Dans une tribune au « Monde », les coordonnateurs de la cellule d’appui psychologique au personnel du centre hospitalier de Saint-Denis, estiment que, même si la crise est passée, les soignants ont toujours besoin des équipes des services de psychiatrie.
Tribune. Le 16 mars, au moment du confinement, tous les regards se sont focalisés sur l’hôpital public. Déjà victime d’une situation dégradée, la crise sanitaire risquait de lui porter un coup fatal. On ne peut pas reprocher aux soignants de ne pas avoir prévenu. Ces derniers mois, des collectifs ont cherché à porter plus haut sa voix, le collectif Inter-Urgences et le collectif Inter-Hôpitaux ont soutenu la mobilisation.
La manifestation du 14 novembre 2019 a vu descendre un nombre inhabituel de soignants dans la rue et, au mois de février, plus de mille chefs de service démissionnaient de leurs fonctions administratives. L’hôpital ne peut pas guérir les maux du capitalisme. Le penseur et essayiste Ivan Illich (1926-2002) le rappelait : « reporter sur le système de soins la gestion des contradictions économiques et des tensions sociales propres au capitalisme est voué à l’échec ».
Entre 2003 et 2016, 13 % des lits ont été fermés, et on a prôné le virage ambulatoire pour lutter contre un hospitalocentrisme dépensier, l’optimisation des ressources humaines et le management d’entreprise pour réduire les coûts. L’étau de la tarification à l’activité d’un côté et de l’augmentation limitée de l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (ONDAM), qui est l’enveloppe de son financement de l’autre, l’étranglait. Face au coronavirus, l’hôpital public allait-il tenir ?
Des actions de soutien au personnel soignant à l’hôpital
Devant le risque de saturation et le manque de matériel, les ressources humaines sont apparues comme le dernier maillon susceptible de résister, « quoi qu’il en coûte ». Dans un certain nombre d’établissements, des équipes spécialisées dans le soutien au personnel soignant se sont constituées et une immense créativité s’est déployée.
Ici, des lieux ont été créés pour permettre au personnel de s’extraire quelques minutes de leur tâche pour se détendre ou se reposer ; là des équipes de psychologues et de psychiatres sont allées « en maraudes » à la rencontre des soignants pendant l’exercice de leur fonction. Des lignes de soutien téléphonique ont été ouvertes pour répondre aux appels des soignants. En effet, comment imaginer que les soignants accaparés par leurs missions somatiques aient le temps ou l’énergie de solliciter et de trouver un soutien psychologique ?
Ces actions inédites mises en place dans l’urgence sont venues compléter celles quotidiennes des psychologues hospitaliers. Le psychologue hospitalier est un psychologue clinicien recruté pour exercer au sein des équipes somatiques, en réanimation, en cancérologie, en addictologie, ou en soins palliatifs par exemple.
Les psychologues hospitaliers mal compris des médecins
Ses missions sont nombreuses : ouvrir un espace de parole au patient et à ses proches, soutenir leurs fonctionnements psychiques devant l’épreuve de la maladie, évaluer les ressources du patient, participer aux décisions d’orientation et de soins. Il se place dans une position et une temporalité différente, devient un lieu d’adresse d’une parole et d’un discours qui sans lui n’émergerait pas. Cette position décalée du champ et du temps somatique, les soignants la repèrent et savent aussi l’utiliser pour eux-mêmes, pour obtenir un soutien quotidien dans l’exercice de leurs fonctions ou demander de l’aide pour leur vie personnelle.
Ils savent que les propos échangés au détour d’un couloir ou dans un bureau, restent confidentiels. En fin de compte, les psychologues hospitaliers permettent aux soignants de travailler sans perdre le sens de leur métier, en accord avec leur éthique au sein d’institutions qui s’efforcent de rester « justes » (Paul Ricœur, 1913-2005).
Les psychologues hospitaliers sont souvent isolés, seuls représentants de leur fonction au sein d’équipes pluridisciplinaires. Ils sont parfois mal compris des médecins qui attendent de leur part un renforcement de l’adaptation du patient à la maladie et au soin en redoutant parfois qu’ils entravent la prise en charge dans son déroulement opératoire et protocolisé. Leur rôle n’est pas non plus de réparer d’un côté ce qui est détruit de l’autre en essayant, pour faire bonne figure, de soutenir des soignants poussés à l’épuisement par un système emballé par la quête de rentabilité.
Qui soutiendra désormais les soignants ?
Les soignants ont besoin d’eux, parce que le soin les expose au réel de la maladie et de la mort, ravive leurs traumatismes personnels, et bouleverse leur équilibre psychique. Ils ont également besoin que quelqu’un se porte garant de la dimension subjective du patient, pendant qu’ils répondent à l’urgence du corps et des organes malades.
Pourtant les psychologues hospitaliers sont encore trop souvent absents des services somatiques qui n’en sont pas tous pourvus. Et quand ils existent, ils sont souvent contractuels, insuffisamment rémunérés et leurs postes sont fragilisés par les aléas des réorganisations, ce sont les premières victimes de la pénurie de moyens. Les applaudissements se sont tus, les équipes des services de psychiatrie venues en renfort sont retournées à leurs postes dans leurs services. Qui soutiendra désormais les soignants ?
L’hôpital public n’est pas un lieu de rentabilité. Il accueille des patients précaires et soigne au long cours les patients atteints de maladies chroniques. Au terme de cette crise, au-delà des hommages rendus le 14 juillet, il témoignera au long cours des changements de paradigme de l’Etat. Soit poursuivre les voies de la rentabilité absolue, soit changer de logique et, par exemple, sanctuariser certaines fonctions. L’attention et la prévention accordées aux soignants en munissant plus largement leurs équipes de psychologues hospitaliers aux statuts consolidés pourraient témoigner d’un tel changement.
Les auteurs sont également coordonnateurs de la cellule d’appui psychologique au personnel, centre hospitalier de Saint-Denis, Seine-Saint-Denis.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire