sa popularité.
Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales. Comment le social explique le sport, et inversement.
C’est de Nice, que, le 27 juin, devait démarrer le Tour de France 2020, non loin du col de Braus où reposent les cendres de René Vietto, qui marqua cette grandement l’histoire du vélo et de cette compétition. Il est à ce titre l’objet d’un documentaire réalisé par le journaliste Julien Camy, le Roi mélancolique, la légende de René Vietto. A travers ce superbe film qui restitue la vie de celui qui porta 26 fois le maillot jaune sans jamais remporter le Tour, Julien Camy, coauteur, entre autres, du totémique ouvrage Sport et Cinéma, nous présente aussi une figure sportive populaire dont le talent et le travail nous invitent repenser la notion d’effort.
Quelles raisons vous ont poussé à réaliser un film sur René Vietto ?
Dans le cadre de l’ouvrage Sport et cinéma, coécrit avec mon père [l’historien du cinéma Gérard Camy, ndlr], je me suis occupé du chapitre sur vélo et je me suis donc intéressé à toute la filmographie consacrée à ce sport. J’ai remarqué que contrairement à d’autres disciplines, il y avait très peu de biopics, ce qui m’a poussé à rechercher des cyclistes dont le parcours de vie pouvait faire l’objet d’une adaptation. C’est là que je suis tombé sur René Vietto. Un nom qui résonna dans ma tête puisque, étant originaire du Cannet-Rocheville, j’avais participé plus jeune au challenge René Vietto, sans véritablement me rendre compte de son importance. Par la suite, j’ai eu la chance de croiser le journaliste anglais Max Leonard, qui a écrit un article sur lui et m’a conseillé de rencontrer René Bertrand, personnage incroyable, ami de René Vietto, et qui aurait conservé le petit orteil du cycliste, telle une relique. J’y suis allé avec ma caméra, et au fil des échanges, des rencontres et des recherches, j’ai réalisé ce documentaire. Notamment en essayant de mettre en avant cette similitude que je pouvais trouver entre le cyclisme et un genre cinématographique comme le western.
Quelles ont été les difficultés ?
Le financement. C’est souvent assez compliqué de financer un tel projet lorsque ce n’est pas une commande préalable d’un média. Même si j’ai monté un crowdfunding et trouvé des financements via des partenaires privés et des collectivités territoriales, il est toujours plus dur de faire valoir un projet auprès des instances intellectuelles et culturelles du cinéma, lorsque vous y adjoignez le mot sport. Car bien qu’en démontrant que de nombreux grands réalisateurs avaient travaillé sur ce thème, il subsiste encore dans le monde culturel beaucoup d’a priori sur ce sujet, loin d’être perçu comme un objet noble.
Pourquoi avoir intitulé votre film le Roi mélancolique, la légende de René Vietto ?
René Vietto était déjà surnommé le Roi René grâce à l’écrivain Louis Nucéra. C’est au cours d’une discussion avec l’ancien cycliste, devenu auteur, Olivier Haralambon, dans laquelle il évoquait la notion de mélancolie à propos des ressorts psychologiques des sportifs, que j’ai trouvé cette image intéressante et particulièrement significative concernant René Vietto. Ses proches et coéquipiers ont toujours dépeint un cycliste doté d’une grande abnégation et d’une rigueur incommensurable. Il faisait preuve d’un sens inimaginable du sacrifice, il était prêt à mourir pour ce sport. On se demande même s’il avait une réelle volonté de gagner, si cela l’aurait véritablement rendu heureux de remporter le Tour. En réalité, je pense que l’acte sportif, cet acte de dépassement, était plus important pour lui que le prestige qu’il pouvait en tirer. Et il dégageait de cette mélancolie une véritable force. Et en faisant un parallèle avec le monde artistique, on peut dire que le parcours de René Vietto montre que la mélancolie peut être aussi au cœur de l’effort sportif, comme elle est souvent au fondement de la création artistique.
Vous évoquiez le sens du sacrifice, et c’est ce qui l’a rendu célèbre durant le Tour 1934, lorsqu’il fait demi-tour durant une étape pour céder son vélo au leader de son équipe, Antonin Magne, dont la machine est cassée. Cet acte n’est-il pas au fond la démonstration que le cyclisme est avant tout un sport collectif ?
On dit du cyclisme que «c’est un sport individuel qui se court par équipes», et, par ce sacrifice, Vietto s’inscrit pleinement dans cette caractéristique du vélo. Il ne fait pas autre chose que ce qu’il aurait dû faire. Après, beaucoup pensent aussi qu’à ce moment il était aussi très en retard au classement, et qu’Antonin Magne avait quant à lui encore de grandes chances de gagner le Tour [ce qu’il fit]. Mais cet exemple d’altruisme, d’action pour le collectif, nous montre aussi que le cyclisme, de par les sacrifices potentiels, est essentiellement un sport qui crée des héros. Notamment avec un récit que l’on peut écrire autour, des images que l’on peut produire. Je pense ici à cette célèbre photo, où l’on voit Vietto en larmes au bord de la route après avoir donné son vélo. La narration est véritablement importante dans le cyclisme, et si la question de l’équipe est importante dans la pratique du vélo, la question du héros reste souvent la plus fascinante et attrayante.
Dans votre documentaire, vous revenez grandement sur le travail intime et minutieux de René Vietto pour améliorer son équipement. Cela fait écho aux travaux du philosophe français Gilbert Simondon, et plus particulièrement à cette idée de «marge d’indétermination» qui nous apprend que l’amélioration technique est toujours le résultat d’une relation pratique entre l’homme et la machine. Peut-on dire que René Vietto s’inscrit dans cette démarche ?
Il démontrait à la fois un grand sérieux dans son hygiène de vie et une hyperactivité – il dormait très peu par exemple. Au-delà de son ascèse corporelle dévouée au vélo, il faut dire que René Vietto était obsédé par l’objet vélo, et sur les éléments qui pouvaient le rendre plus performant. Ainsi, en repensant le cintre du vélo pour gagner en vitesse lors des descentes ou en étant le premier à fixer le bidon sur le cadre, son objectif était d’allier le plus possible le vélo au corps humain. Mais inversement, il essayait aussi d’adapter son corps à la machine. Par exemple, il avait les doigts de pieds totalement abîmés, car il portait dans un souci esthétique des chaussures plus petites que sa pointure initiale. A vrai dire pour René Vietto, l’élégance était le signe d’un effort physique accompli, d’une symbiose parfaite avec le vélo. A ses yeux, un coureur performant était obligatoirement un coureur élégant.
En tant que journaliste spécialisé et cinéaste, pensez-vous que le cyclisme est un objet particulier pour le cinéma ?
Le cyclisme a une narration et une temporalité particulières. Tout d’abord, le temps cycliste est long avec des moments très variés, parfois très intenses et parfois très lents. Ce qui permet de développer cette notion d’empathie lorsque l’on filme le spectacle sportif. Lors d’une épreuve cycliste, on a le temps de décomposer les instants, de jouer avec les valeurs de plan, tout n’est pas immédiat. Tout un langage visuel peut se déployer autour d’une course cycliste que l’on ne retrouve pas dans d’autres sports. Et le cyclisme, c’est aussi un décor, des paysages divers qui donnent différentes valeurs à l’action, participant d’autant plus à la construction d’une épopée. Ce sport existe par son récit, ce qui est déjà en soi une singularité et une similitude avec le cinéma.
Le film de Julien Camy sera projeté ce dimanche à Beaulieu-sur-Mer. D’autres dates sont prévues dans différents festivals à la rentrée.
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