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jeudi 23 juillet 2020

Quels enjeux pour réformer la psychiatrie d'aujourd'hui ?

Le dernier rapport d’information sur l’organisation de la santé mentale dresse le constat d’une psychiatrie au bord de l’implosion. En effet, la psychiatrie est en souffrance! En revanche, nous réagissons vivement aux propositions faites pour la soigner. La psychiatrie publique de secteur garde toute sa pertinence et peut encore être efficiente, à condition de lui en donner les moyens.
Quels enjeux pour réformer la psychiatrie d’aujourd’hui ?
Un collectif de soignants réagit au rapport établi par deux parlementaires en septembre dernier

« On juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses marges, ses fous et ses déviants »
Lucien Bonnafé, Désaliéner ? Folie(s) et société(s), 1991.

Le rapport d’information sur l’organisation de la santé mentale (Septembre 2019), présidé par M. Brahim Hammouche et réalisé par Mme. Caroline Fiat (aide-soignante de métier et député de La France Insoumise, LFI, Meurthe-et-Moselle) et Mme. Martine Wonner (médecin psychiatre et députée La République en Marche, LREM, Bas-Rhin) dresse le constat sans appel d’une psychiatrie au bord de l’implosion.
Les causes de cette crise, nous disent les rapporteurs, sont multifactorielles et largement partagées avec celles de tout le système de santé : inégale répartition des moyens, désertification médicale, difficultés d’assurer la continuité et la gradation des soins, engorgement des urgences, cloisonnement entre la ville et l’hôpital, cloisonnement entre les disciplines (le somatique et la psychiatrie). À ces éléments s’ajoute une « … organisation territoriale peu efficiente, extrêmement complexe, illisible et à bien des égards peu cohérents et peu ou mal coordonnée par la puissance publique » (p.7).
Nous, professionnels du secteur psychiatrique rejoignons pour beaucoup le constat des parlementaires: la psychiatrie est en souffrance. En revanche, nous réagissons vivement aux propositions faites pour la soigner et aux causes incriminées. Les propositions sont à l’opposé de ce qu’il faudrait faire, car OUI ! La psychiatrie publique de secteur garde toute sa place et peut encore être efficiente quand on lui donne suffisamment de moyens.

L’organisation territoriale pointée ici est une politique de soin qui permet la prise en charge des patients en psychiatrie depuis 1960, appelée « psychiatrie de secteur ». Rappelons-nous comment est né ce bel outil. Héritage de l’après-guerre, le « secteur » a été conçu pour accueillir toute demande de soins psychiques, quel qu’en soit la nature, dans une volonté de déstigmatisation et d’accès aux soins pour tous. Le mot « secteur » renvoie à une aire géographique déterminée comprenant entre 70.000 et 90.000 habitants, assurant ainsi l’existence « par secteur » d’un certain nombre de lits d’hospitalisation mais aussi de consultations et d’accueil en structures extra-hospitalières du type Centre Médico-psychologiques (CMP), Centres d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel (CATTP), Hôpitaux de jour et Hôpitaux de nuits... Cette conception du soin en psychiatrie s’est construite, à juste titre, pour contrer l’hospitalo-centrisme des années 50 quand l’enfermement était la règle. Elle est née du mouvement politique qui a transformé la psychiatrie asilaire en une psychiatrie « plus humaine » et ancrée dans la cité. Le « secteur », ce n’est pas simplement une aire géographique mais surtout une conception du soin inscrite dans le territoire, un contenu et non seulement un contenant. Si demain, vous ou l’un de vos proches nécessite d’avoir accès à des soins en psychiatrie (consultations, hospitalisations, accompagnement, etc.) vous devriez trouver une structure de soin à proximité de votre lieu de vie. Car l’inclusion et la proximité des centres de soins sont parmi les fondements de la psychiatrie de secteur.Le travail concret du secteur c’est aussi la prévention et le dépistage des pathologies psychiques ainsi que l’accompagnement à une meilleure insertion sociale des patients suivis et la coordination entre les différents acteurs de santé.
Le rapport des parlementaires n’est pas dupe du fait qu’à l’heure actuelle « (…) le « secteur » se retrouve alors contraint de tout faire, sans en avoir les moyens » (p 26) et dénonce par là même « un échec » (p. 43) de cette psychiatrie de proximité, se demandant si « l’hôpital psychiatrique, tel qu’il existe aujourd’hui en France, peut[-ilencore soigner les malades ? » (p. 27)
Nous souhaitons donc vous présenter comment nous travaillons avec cet outil de « soins » à part entière qu’est la psychiatrie de secteur, et ainsi, dans un message d’alerte et d’espoir, en défendre l’intérêt et la pertinence pour justement répondre à la continuité, la gradation des soins, le désengorgement des urgences, le décloisonnement ville/ hôpital.
Nous travaillons au Centre Hospitalier Public Valvert, à Marseille. Il n’est pas question d’une psychiatrie hors normes, ni exemplaire mais d’une pratique clinique qui s’oppose au recours à la contention physique. L’absence de sangles est en relation avec la philosophie du soin développée dans la psychothérapie institutionnelle qui fait partie intégrante du contexte de création de ce lieu. Inauguré en 1975, alors que la circulaire du 15 mars 1960 se met progressivement en place et que le secteur s’impose comme principe organisateur de soins, cet hôpital fait son entrée sur la scène marseillaise en prônant l’ouverture des pavillons d’hospitalisation, l’absence de contention et de chambres d’isolement. L’idée initiale était celle d’un hôpital aux portes des pavillons ouvertes et donc ouvert sur la Cité et articulé à une psychiatrie ambulatoire, car la fermeture des pavillons ne pouvait que redoubler l’enfermement de la folie, et à ce titre, ne pouvait constituer une réponse.
Le Centre Hospitalier est aujourd’hui organisé en 3 pôles cliniques : un pôle de psychiatrie générale composé de quatre secteurs pour 350 000 habitants, un pôle de psychiatrie de la personne âgée et un pôle de psychiatrie infanto-juvénile composé de deux inter-secteurs et d’un service d’évaluation et de soins de l’autisme. La première chambre d’isolement a été conçue il y a 35 ans et peu à peu les quatre secteurs de psychiatrie adultes se sont dotés de deux chambres d’isolement. Mais les unités sont restées ouvertes et l’interdiction de la contention physique est inscrite dans le projet d’établissement. Toutefois, pour maintenir cet environnement de travail qui consiste en l’ouverture des unités de soin, l’absence totale de contention physique et la participation active de la sociothérapie, un vrai travail collectif est nécessaire, avec un personnel suffisamment nombreux, bien formé et organisé autour d’une éthique de la reconnaissance des singularités (p16 avant-propos) et d’une conception commune du soin construite à partir du secteur de rattachement. Pas de soins humains sans Hommes !
Rappelons qu’en parallèle, d’autres actions au sein de l’hôpital contribuent à améliorer la prise en charge des usagers grâce, entre autres, au soutien de la vie associative au sein de l’établissement, ou encore, à l’existence de plusieurs lieux d’échange interprofessionnels sur les enjeux de nos pratiques actuelles, parmi lesquels figure, notamment, le groupe de réflexion éthique. Car innover n’est-ce pas d’abord refuser la contention et minimiser l’enfermement, accompagner voire favoriser la libre circulation des patients ? Mais beaucoup reste à faire encore et à apprendre, pour soutenir au quotidien auprès des patients que nous recevons, la vision d’une psychiatrie plus humaniste. Évidemment tout ceci est conditionné également par une gestion collective de nos outils de soins avec une gouvernance soignante forte au sein de l'organisation hospitalière. Nous essayons donc d’exercer une psychiatrie créative et dans une analyse permanente de ses pratiques. D’ailleurs, le rapport le souligne et nous acceptons l’invitation à « […] aller beaucoup plus loin et à réfléchir aux forces et aux faiblesses de l’organisation des soins psychiatriques […] » (p. 33), à partir de notre pratique quotidienne.
La continuité des soins est portée par l’équipe de secteur qui veille à la bonne circulation des patients d’un lieu à l’autre. La gradation des soins repose sur la pluridisciplinarité des équipes et la variété d’offre de soins (lits d’hospitalisation, CMP, CATTP, hôpital de jour…). Cette variété d’offre de soins, dans sa gradation, permet justement d’éviter un engorgement de l’hôpital et assure la permanence de lits disponibles garant du désencombrement rapide des urgences. Seuls des soins dans la cité à proximité du lieu de vie, principe de base du secteur, sont à même de décloisonner ville et hôpital. Arrêtons de dire que nous sommes en retard : ce n’est pas le secteur qui est le problème mais bien son manque de moyens. La solution est davantage un mode de financement adapté et s’insérant dans une politique publique de santé psychiatrique nationale claire avec un rappel des missions de service public.
Reprenons 3 points critiques du rapport désignant l’organisation actuelle des soins psychiatriques comme source d’inégalité, d’hospitalocentrisme et manquant d’efficience.
« Les inégalités »
A l’heure où il est acquis que 20% de la population aura recours aux soins psychiques, que les besoins croissent sans cesse, que les accidents de parcours de vie se multiplient (chômage, séparation, migration), et que les liens familiaux se relâchent, n’assurant plus le rôle de contenant, comment un dispositif de soin qui prône la proximité, la continuité et l’accès aux soins pour tous dans sa mission de service public, peut-il être remis en cause, et considéré comme inégalitaire ?
Il est peut-être nécessaire de revenir sur les inégalités produites par deux éléments contradictoires : l’accroissement des demandes de la part des usagers (adultes et enfants) et des familles est accompagné d’une demande, elle aussi croissante, de réduction des effectifs ou d’absence de renforcement suffisant des équipes soignantes, voire, de mutualisation des moyens. Ainsi, la disparition des lieux de soin de proximité au profit des grands ensembles -souvent sous dotés en relation à l’aire géographique qu’ils couvrent- sont de véritables vecteurs d’inégalités dans l’accès et la continuité des soins. Certains de ces choix, pensés en dehors des contextes locaux, peuvent expliquer les listes d’attentes à rallonge, des CMP « saturés » (selon les mots du rapport), les discontinuités dans l’articulation des prises en charge…
Par ailleurs, les nouvelles modalités de financement des hôpitaux public basées presque exclusivement sur des réponses à des appels à projets dits « innovants » peuvent s’avérer problématiques. Alors qu’ils ont pour objectif de répondre à des problèmes ciblés et des « demandes nouvelles » de la société ; quand ces projets sont pensés en dehors du dispositif de soin sectoriel, ils peuvent aussi participer à son démantèlement, demandant aux équipes des réorganisations constantes qui empêchent tout travail de continuité. De plus, ce type de projets « fléchés », dont les budgets sont rarement pérennes, vient lieu et place de dotations plus durables et globales des établissements de santé pour du soin quotidien et inscrit dans la temporalité du soin psychique.
« L’hospitalocentrisme »
Certains ne voient la psychiatrie que comme une machine à fabriquer de l’hospitalisation. Rectifions cet a priori : en 2018, 87%1 des patients suivis par le dispositif du secteur n’ont été suivis qu’en ambulatoire.
Contrairement à ce qui est décrit dans le rapport, le soin psychiatrique de secteur est conçu pour favoriser, in fine, la « restauration de l’autonomie » des patients. A ce propos, c’est la juste articulation entre lieu de soins ambulatoire et lieu d’hospitalisation qui concoure à la mise en place d’effets thérapeutiques durables chez les patients et à leur insertion sociale.
Il reste cependant nécessaire de conserver, non seulement, un nombre suffisant de lits mais aussi, une équipe suffisamment dotée pour assurer tant l’accueil que le réinvestissement du domicile. En effet, pour que les patients hospitalisés puissent réintégrer la cité après des périodes de crises, l’expérience nous a montré qu’il est indispensable que l’institution conserve son rôle d’accueil et d’accompagnement vers la resocialisation. Quand pour pouvoir réinvestir son « chez soi » on a besoin des autres, dès lors comment inventer des modalités « d’hospitalisations séquentielles » pour aider à penser les mouvements entre le dedans et le dehors de l’hôpital sans faire appel à des passages à l’acte de plus en plus graves ? Il faut avoir un lieu où aller, où l’on est attendu, où la dimension relationnelle est valorisée et où le rôle déterminant de la subjectivité est affirmé. Ainsi, il est possible de circuler avec les patients dans les lieux de soins pour assurer une continuité qui n’est pas que « géographique » mais surtout relationnelle.
« L’efficience »
C’est à la psychiatrie publique qu’incombe de prendre en charge les populations les plus fragilisées socialement et psychiquement qui ne génèrent aucun profit. Par ailleurs, le soin relationnel est difficilement mesurable et protocolisable. Comment mesurer la qualité du temps passé par les soignants pour accompagner un patient faire des courses ou dans tout autre acte de la vie quotidienne, afin qu’il se sente suffisamment soutenu dans son retour à domicile ? Comment encore évaluer l’« efficience » d’un thérapeute qui accompagne le « passage » entre lieu de soin et monde extérieur, par sa présence parfois nécessaire dans un trajet de transport en commun ou bien en intervenant auprès de l’équipe enseignante d’une école dont le patient dépend ? Dit autrement, comment « bricoler » dans la relation de soin, dans un ajustement constant entre activités thérapeutiques collectives et accompagnement individualisé, afin d’être au plus proche de « l’efficience » clinique et non économique court-termiste?
Un malentendu, sur la nature même de notre travail, a semble-t-il produit un glissement du problème. Celui-ci ne tient pas, selon nous, aux fondations théoriques et organisationnelles de la psychiatrie de secteur, mais au fait de demander toujours plus à la psychiatrie avec toujours moins de moyens. Depuis plusieurs années, nous assistons, en effet, à une logique financière et gestionnaire de démantèlement de la psychiatrie publique de secteur, tant, dans son organisation que dans l’approche de la souffrance psychique et du soin qui la sous-tend, valorisant un diagnostic rapide et oubliant la nécessité d’un accompagnement et suivi régulier. Quel patient sera plus avancé avec un diagnostic sans soins ?
De même, une attention toute particulière doit être portée vers la place de « palliatif » et l’amalgame que prend le secteur privé dans ce débat, avide d’activités lucratives aux résultats rapides et mesurables (mais pérennes ?).
Notre pratique actuelle est la preuve que, plus que jamais, l’organisation territoriale de la santé mentale de « secteur » est non seulement adaptée, mais nécessaire, en revalorisant ses fondements tout en considérant les évolutions qu’elle a connues. La psychiatrie de secteur a grâce à son maillage territorial, sa réactivité, son inventivité et sa collégialité collaborative prouvé son efficacité face la crise sanitaire du Covid19. Depuis des années maintenant, l’hôpital public est régi par une logique de management entrepreneurial où l’équilibre des comptes prime sur la qualité des soins. Restriction de personnel, restructuration, réorganisation, la psychiatrie publique n’échappe pas à la règle. Parallèlement, toujours plus de missions nous sont demandées : explosion des procédures administratives, élargissement des missions (dépistage précoce…), des publics (personnes migrantes, suivis judiciaires, …), etc… Comment répondre sans moyens humains adéquats ? Comment soutenir le paradigme qui est au cœur de notre travail : la continuité des soins relationnels ? Alors que les patients sont envisagés d’abord comme un « fardeau humain » (p7 avant-propos) et l’hôpital comme un coût.
La crise sanitaire engendrée par le Covid-19 a depuis montré à tous l’importance d’un service public de santé de qualité, hors logique marchande. A la lumière de cette crise, préserver une psychiatrie publique solide et ouverte pour faire face aux enjeux de l’avenir se révèle d’autant plus fondamental. Nous lançons aujourd’hui un appel pour redonner force et vigueur à la psychiatrie de secteur en cessant les attaques à son encontre ainsi qu’en la dotant des moyens qu’elle requière pour accomplir ses missions. Nous rejoignons le constat amer d’une psychiatrie tiraillée par des demandes contradictoires et qui dispose de très peu d’options en termes d’insertion des patients en dehors des murs de l’hôpital. Des mesures sont nécessaires mais elles doivent s’appuyer sur un panel d’expériences de soins plus large qui rendent compte, dans la complexité, des aspects pertinents et innovants de la politique de secteur, comme de ceux qui nécessitent encore, d’être collectivement repensés.
Rappelons les mots de Jean Oury « soigner les malades sans soigner l’hôpital c’est de la folie ».
Collectif de l’Hôpital Valvert.
Agence Technique de l’Information sur l’Hospitalisation.

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