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vendredi 24 juillet 2020

Le volet psychiatrie du Ségur de la santé soulève de nombreuses interrogations

Publié le 24/07/20 

Outre les enveloppes rémunérations et investissements censées profiter à l'ensemble du monde hospitalier, quelques annonces véritablement spécifiques à la psychiatrie et santé mentale figurent dans le Ségur de la santé. Elles soulèvent cependant à ce stade plus d'interrogations que d'enthousiasme au sein de la discipline.
La psychiatrie et la santé mentale ne sont pas absentes des conclusions du Ségur de la santé, dévoilées le 21 juillet (lire notre article). Pour autant, que ce soit dans le discours du ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, ou dans le dossier du ministère, les éléments disponibles à ce stade pour la discipline soulèvent beaucoup d'interrogations. Outre les mesures censées bénéficier à tous les hôpitaux (hausse des rémunérations, aides aux investissements, etc.), donc aux EPSM, certaines des annonces spécifiques (lire encadré) sont saluées. Pour autant, elles sont souvent trop parcellaires ou imprécises pour comprendre véritablement à ce stade les intentions de l'exécutif sur la politique qui sera menée en la matière.

"Nouvelle ambition" pour la feuille de route

Parmi les enjeux "qui sont apparus avec une acuité nouvelle" au ministère, il y a le besoin d'un "renforcement de l’offre de soutien psychiatrique et psychologique de la population". La crise sanitaire a révélé "de manière criante la vulnérabilité psychique de nombreux Français et il est indispensable d’insuffler une nouvelle ambition à la feuille de route santé mentale et psychiatrie", a déclaré Olivier Véran. Au-delà des accords sur les rémunérations, "la psychiatrie sera un pilier de notre politique d’investissement", a-t-il assuré, afin de renforcer l’offre "en fonction des besoins de santé des différents territoires".
"La psychiatrie doit surtout bénéficier d’une politique globale cohérente"
La FHF
Un nouveau souffle pour la feuille de route ? L'idée laisse circonspects voire dubitatifs certains acteurs de la psychiatrie. La FHF, dans une réponse écrite à Hospimedia, souligne ainsi que "la psychiatrie doit surtout bénéficier d’une politique globale cohérente" avec des dotations et une gouvernance — interministérielle — à la hauteur des enjeux. "Une feuille de route ne fait pas une politique, cela ne peut pas se substituer à la loi-cadre pour la psychiatrie que nous demandons de longue date", explique le président du Syndicat des psychiatres d'exercice public (Spep), Michel Triantafyllou.

Il manque un calendrier de travail, des précisions sur la mise en oeuvre des crédits et des annonces pour la discipline, relève la présidente de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), Rachel Bocher. Enfin, le président de la conférence des présidents de commission médicale d'établissement (CME) de CH spécialisés (CHS), Christian Müller, s'interroge aussi sur "ce nouveau souffle", qu'il juge "indispensable", et attend des "orientations claires" du ministère. Tous disent vouloir une concertation des représentants de la psychiatrie publique à la rentrée pour éclaircir les perspectives et obtenir une déclinaison de mesures spécifiques.

Transparence demandée sur les moyens

Certes, 19 milliards d'euros (Md€) sont annoncés pour l'investissement hospitalier, la possibilité d'ouvrir 4 000 lits hospitaliers "à la demande" en médecine, 15 000 créations de postes, etc. Mais à quel point la psychiatrie sera bénéficiaire de ces moyens ? Beaucoup d'acteurs, échaudés notamment depuis des années par les problèmes notoires d'affectation effective des moyens dédiés à la psychiatrie dans les établissements généraux, se le demandent. Il faut de la transparence, des crédits fléchés, des garanties, appuient plusieurs responsables syndicaux. Et en psychiatrie, les besoins sont connus et criants. "Il y a un effort nécessaire à faire, plus spécifique et plus ciblé, sur les lits psychiatriques, car ce qui est annoncé ne suffira pas", commente Michel Triantafyllou, rappelant aussi le "très très gros retard" dans l'évolution annuelle des budgets en psychiatrie par rapport à celle des budgets MCO.

Une enveloppe de 40 M€ à clarifier

Le dossier de presse annonce une enveloppe de 40 millions d'euros (M€) pour "renforcer l’offre de soutien psychiatrique et psychologique de la population", sans plus de précisions. Sollicité le 22 juillet par Hospimedia, le ministère n'a pas donné suite à l'heure où nous publions. Il s'agissait par exemple de préciser si ces 40 M€ seront ajoutés aux 140 M€ supplémentaires "pérennes" en 2020 annoncés par l'ancienne ministre Agnès Buzyn, dont 40 M€ via les appels à projets nationaux (pédopsychiatrie et innovations) censés être reconduits d'ici fin 2020 (lire notre article).
Seules quelques mesures sont listées dans le dossier :
  • mettre en place un numéro national de prévention du suicide 24h/24 7j/7 (déjà annoncé par Agnès Buzyn) ;
  • recruter 160 psychologues supplémentaires dans les centres médico-psychologiques (CMP) en finançant les postes via le Fonds d'intervention régional (Fir) ;
  • "renforcer "l'aller vers" au travers des cellules d’urgences médico-psychologiques" (Cump) ;
  • donner accès à des consultations de psychologues en ambulatoire au sein de maisons de santé pluri-professionnelles (MSP).

La FHF indique qu'elle sera "vigilante à ce que les établissements autorisés en psychiatrie puissent bénéficier de cette politique d’investissement, tant l’étranglement auquel les soumettait la dotation annuelle de financement (Daf) les a longtemps privés de toute marge de manœuvre financière". Au-delà, elle insiste sur le fait qu'il faut "s'interroger en profondeur" sur les moyens de la psychiatrie. Elle rappelle par exemple avoir demandé une remise à niveau des ressources des établissements historiquement sous Daf à hauteur de 5% du total. Il faut aussi se pencher sur l’attractivité médicale en psychiatrie, souligne la fédération, au vu des postes vacants à ce jour (28,7% de vacance pour les postes de praticiens hospitaliers à temps plein, 49,8% pour les postes à temps partiel). Enfin, elle estime que la recherche et l’innovation en psychiatrie "doivent trouver un cadre pérenne et une structuration propre".


Au vu des quelques mesures spécifiques listées dans le dossier, "on peut avoir le sentiment que les choses partent un peu dans tous les sens", commente Christian Müller. "Sans vision d'ensemble, c'est du saupoudrage", renchérit Michel Triantafyllou. Même si le renforcement de l'offre psychologique est nécessaire, quid de l'offre psychiatrique dans les CMP Quid des urgences psychiatriques alors que la demande afflue ?

Embauches bienvenues mais insuffisantes

Pour le Syndicat national des psychologues (SNP), l'annonce des recrutements est "une bonne chose" mais reste "loin de répondre aux enjeux de santé mentale du pays". Il faudra "réaliser une analyse territoriale fine pour que ces postes aillent dans les structures qui en ont le plus besoin", souligne Guillaume Lugez secrétaire de la commission fonction publique hospitalière du SNP. Pour la coprésidente de la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP), Gladys Mondière, l'embauche de 160 psychologues "sur l'ensemble du territoire [lui] paraît relativement dérisoire" mais cela "peut être considéré comme un début".

Le SNP apprécie le fait que les psychologues soient reconnus comme un métier en tension à l'hôpital, mais il s'étonne qu'ils ne soient pas concernés par la revalorisation des grilles indiciaires annoncées pour certains corps de métiers (lire notre article). Enfin, il accueille "positivement" la possibilité d'un accès aux psychologues exerçant en MSP, "à la condition qu'il s'agisse bien d'un accès remboursé sans prescription médicale préalable". Tous deux signalent que des discussions sont en cours avec le délégué ministériel à la psychiatrie Frank Bellivier sur cette question. Néanmoins, dans son rapport rendu dans le cadre du Ségur, Nicole Notat estime que "seule la prise en prise en charge sous prescription médicale devra être remboursée par l'Assurance maladie".

Quid de la pédopsychiatrie ?

Par ailleurs, si elle se réjouit que le Ségur n'ait pas oublié la psychiatrie, la présidente de l'Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), Marie-Jeanne Richard, se demande pourquoi Olivier Véran n'a parlé de la pédopsychiatrie qu'en lien avec un "Ségur de la santé publique" annoncé à la rentrée. La prévention c'est essentiel, commente-t-elle, mais qu'en est-il du dépistage et des prises en charge précoces, de l'accompagnement médico-social des enfants et adolescents ? La présidente de la Fédération nationale des associations d'usagers en psychiatrie (Fnapsy), Claude Finkelstein, craint que santé mentale et psychiatrie ne soient une fois encore mélangées et souligne qu'il est "important de travailler de manière conjointe certes mais différenciée" sur la politique ministérielle sur ces deux champs, même si la petite enfance est "au carrefour du travail société et psychiatrie" et doit s'appuyer sur l'environnement. La santé mentale est un problème de santé publique mais la psychiatrie mérite une remise à plat complète de la réponse aux besoins.

"Il y a longtemps que nous tirons la sonnette d’alarme sur la pédopsychiatrie", rappelle la FHF, qui demande "urgemment" que ses propositions concrètes soient reprises. Pour la Fehap, les mesures annoncées "ne sont pas à la hauteur des enjeux", que ce soit pour répondre à la "situation alarmante de la pédopsychiatrie", à la démographie des psychiatres ou encore pour pallier les incertitudes liées à la réforme du financement. Ce qui fait dire à la présidente de la fédération, Marie-Sophie Desaulle, qu'à ce stade, "le secteur de la psychiatrie et de la santé fait partie, comme les secteurs social, du domicile et du handicap, des oubliés de ce Ségur".

Un regard plus optismiste est toutefois porté par le président de l'Association des établissements de service public de santé mentale (Adesm), Pascal Mariotti, qui est pour sa part "très intéressé par la perspective proche d’un Ségur de la santé publique, tant les solutions à trouver exigent de [se] situer dans une logique et une dynamique de santé publique centrées sur la population et les personnes concernées par la maladie mentale et le handicap psychique". Il précise que l’Adesm poursuivra dès l’été son investissement en réseau et auprès de Frank Bellivier et de Pierre Thomas, co- président du Comité de pilotage de la psychiatrie (Copil) à la DGOS, afin "de veiller et de contribuer à la convergence et à la cohérence entre les développements concrets" du Ségur de la santé et de la feuille de route nationale santé mentale et psychiatrie.
Caroline Cordier

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