"Allégorie de la déclaration des droits de l’Homme" de Jean-Baptiste Regnault (1754-1829). Photo De Agostini. Leemage
L’historienne conteste l’apparente neutralité du terme «homme» pour désigner l’humanité. Pour elle, les droits de l’homme doivent devenir les droits humains.
Les femmes sont-elles comprises dans «les droits de l’Homme» ? Non, répond Eliane Viennot dans Droits humains pour tou·te·s, un ouvrage collectif dirigé par Géraldine Franck. L’historienne de la littérature y prend appui sur l’étymologie pour démontrer pourquoi, selon elle, l’inclusion des femmes dans le mot «homme», même avec une majuscule, serait trompeuse.
D’abord, les hommes ont des droits ; et puis, quelques décennies et des luttes plus tard, on ouvre ces droits aux femmes et on ajoute aux textes : au fait, les femmes bénéficient des mêmes.
Voilà comment déclarations et Constitutions se seraient écrites en France depuis la fin du XVIIIe siècle, résume Viennot. Elle plaide pour transformer, comme cela se fait dans les autres langues, les «droits de l’Homme» par les «droits humains».
D’où vient le mot «homme» ?
Du latin homo, qui désignait alors les humains, hommes et femmes. A côté, il y a deux mots : vir pour l’homme et mulier pour la femme. Homo a donné «on», et dans ce mot, on voit bien l’héritage du terme latin puisqu’il n’y a pas de précision de sexe. Mais comme substantif, le terme a dérivé dans presque toutes les langues romanes vers le sens de mâle humain. Un texte confirme que vers la fin du Moyen Age, cette évolution est terminée : le prologue de l’humaniste Nicole Oresme à sa traduction d’Aristote, qui date de 1369. Il explique qu’en latin, on peut dire : mulier est homo mais qu’en français, il est faux de dire : «femme est homme».
Entre-temps, le mot mulier a disparu, même s’il a donné l’adjectif «muliebre», qui veut dire «féminin», qu’on croise encore au début de la Renaissance. On est donc en présence d’une double évolution : méliorative pour l’homme et péjorative pour la femme.
Pourquoi péjorative ?
Le mot «femme» vient du mot latin femina, qui voulait dire «femelle». C’est une animalisation des femmes et il y a très certainement eu une période où ce mot avait une connotation péjorative, même si ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui.
Mais quand Rousseau dit : «C’est de l’homme que j’ai à parler», rien n’indique qu’il exclut les femmes ?
Il fait un discours politique qui s’adresse à des hommes. C’est extrêmement clair et particulièrement chez Rousseau. Quand il parle des hommes, on a tendance à le lire avec notre vision d’aujourd’hui, et on croit qu’il englobe tout le monde. Mais si on avait demandé à Rousseau s’il parlait des femmes, il se serait fâché. La représentation de l’homme qu’ont les philosophes des Lumières, ce n’est ni les femmes, ni les paysans, ni les hommes d’Afrique. C’est eux-mêmes.
L’usage du singulier «l’homme» est peu courante avant Rousseau. Montesquieu utilise bien davantage «les hommes». Mais à partir de 1750, les philosophes sont dans la généralisation. Et pour eux, il y a une différence de destin entre les hommes et les femmes. Ils abandonnent Dieu mais ils le remplacent par la nature, qui, selon eux, impose que «les hommes font les lois et les femmes font les mœurs» [selon un mot de Guibert, un académicien du XVIIIe siècle, ndlr].
Dans le dictionnaire de l’Académie de 1694, «homme» désigne cependant les deux sexes. N’est-ce pas une volonté d’affirmer une neutralité du terme ?
Dans leur premier dictionnaire, les académiciens ont pris une décision, celle qu’«homme» désigne l’humanité. C’est une vraie innovation. Les autres dictionnaires vont mettre cinquante ans avant de les suivre. Pour moi, cela ne veut pas dire qu’ils incluent les femmes, mais au contraire qu’ils augmentent la valeur des hommes.
Comment cela ?
Disons que les hommes avaient déjà envahi le concept que recouvrait homo… Mais à partir de là, c’est acté. Quand on connaît l’Académie, ce qui est maintenant bien mon cas, on voit qu’elle travaille depuis sa création à légitimer la domination masculine. Sur le plan lexical, elle a fait disparaître des termes féminins, notamment dans le domaine de la création et du savoir. Sur le plan grammatical, elle a condamné en outre les anciennes formes d’accord, en décidant que le masculin devait l’emporter sur le féminin.
Comment expliquer le rendez-vous manqué de la Révolution, quand sont déclarés les droits des hommes mais pas des femmes ?
On parle de «rendez-vous manqué» parce qu’on croit au père Noël ! On aimerait tellement croire que les révolutionnaires n’étaient pas sexistes. Ceux qui défendaient l’égalité des sexes existaient, bien sûr, mais ils étaient minoritaires et faisaient face à une Assemblée qui ne voulait pas en entendre parler.
N’y a-t-il pas alors un rêve d’universalisme, qui englobe tous les sexes ?
Les révolutionnaires étaient universalistes, certes, mais pour les hommes. On retrouvera cela avec le «suffrage universel» de 1848 : il est réservé aux hommes. Pour eux, les femmes, c’est une autre catégorie, qui se situe ailleurs. La «volonté générale» dont parle la Déclaration de 1789, c’est la leur. Les nouveaux droits qu’elle ouvre, c’est pour eux. D’ailleurs, dès l’automne 1789, ils votent les premiers articles de la Constitution - qui excluent «à perpétuité» les femmes de l’héritage du trône et de la régence - comme les premières lois électorales, et il y a des protestations des femmes. C’était clair comme de l’eau de roche pour tout le monde qu’elles étaient exclues.
Aujourd’hui, quand on parle des droits de l’Homme avec un «h» majuscule, n’est-ce pas plus englobant ?
Cette majuscule date des années 60. C’est une réponse aux critiques visant les dirigeants français qui ont refusé de traduire correctement l’Universal Declaration of Human Rights de 1948. Ce n’est qu’un habillage pour faire croire que le sens est différent. Une majuscule, en outre, cela ne s’entend pas et pour la typographie officielle c’est incorrect. Pour moi, c’est juste du pipeau.
géraldine franck (dir.) Droits humains pour tou·te·s Libertalia,
170 pp.
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