En région parisienne et particulièrement en Seine-Saint-Denis, des patients souffrant de troubles psychiques ne trouvent pas de lits d’hospitalisation, explique le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie.
Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, analyse les conséquences de la période de confinement pour la filière psychiatrique.
Les Français vont-ils plus mal après presque deux mois de confinement ?
De la souffrance psychique est née dans la population générale confinée et les besoins de soins ont globalement augmenté. Le baromètre de Santé publique France et l’enquête Coclico conduite par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé en donnent une photographie assez intéressante, avec une augmentation des symptômes dépressifs, des symptômes anxieux, des addictions, et dans une moindre mesure des idées suicidaires, même si le Centre national de coordination des centres VigilanS n’a pas indiqué à ce jour de recrudescence de tentatives de suicide. Il y a également eu des renoncements aux soins pendant cette période. On récupère des patients qui n’ont pas eu des prises en charge optimales.
De nombreux professionnels décrivent une hausse du nombre de patients en psychiatrie depuis la fin du confinement. Partagez-vous ce constat d’une « deuxième vague » qui serait psychiatrique ?
Les filières psychiatriques étaient sous forte tension même avant cette crise. Elles le sont encore plus maintenant, ça me paraît évident. Mais la situation est très hétérogène selon les territoires et les établissements. Depuis la fin du confinement, nous avons constaté un accroissement important de l’activité des urgences psychiatriques en Ile-de-France, où la situation est très difficile, mais aussi en Auvergne-Rhône-Alpes, une partie des Pays-de-la-Loire et la Nouvelle Aquitaine. En région parisienne, et particulièrement en Seine-Saint-Denis, des patients ne trouvent pas de lit d’hospitalisation alors qu’ils en ont besoin. En revanche, d’autres territoires, comme l’Occitanie, le Centre-Val de Loire, les Hauts-de-France ou la Martinique ne nous ont pas particulièrement alertés à ce stade.
Comment expliquer cet accroissement de l’activité ?
Il y a peut-être, un peu plus que d’habitude, des primo-décompensations psychiatriques. Ces nouveaux cas, dont on ne peut pas encore mesurer la proportion, sont difficiles à interpréter. On peut convoquer les facteurs de stress psychosociaux qui sont liés au déconfinement et la précarité économique et sociale croissante, phénomènes qui toucheraient plus particulièrement les femmes, les personnes avec maladie chronique, celles bénéficiant d’un faible soutien social ou vivant dans des logements sur-occupés, et celles dont la situation financière s’est dégradée. Des études en cours suggèrent même que le SARS CoV-2 – un virus qui a un tropisme pour le système nerveux –, pourrait jouer un rôle de révélateur de vulnérabilités pathologiques psychiatriques.
Combien de patients suivis en psychiatrie ont été « perdus de vue » pendant le confinement ?
Comme dans les autres spécialités médicales, il y a eu des phénomènes de renoncement aux soins. S’agissant de la psychiatrie, la cellule de crise « Covid-santé mentale » évalue à 10 % les « perdus de vue ». Ce chiffre ne m’étonne pas, et peut être interprété de deux façons. D’un côté, 10 % c’est énorme, cela représente des milliers de personnes. De l’autre, vu l’ampleur de la réorganisation de l’offre de soins en très peu de temps, grâce à la mobilisation exemplaire des équipes de terrain, ce n’est pas beaucoup.
Comment le fonctionnement de la psychiatrie a-t-il été affecté par le confinement ?
Il y a eu un bouleversement des modes de prise en charge. Les dispositifs de soins se sont adaptés à marche forcée. L’activité des hôpitaux de jour a été interrompue ou réorganisée. Les dispositifs de suivi ambulatoire et l’organisation des unités d’hospitalisation ont eux aussi été revus en profondeur, avec la mise en place de chambres seules et la création d’unité dédiées aux patients porteurs du Covid-19. Les visites des proches et les permissions ont été brusquement interdites. Beaucoup de patients ont préféré sortir et être suivis en ambulatoire intensif. La coopération public-privé sur le territoire s’est renforcée.
Mais on a réussi à mettre en place en quelques semaines des choses qu’on n’avait pas réussi à installer depuis des années. On a assisté au développement de la télémédecine, des plates-formes d’écoutes et d’orientation, et des visites à domicile, parfois intensives.
Ces initiatives ont-elles vocation à être pérennisées ?
Le bilan est hétérogène. Certains patients n’ont pas réussi à s’adapter à ces dispositifs parce que ces changements sont assez profonds par rapport à leurs habitudes. A contrario, certaines initiatives ont été saluées par les familles et les patients, qui ont trouvé cette manière de maintenir le contact assez efficace et rassurante. Nous allons faire le recensement de ce qui s’est passé sur le terrain. Certaines de ces initiatives pourront bénéficier des financements liés au « fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie », en voie de lancement pour la deuxième année d’affilée.
Que répondez-vous à ceux qui disent que la psychiatrie manque de lits et de personnels soignants pour faire face à cette « deuxième vague » ?
Une des difficultés, c’est que l’ensemble des acteurs – notamment ceux du secteur médico-social – n’ont pas tous redémarré à la même vitesse, donc les parcours tardent à retrouver leur fluidité. Des lits sont toujours fermés parce que nous n’avons pas le personnel nécessaire pour les rouvrir, certains soignants étant encore en arrêt, d’autres en vacances (bien méritées) ou redéployés sur les dispositifs ambulatoires. Une première bouffée d’oxygène a toutefois été apportée par l’autorisation de rouvrir les chambres à plusieurs.
Le manque de lits était déjà un problème avant le confinement…
On est contraint par le manque de soignants, le manque de médecins et un capacitaire d’hospitalisation relativement confortable à certains endroits mais très tendu à d’autres. Notre stratégie, c’est de mettre en place des mesures à effet immédiat, donc de soutenir les dispositifs ambulatoires contribuant à réduire le recours à l’hospitalisation. De ce point de vue-là, ce qui est né pendant la crise en termes d’ambulatoire intensif est intéressant à pérenniser.
Entendez-vous la colère qui gronde parmi les soignants en psychiatrie ?
Je sais leur sentiment d’abandon. J’ai vu dans la presse des communications tout à fait catastrophistes sur l’état de la psychiatrie. Nous n’avons pas attendu la crise liée au Covid-19 pour savoir que ce secteur était en grande difficulté, on a de nombreux rapports ces quinze dernières années qui l’ont documenté. Mais j’ai aussi des témoignages qui saluent l’engagement inédit en 2017 d’Agnès Buzyn dans ce secteur et je sais que son successeur Olivier Véran est animé de la même volonté et entend poursuivre et intensifier le mouvement de réforme. Il n’y avait pas eu d’engagement aussi clair en faveur de la psychiatrie et de la santé mentale depuis plusieurs décennies, par aucun gouvernement, alors que c’est une priorité de santé publique. Là, on a une feuille de route complète (« Santé mentale et psychiatrie », fixée en 2018), et des investissements inédits, qui pourraient être accélérés par les leçons tirées de l’épisode Covid pour notre système de santé.
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