Olivier Véran, Jean Castex et Nicole Notat, à Matignon le 13 juillet.
Photo Hamilton.Abaca
Après six semaines de concertation, Olivier Véran a dévoilé mardi une trentaine de propositions visant à transformer en profondeur le système de santé. Les soignants saluent un changement de discours mais attendent du concret.
Le Ségur de la santé s’achève en demi-teinte. Après la signature des accords sur la revalorisation des salaires et des carrières, conclue la semaine dernière et accueillie de manière mitigée par les syndicats et les collectifs médicaux, le ministre Olivier Véran a dévoilé mardi une série de 33 mesures destinées à «accélérer, dans tous les domaines, la transformation de notre système de santé».
Incarnations concrètes des trois autres chantiers de ce Ségur coordonnés par l’ex-responsable de la CFDT Nicole Notat (investissement, gouvernance, organisation territoriale), ces annonces sont loin d’être rejetées par les organisations syndicales, mais enthousiasment à des degrés divers, suivant les espoirs investis dans leur mise en application. «Dans ces déclarations, on s’y retrouve. Le discours du ministre était comme du miel dans nos oreilles, même si on attend de voir des actions tangibles», explique Anne Gervais, porte-parole du collectif Inter-Hôpitaux (CIH), plutôt satisfaite du dénouement. «Les intentions sont bonnes mais elles seront homéopathiques car les moyens financiers sont insuffisants. On va faire des petits pas alors qu’il est urgent de faire des pas de géants», critique de son côté la secrétaire générale de la CGT santé, Mireille Stivala. «Je note un changement notoire de discours politique. Maintenant, j’attends de voir les transformations sur le terrain», résume Grégory Leduc, délégué FO et technicien labo au CHU d’Amiens, qualifiant lui-même sa réaction de «mi-figue, mi-raisin».
«Trop mince»
Après six semaines de concertation (et non de négociations), qu’est-ce que le ministre de la Santé a finalement choisi d’acter pour ces «trois autres piliers» ? Une enveloppe budgétaire, d’abord. Jugée «trop mince» pour certains, mais «qui a le mérite d’exister» pour d’autres. Promise à hauteur de 6 milliards d’euros par le Premier ministre Jean Castex lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, la somme a été réitérée par Olivier Véran, qui a précisé sa répartition : ainsi, 2,1 milliards seront consacrés aux établissements médico-sociaux («au moins un quart des places en Ehpad pourront être rénovées», a-t-il indiqué), 2,5 milliards d’euros seront par ailleurs engagés dans les «projets hospitaliers prioritaires et des investissements ville-hôpital» et 1,4 milliard d’euros seront destinés à «rattraper le retard sur le numérique en santé». Ce financement vient s’ajouter aux 13 milliards d’euros de reprise de la dette hospitalière et aux 8,1 milliards prévus pour les accords salariaux. Pour rappel, ces accords signés le 13 juillet ont abouti à une hausse de salaire de 183 euros mensuels pour tous les personnels hospitaliers et des Ehpad, qu’ils soient paramédicaux (infirmiers, aides-soignants) ou non médicaux (techniciens, agents administratifs). Lors de cette première étape du Ségur, 200 millions d’euros avaient par ailleurs été débloqués pour les internes et 450 millions pour les médecins hospitaliers, afin d’augmenter les fiches de paie des plus jeunes et des plus anciens (et donc de valoriser les débuts et les fins de carrière).
Parmi les autres mesures notables, le ministre a révélé la création d’un système de «4 000 lits à la demande». Financés par un budget de 50 millions à partir de cet hiver, ces lits doivent pouvoir être ouverts en fonction des besoins et «permettre aux établissements de s’adapter à la suractivité saisonnière ou épidémique», a-t-il expliqué. «4 000 lits, c’est vraiment pas assez pour fluidifier les services ou pour prévenir les aléas en cas d’épidémie, analyse Grégory Leduc de FO. Pourtant, j’ai envie de saluer l’inflexion en la matière, car cela fait des années qu’on nous ferme des lits, qu’on nous parle d’économies. Le ministre a compris que cette vision des soins n’était pas la bonne et que nous étions allés trop loin.» Selon les derniers chiffres officiels de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), environ 4 200 lits d’hospitalisation avaient été supprimés rien que pour l’année 2018.
«Course au volume»
Outre cette problématique capacitaire, Olivier Véran a déclaré vouloir mettre fin «au mercenariat» et «aux abus» de l’intérim médical, en bloquant «toute rémunération qui va au-delà du plafond réglementaire». Mais il a surtout indiqué qu’il souhaitait «accélérer la réduction de la part de la T2A» dans le financement des hôpitaux, appelée communément «tarification à l’activité». Instaurée en 2004, la T2A rémunère les établissements en fonction des actes médicaux qu’ils réalisent. Cette tarification est vivement critiquée pour entraîner une «course au volume» et favoriser les activités rémunératrices (les interventions chirurgicales, par exemple) au détriment des missions plus sommaires mais essentielles au service public. Le ministre entend «expérimenter un modèle mixte de financement des activités hospitalières» pour amoindrir l’ascendant de la T2A dans le mode de financement.
Autres projets présentés : la «lutte contre les inégalités de santé» dotée de 100 millions d’euros «pour aller vers les plus exclus» - sans qu’on sache encore quel sera le rôle exact des médecins de ville, qui doivent encore négocier avec le ministre à la rentrée (lire ci-contre) -, la «transition écologique» à l’hôpital et dans les structures médico-sociales (le ministre dit vouloir dès 2021 «réduire les coûts de gestion des déchets et le gâchis alimentaire» et «mettre fin au plastique à usage unique»), «l’autonomie plus large» accordée aux équipes de soignants au sein de leur établissement (qui devrait faire l’objet de «mesures législatives» dans les mois à venir), «le développement de la télésanté» partout et pour tous, la prise en charge médicale «minimale et garantie» des personnes en perte d’autonomie… Pour un bon nombre de ces mesures, ni le calendrier, ni le financement, ni le mode d’emploi pratique ne sont encore fixés. «La clé de la réussite du Ségur réside dans l’exécution des décisions. Ce n’est pas le plus facile et le plus assuré», a tenu à souligner Nicole Notat. Olivier Véran, lui, s’est voulu rassurant : «Ce n’est pas la dernière ligne du Ségur, mais c’est une ligne nouvelle, qui devra désormais vivre pour être pleinement concrétisée […]. Le temps n’est plus à l’incantation mais à la mise en œuvre.» Le monde de la santé n’attend que ça.
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