- 21 JUIL. 2020
- PAR PAUL MACHTO
- ÉDITION : CONTES DE LA FOLIE ORDINAIRE
LA science est -elle vraiment pro-psychiatrie ? Un parallèle, osé (?), entre les pratiques d'influence et de lobby des industriels des biotechnologies et la médicalisation de la psychiatrie sous influence des laboratoires pharmaceutiques, et d'une certaine science appliquée à la psychiatrie. Le cerveau, le cerveau, le cerveau... après le poumon, le poumon, le poumon.
L’analyse de la situation dramatique de la psychiatrie, publié sous la plume de Catherine Vincent dans le journal Le Monde daté du 18 juillet 2020, La très grande souffrance de la psychiatrie française m’est apparue particulièrement pertinente, équilibrée, tranchant quelque peu avec une certaine ligne idéologique du Cahier Sciences et médecine du quotidien, plutôt largement complaisante avec les neurosciences.
La chronique parue dans ce journal les 19 et 20 juillet 2020 a attiré mon attention. Stéphane Foucart y publie un texte sous la rubrique Planète, avec un titre au bel écho pour le psychiatre que je fus voilà encore peu de temps, « La science » est-elle vraiment pro-OGM ?
C’est avec quelque gourmandise que j’ai envie de le paraphraser : La science est-elle vraiment pro-psychiatrie ?
Stéphane Foucart y expose les capacités des industriels à influencer le débat autour de la question des avancées biotechnologiques. Mais surtout il y présente – y compris pour battre sa coulpe, ou manger son chapeau, comme il le déclare humblement-, comment le temps a démontré la tromperie des industriels à propos de l’utilisation du coton transgénique Bt pour soi-disant augmenter les rendements de production, la baisse du recours aux pesticides. Ces lobbys s’appuyant sur des études scientifiques et des publications d’experts scientifiques ont permis le développement des recours de plus en plus en plus massifs aux produits issus des biotechnologies. Recours aussi aux pressions diverses par des pseudo-groupes indépendants ou des études d’experts comme nous l’avons récemment appris au niveau de la commission européenne à propos du maïs transgénique.
Stéphane Foucart rappelle que « dans les années 1990, lors du lancement des premières cultures transgénique, l’autorité de la parole scientifique a été largement convoquée, auprès de l’opinion, pour faire de la pédagogie » afin que toute la société, toutes les sociétés de la planète, mondialisation galopante en cours, en bénéficient, … mais aussi afin que les industriels, les laboratoires et les grands trusts biotechnologiques puissent amplifier leurs profits.
C’est là que mon esprit a été titillé. Même si comparaison n’est pas raison, ce sont dans ces mêmes années, début 90 que les neurosciences et les laboratoires pharmaceutiques ont déployé les vertus de l’approche médicalisante car scientifique en psychiatrie, avec les « immenses découvertes de la génétique » avec tous les travaux sur le génome. Mon ironie n’est certes là pas pour dénigrer les avancées des neurosciences, de la génétique qui ont effectué des avancées spectaculaires et novatrices pour la recherche.
Je veux plutôt dire ici quelles ont été les conséquences terribles de ces arguments scientifiques au niveau de l’opinion mais aussi des pouvoirs publics qui se sont succédés, au niveau des formations universitaires des psychiatres, des psychologues, des infirmiers, mais aussi et surtout au niveau des pratiques soignantes en psychiatrie, et d’abord au niveau des personnes malades et de leur entourage, des familles.
A la poubelle, l’approche relationnelle, les apports de la psychopathologie, les approches et analyses institutionnelles et au pilori l’horrible psychanalyse et les psychanalystes (mots à bannir y compris par les praticiens eux-mêmes qui n’osent plus les prononcer, par honte ? par tactique ?), affublés de toutes les caricatures habituelles, plus assoiffés de profit, de gain au détriment des malades et de leurs familles, Les sciences humaines et sociales n’ont de science que le nom, elles sont là pour faire de l’intellectualisme et n’ont aucune efficacité.
Efficacité, évaluation, sont d’ailleurs devenus l’alpha et l’oméga des pratiques soignantes et … des discours managériaux, qui n’ont pas été que des discours : ils sont devenus des injonctions, des obligations pervertissant ainsi le fonctionnement des hôpitaux. Ce fut, et c’est toujours actuellement, par exemple avec ces procédures d’accréditation, de certifications des établissements hospitaliers « recommandées » par la Haute Autorité de Santé, mais rendus obligatoires par les Agences Régionales de Santé et le ministère de la santé, procédures ; cela s’est traduit très concrètement par des temps infinis en réunions bureaucratiques, inutiles, stériles, quand parallèlement… de nombreux chefs de service supprimaient dans les services les réunions institutionnelles dites de synthèse, au cours desquelles les soignants pouvaient échanger et réfléchir ensemble à propos des démarches thérapeutiques, de l’histoire et de la pathologie de tel ou tel patient… synthèses remplacées pour des staffs médicaux, au cours desquels c’est le médecin-psychiatre qui énonce son diagnostic et la conduite à tenir.
Et voilà comment la bureaucratie et le médical ont pris le pas et … le pouvoir sur le soin, sur la thérapeutique, parfois même avec le laisser-faire, la complaisance, la complicité même de nombre de psychiatres.
Les mouvements actuels de soignants, les grèves – y compris de la faim !!!-, dans les hôpitaux psychiatriques, mais aussi dans l’ensemble des hôpitaux généraux et universitaires, le Collectif des 39 « Quelle hospitalité pour la folie ? », à partir de décembre 2008, puis le Printemps de la Psychiatrie, depuis janvier 2019, témoignent de ce rejet de cette bureaucratie administrative insupportable et de cette dégradation si ce n’est régression des soins (retour de l’isolement et de la contention que l’on croyait disparus avec les asiles des années 50-60).
Ainsi donc avec cette mise à l’encan des approches relationnelles et psychopathologiques, ce sont imposés les vertus de la science biologique et des thérapeutiques médicamenteuses et neuro-comportementales. Avec la fascination pour ces découvertes scientifiques, abondamment relayées par la plupart des médias, y compris le Monde…, des initiatives ont vu le jour, largement soutenues par des intérêts privés, et des laboratoires pharmaceutiques, telle la Fondation FondaMental, très largement soutenue par les ministres de la santé et les secrétaires d’État aux handicapés., qui se sont succédés, UMP, RPR, PS, notamment Marie-Anne Monchamp, (UMP).Cette fondation aux financements très conséquents, l’Oréal et autres groupes philanthropiques, affirme la primauté et les vertus du diagnostic et la mise en place de centres experts.
Et revoilà les fameux experts, les sachants, les grands « mani-tout » ?
Alors vertu du diagnostic ? bien évidemment puisqu’à chaque trouble – exit la maladie- il y a une molécule ! un bon médicament ! Comme si, tromperie majestueuse, on avait découvert le médicament pour « guérir » de la schizophrénie, de la paranoïa, de la psychose maniaco-dépressive. Mais attendez la guérison ce sera pour bientôt avec les avancées sur les gênes…mais pour plus tard !
Comme s’il suffisait de faire un diagnostic pour s’engager dans un traitement relationnel, psychothérapique, entreprendre et organiser une démarche thérapeutique au long cours, dans la durée.
Mais je pense que le « confort » du diagnostic, si doctement annoncé au malade et à sa famille, permet à certains psychiatres d’éviter de se « coltiner » ce cheminement pendant des années parfois, avec une personne malade, avec sa famille. Le « confort » du diagnostic posé permet à ce type de psychiatre de ne pas se confronter véritablement à la folie, à l’angoisse psychotique, à la douleur d’exister. Un diagnostic, et hop un traitement médicamenteux, neuroleptique, -« antipsychotique » comme l’ont judicieusement inventé les laboratoires pharmaceutiques-, un antidépresseur, un anxiolytique… et à dans un mois , voire même à dans trois mois !
Un diagnostic permet de faire un gain de temps, et donc d’efficacité, car pour prescrire un psychotrope cela ne prend qu’un quart d’heure maximum et pour la visite suivante on peut faire plus court… Vous comprenez comme il y a pénurie de psychiatres … on ne peut pas consacrer trop de temps à chaque malade, et puis les écouter …
Et voilà comment les « jeunes psychiatres » formés depuis les années 90 sont « redevenus » de bons médecins, car la psychiatrie c’est de la médecine, et d’ailleurs ce fut une grave erreur de la séparer de la neurologie en 1968, car tout de même soyons sérieux les maladies mentales ce sont des maladies du cerveau.
En ce qui concerne les centres experts, je terminerai mon propos avec un exemple vécu, un exemple très concret de pratique psychiatrique.
J’ai reçu à mon cabinet pendant plusieurs années – jusqu’à ma cessation d’activité- un jeune homme de 25 ans. Il était malade depuis l’âge de 18 ans, il avait dû faire plusieurs séjours en milieu hospitalier.
Il a accepté ma proposition d’une démarche psychothérapique hebdomadaire et de prendre un traitement psychotrope. Car si je critique de façon parfois virulente les pratiques de certains confrères qui se réfugient derrière les traitements médicamenteux, je ne suis aucunement opposé aux médicaments. Ils sont efficaces pour atténuer les souffrances psychiques, les envahissements délirants, les angoisses majeures, aider à retrouver une vie moins tourmentée. Mais ils ne peuvent remplacer une écoute et un engagement dans la relation, le transfert.
Je recevais donc, appelons - le Félix, depuis trois ans, étonné moi-même de sa régularité aux séances et dans son suivi médicamenteux, certes parfois pas trop rigoureux, de son engagement même, dans un « travail » de réflexion et d’analyse. Un jour Félix m’annonce qu’il ne peut pas venir à sa prochaine séance car il a un rendez-vous à la même heure dans un centre expert, … à 30 km de chez lui. Je suis étonné : c’est ma mère qui a entendu un psychiatre à la radio, et elle a pris un rendez-vous pour moi. Étonnement doublé de quelque agacement car depuis le début de mon travail avec lui, j’avais été attentif à recevoir les parents, et j’avais assez régulièrement au téléphone la mère qui était venu même parfois me voir avec Félix pour me dire que ça n’allait pas du tout. Là, je n’en ai pas du tout été informé par la mère.
Donc consultation au centre expert, reçu par un psychiatre qui le voit 20 minutes. Apparemment aucune investigation de son parcours de soins depuis toutes ces années. Aucune interrogation sur l’histoire vécu par Félix, ni par rapport au contexte familial. Il est vrai qu’en 20 minutes … Il prescrit un ensemble de tests psychologiques et une évaluation comportementale. Et de le revoir … dans un an !
Je reçois quelques semaines plus tard un imposant document d’une douzaine de pages, avec une conclusion diagnostique et un « programme thérapeutique » que je me dois de poursuivre !!!
Le diagnostic est totalement à côté de la plaque de mon point de vue : il est diagnostiqué schizophrène. Il faut dire que c’est un centre expert … de la schizophrénie ! Or comme nous le savons tous en psychiatrie, trois psychiatres, trois diagnostics différents. Je me suis donc « fendu » d’un rapport séméiologique détaillé sur l’état psychopathologique, l’histoire personnelle et le contexte familial de Félix que j’ai envoyé au psychiatre du centre expert. Celui-ci m’a remercié sans remettre en cause son diagnostic, certainement très scientifique. Comme programme de soins, il m’était conseillé de doubler la dose de neuroleptique, voire même la tripler s’il n’avait pas assez d’efficacité… J’ai dû quant à moi consacrer régulièrement de nombreux moments pour apaiser l’impact sur Félix lui-même ainsi que sur sa mère de l’annonce d’un tel diagnostic, avec toutes les connotations négatives et anxiogènes que cette «sentence » induit.
« Le poumon vous dis-je ! ». Molière, Le Médecin malgré lui, Acte III.
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