ENQUÊTE Les « experts » interrogés par les médias sur le Covid-19 et ses conséquences étaient à 80 % des hommes. Cette absence de parité est le fruit d’une longue histoire : les femmes ont, pendant des siècles, été exclues du monde de la connaissance, mais aussi de l’espace public.
Elles ont disparu du débat public sans crier gare, comme sur la pointe des pieds – au point qu’il a fallu toute la machinerie statistique de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour mesurer l’ampleur de la déroute. Pendant la crise du Covid-19, les femmes « expertes » étaient absentes, ou presque, des plateaux télévisés et des débats radiophoniques. « La parole d’autorité reste un monopole largement masculin, y compris dans un secteur comme celui de la santé où les femmes sont majoritaires », constataient le 23 juin, dans La Revue des médias de l’INA, les chercheurs David Doukhan, Cécile Méadel et Marlène Coulomb-Gully, après avoir analysé les journaux de TF1, France 2, France 3, CNews et BFM-TV de mars-avril.
Le constat du CSA n’est pas moins sévère. La crise sanitaire a « aggravé » une anomalie que l’autorité publique combat depuis de longues années : les femmes, moins présentes dans les médias audiovisuels que les hommes (41 % contre 59 %), restent souvent cantonnées au registre traditionnel de la féminité – le témoignage sur la vie quotidienne (55 % contre 45 %). Pendant la crise sanitaire, elles ont ainsi été invitées à raconter à la première personne leur expérience de « maman confinée » ou de victime de violences, mais elles ont beaucoup plus rarement endossé le costume respecté de l’expert.
Témoignages de « mamans confinées »
Cette difficulté à accéder au statut de « sachant » n’est pas nouvelle – en 2019, les femmes ne représentaient que 38 % des experts invités à la télévision et à la radio –, mais la tendance s’est considérablement renforcée pendant l’épidémie. Sur les 3 000 experts interrogés par TF1, France 2, M6, France 5, BFM, LCI, France Inter et RTL, seuls 20 % étaient des femmes. Une absence d’autant plus énigmatique que le monde médical est aujourd’hui largement féminisé : 27 % seulement des médecins sollicités par les médias étaient des femmes, alors qu’elles représentent, selon l’Insee, 52 % des médecins hospitaliers et 46 % des généralistes et des spécialistes.
Ce déséquilibre a été jugé suffisamment préoccupant pour que l’ancienne secrétaire d’Etat chargée de l’égalité, Marlène Schiappa, confie à la députée Céline Calvez (La République en marche) un rapport sur « la place des femmes dans les médias en temps de crise ». Dans sa lettre de mission, Marlène Schiappa cite une mise en garde que Simone de Beauvoir adressait, dès 1949, dans Le Deuxième Sexe, aux femmes qui imaginaient que les combats seraient un jour derrière elles : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
Simone de Beauvoir avait vu juste, estime Marlène Schiappa dans une note publiée le 27 avril par la Fondation Jean-Jaurès. « Il n’a fallu que quelques jours à peine pour que les combats menés depuis des générations, installés à l’agenda public de tous les pays occidentaux, risquent de dégringoler, constate-t-elle. Partout dans le monde, sans même le vouloir, des magazines ou des journaux ont proposé des “unes” ou des dossiers “men only”. » Qui a-t-on vu, pendant la crise, sur les plateaux de télévision ?, renchérissait, sur le site des Nations unies le 26 mars, Anita Bhatia, directrice exécutive adjointe de l’entité des Nations unies pour l’égalité des sexes : « Une marée d’hommes. »
Dans un pays où les femmes ont accès au savoir, cette répartition des rôles a quelque chose de paradoxal. « Les hommes monopolisent la parole de l’expertise, alors que les filles sont plus nombreuses que les garçons à obtenir le baccalauréat, et plus nombreuses à être diplômées de l’enseignement supérieur », remarque Marlène Coulomb-Gully, professeure à l’université de Toulouse-II - Jean-Jaurès. Un règne cependant de courte durée : une fois qu’elles ont terminé leurs études, les femmes peinent à accéder aux postes hiérarchiques qui permettent, dans le monde de la recherche et de l’université, de faire entendre leur voix.
Plafond de verre
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, les femmes sont nettement plus présentes parmi les maîtres de conférences (45 %) que parmi les professeurs d’université (26 %). « Elles sont en outre très peu nombreuses à la tête d’universités ou d’organismes de recherche », constatait, le 8 mars, la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Le monde de la santé n’échappe pas à ce plafond de verre : en 2017 et 2018, 28 % seulement des nominations à un poste de praticien hospitalier concernaient des femmes, 38 % à un poste de maître de conférences praticien hospitalier.
Cette disparité est le fruit d’une longue histoire : pendant des siècles, les femmes ont été exclues du monde du savoir. « Elles reçoivent une déplorable éducation, écrivait George Sand en 1837, dans les Lettres à Marcie. Et c’est là le grand crime des hommes envers elles. Ils ont réussi à consommer cet esclavage et cet abrutissement de la femme, qu’ils disent être aujourd’hui d’institution divine et de législation éternelle. » Un siècle plus tard, Virginia Woolf évoquait, dans Trois guinées (1938), l’humiliation subie par les femmes qui, jusqu’en 1919, ne pouvaient, comme leurs pères ou leurs frères, rejoindre la longue « procession des hommes cultivés ».
L’accès à l’université au début du XXe siècle
Dans l’Hexagone, les pouvoirs publics ont longtemps délaissé l’éducation des filles, souligne l’historienne Michelle Perrot dans La Place des femmes. Une difficile conquête de l’espace public (Textuel, 176 p., 39 €). « La France était devancée par l’Angleterre, l’Allemagne et les pays de l’Europe du Nord, analyse-t-elle. Le protestantisme était beaucoup plus favorable à l’instruction des filles que le catholicisme, qui se défiait de leur imagination. » En 1861, Julie Daubié conquiert de haute lutte, à 37 ans, le droit de passer le baccalauréat, mais il faut attendre la loi Jules Ferry de 1881 pour que l’école dispense les mêmes programmes aux filles et aux garçons.
L’accès des femmes à l’université est plus tardif encore. « L’âge des étudiantes commence timidement avant 1914, où l’on en compte quelques centaines en Europe, plus massivement entre les deux guerres, où leurs silhouettes juvéniles apparaissent partout dans les photos de groupe, poursuit Michelle Perrot. Chaque étape fut un saut d’obstacles : pour le latin, fleuron des humanités, dont les filles étaient jugées indignes ; pour le droit, arme virile par excellence ; pour les mathématiques, réputées trop abstraites pour des cerveaux féminins ; pour les beaux-arts, où l’étude du nu était jugée inconvenante pour les jeunes filles. »
« Même quand elles interviennent dans leur domaine de compétence, beaucoup de femmes ont le sentiment diffus de contrevenir aux “lois du genre” », Christine Bard, professeure d’histoire
Cette longue éviction des cercles du savoir a laissé des traces. « Les femmes sont présentes dans les universités depuis plus d’un siècle, mais, à l’échelle de l’histoire, c’est un événement récent – d’autant que la féminisation massive de l’enseignement supérieur a commencé après 1968, souligne Christine Bard, professeure d’histoire contemporaine à l’université d’Angers. Malgré l’assise intellectuelle qu’offre l’université, beaucoup de femmes conservent, aujourd’hui encore, un sentiment d’illégitimité, même quand elles interviennent dans leur domaine de compétence. Elles ont le sentiment diffus de contrevenir aux “lois du genre”. »
Dans Les Faiseuses d’histoire. Que font les femmes à la pensée ? (La Découverte, 2011), les philosophes Vinciane Despret et Isabelle Stengers explorent le malaise des femmes qui ont rejoint, à la fin du XXe siècle, la « procession des hommes cultivés ». La mathématicienne et philosophe à l’université de Liège (Belgique) Laurence Bouquiaux constate ainsi qu’elles adoptent souvent, dans le monde universitaire, l’attitude docile de celles qui ont investi des lieux qui ne leur étaient « pas destinés » – « comme si elles ne se sentaient pas autorisées à contester, ou alors seulement de manière très soft, sous forme de question ou de suggestion dont elles laissent déjà entendre en les formulant qu’elles pourraient être prêtes à y renoncer ».
Se faire pardonner d’être intelligentes
Laurence Bouquiaux évoque ainsi la figure des « bonnes élèves » qui se sentent tolérées à condition d’être « inoffensives ». « On laisse parler les hommes (dans les réunions, dans les colloques et même, peut-être, dans les livres) parce que beaucoup de nos collègues ne nous pardonneront d’être intelligentes que si nous renonçons à être brillantes. La modestie est une vertu cardinale (pour les femmes, bien sûr). On exécute, on fait la petite main, on applique sagement ce qu’on nous a appris, mais on n’invente pas, ou alors seulement aux marges, sur les questions sans prestige auxquelles les hommes ne consacreraient pas une heure de peine. »
Au sentiment d’inconfort engendré par cette impression de ne pas se sentir « à sa place » sur la scène intellectuelle s’ajoute parfois une difficulté à se lancer dans des controverses « générales ». « Beaucoup de femmes sont des expertes reconnues dans leur domaine, mais quand elles travaillent sur des thèmes particulièrement « genrés » comme la famille, la sexualité ou l’éducation, elles sont piégées dans des domaines hélas perçus comme « spécifiques » et périphériques, note l’historienne Christine Bard. Or, l’intellectuel, dans la tradition française, se définit justement par la montée en généralité. Les hommes affichent plus volontiers une forme d’omniscience qui leur permet de s’exprimer sur des questions dont ils ne sont pas forcément les spécialistes. »
Une crise sanitaire déroutante
Selon Marlène Coulomb-Gully, cette difficulté a été renforcée par le caractère inédit et déroutant de la crise planétaire du coronavirus. « Quand elles n’ont plus la bouée de leurs chiffres et de leurs études, les femmes hésitent à prendre la parole, souligne-t-elle. L’incertitude scientifique, politique, économique ou sociale leur donne le sentiment que leur discours est fragile. Pendant la crise du Covid-19, elles ont donc eu du mal à répondre aux interrogations globales sur le “monde d’après”. Ce n’est pas une question de “nature” mais un héritage de l’histoire : la généralité est la marque de la parole masculine. »
Si les femmes, malgré leurs diplômes ou leurs compétences, hésitent à intervenir en tant qu’expertes, c’est aussi parce que, pendant des siècles, l’espace public leur a été interdit. « Une femme en public est toujours déplacée », affirmait le philosophe et mathématicien Pythagore (580-495 av. J.-C.). « Toute femme qui se montre se déshonore », proclamait en écho Jean-Jacques Rousseau deux millénaires plus tard. La langue française porte, aujourd’hui encore, l’empreinte de cette répartition des rôles : un homme « public » agit avec noblesse et dignité pour le bien commun, une femme « publique » appartient à tous, dans un climat de honte et d’opprobre.
En 1789, privées de vote et de parole
Pour l’historienne Michelle Perrot, la Révolution française a conforté cette vision traditionnelle des deux sexes en refusant d’ouvrir aux femmes les portes de l’espace public. En 1789, le député Sieyès les classe ainsi parmi les citoyens « passifs » : comme les enfants et les étrangers, elles ne peuvent prendre une « part active dans la formation des pouvoirs publics » – du moins dans l’état actuel, précise-t-il. Selon l’abbé Sieyès, les femmes doivent s’abstenir d’influer « activement sur la chose publique ».
Privées de droit de vote, les femmes de l’époque révolutionnaire sont aussi privées de parole. « L’art oratoire, porté au pinacle par la Révolution, est la revanche ostentatoire de la vertu virile et de l’éloquence masculine sur l’efféminement de la conversation de salon, écrit Michelle Perrot. Le mode d’expression publique du jacobinisme ou de la République triomphante s’inspire du forum romain et des harangues de Cicéron. Au service d’une mâle rhétorique, il faut une voix forte, des gestes déclamatoires, toute une dramaturgie refusée aux femmes qui sont interdites de tribune, qu’il s’agisse de la chaire, du prétoire, du Parlement, des clubs ou des partis. »
Epouses et maîtresses de maison au XIXe siècle
Le XIXe siècle porte cette séparation des sexes à son acmé : les hommes règnent dans l’espace public, les femmes sont confinées dans l’espace privé. Réduites au rôle d’épouses, de mères et de maîtresses de maison, elles apprennent à ne pas élever la voix, à ne pas parler de politique, à ne pas s’aventurer seules dans les rues. Dans les arènes politiques comme dans les tribunaux, la société leur impose le silence : en 1897, Jeanne Chauvin, qui affiche les diplômes requis pour accéder au barreau, se voit refuser le droit de plaider devant un tribunal. Il faudra une loi, en 1900, pour qu’elle puisse enfin exercer le métier d’avocate.
Au tournant du siècle, les femmes partent à l’assaut du suffrage – mais le combat est rude. En 1909, dans Jeunesse d’une ouvrière, la féministe Adelheid Popp (1869-1939) raconte ainsi ses difficultés à prendre la parole au Parti socialiste autrichien. « Je n’osais proférer une parole, je n’avais pas même le courage d’applaudir. » A force de s’entraîner seule, chez elle, à prononcer des discours, elle finit par surmonter sa peur, mais son aisance sème le doute sur son identité sexuelle. « Les tisserands disent qu’elle est sans doute un homme déguisé en femme : “Car seuls les hommes savent parler ainsi” », raconte Michelle Perrot.
Comment s’étonner qu’aujourd’hui encore la prise de parole des femmes dans l’espace public ne coule pas de source ? Qu’elle se heurte à des obstacles, des freins, des réticences ? « La culture du silence imposée aux femmes n’a pas entièrement disparu, explique Marlène Coulomb-Gully. Les femmes qui interviennent dans un débat doivent parler fort alors que leur voix a été souvent moquée, se mettre en avant alors que cette attitude leur a été longtemps interdite et avoir la conviction que leurs propos sont justes et importants alors que leur parole a souvent été disqualifiée et traitée de “bavardage”. »
Surmonter ces handicaps n’a rien d’aisé, comme l’ont constaté les politistes Delphine Dulong et Frédérique Matonti en observant, pendant plus d’un an, les débats du conseil régional d’Ile-de-France. Publié en 2007, ce travail permet de mesurer l’ampleur du déséquilibre dans la prise de parole : les élues interviennent quasiment deux fois moins que leurs collègues masculins. Les hommes coupent en outre beaucoup plus souvent la parole aux autres et ils la prennent davantage avant qu’on la leur ait donnée, soulignent-elles dans un article de la revue Sociétés & Représentations (n° 24, Publications de la Sorbonne).
L’invisibilité, signe du sexisme systémique
La dissymétrie est aussi une question de style : le verbe solennel et impérieux des hommes tranche souvent avec la prudente réserve des femmes. « Elles renoncent beaucoup plus facilement que les hommes à prendre la parole après l’avoir demandée au motif qu’un intervenant précédent aurait déjà dit ce qu’elles avaient à dire, constatent Frédérique Matonti et Delphine Dulong. Elles “avouent” en outre beaucoup plus facilement leurs doutes, leur absence d’opinion, voire leur incompétence. » Ces contrastes passent le plus souvent inaperçus : lorsque le genre est à l’œuvre, concluent-elles, c’est le plus souvent de manière « invisible ».
Pour l’historienne Christine Bard, cette invisibilité est le signe du sexisme « systémique » qui, malgré les immenses progrès accomplis ces dernières décennies, gouverne encore nos sociétés. « Si nous avons besoin de chiffres pour mesurer les déséquilibres hommes-femmes, c’est parce que l’asymétrie entre les sexes nous paraît banale, voire normale. Le sexisme systémique dépasse nos consciences et nos bonnes volontés. Il imprègne les hommes comme les femmes. Ce fait d’éducation et de culture qui explique la fragilité des unes et l’excès de confiance des autres est difficile à transformer : la socialisation au féminin et au masculin commence dès la maternelle. »
La réserve des femmes ne relève en effet pas d’une mystérieuse « essence » qui se transmettrait de mère en fille depuis la nuit des temps : elle est, comme le montrent les travaux sur le genre, profondément enracinée dans les pratiques éducatives. « Ce que l’on appelle la nature des femmes est quelque chose d’éminemment artificiel, résultant d’une répression forcée par certains côtés et d’une stimulation contre-nature par d’autres », écrivait, en 1869, le philosophe britannique John Stuart Mill. La « police du genre », aujourd’hui encore, modèle les corps et les esprits, constate Marie Duru-Bellat, auteure de La Tyrannie du genre (Presses de Sciences Po, 2017).
« L’enfance des chefs »
Pour la sociologue, un « infiniment petit de la domination » ronge peu à peu la confiance des filles. « Dès les premières années d’école, les attentes des professeurs envers les deux sexes sont très différentes. Les études montrent que les enseignants incitent les filles à être sages, calmes, appliquées, sérieuses, polies et prudentes – au risque de développer une “dépendance apprise”, comme disent les psychologues américains. Ils boostent au contraire la confiance en soi des garçons en les encourageant à prendre des risques et à surmonter les difficultés – c’est “l’enfance des chefs”, selon le mot des sociologues Christian Baudelot et Roger Establet. »
Pendant les cours, la prise de parole des filles et des garçons est, elle aussi, gouvernée par des déséquilibres dont les enseignants n’ont pas toujours conscience. « Dans les années 1970-1980, les professeurs consacraient les deux tiers de leur temps aux garçons, qui émettaient en retour les deux tiers des propos tenus par les élèves, poursuit Marie Duru-Bellat. L’écart s’est aujourd’hui réduit mais les professeurs continuent à valoriser la parole des garçons : ils les interrogent plus souvent et ils passent plus de temps à attendre leurs réponses. Ces processus discrets, informels et banalisés échappent souvent aux professeurs comme aux élèves. »
Dans un travail publié en mars, le sociologue Gaël Pasquier, auteur de Construire l’égalité des sexes et des sexualités (Presses universitaires de Rennes, 2019), constate ainsi que les enseignants qui tentent d’équilibrer la prise de parole en interrogeant alternativement filles et garçons, ou en suivant l’ordre des rangées, se heurtent à l’incompréhension de la classe : l’égalité suscite les protestations indignées des garçons et la surprise inquiète des filles. Parce que ces stratégies bousculent les rôles « traditionnels », elles permettent aux enfants, insiste-t-il, de « se projeter autrement dans leur vie immédiate et future ».
Questionnement sur le modèle du débat public
Faut-il pour autant que les filles calquent leurs comportements sur ceux des garçons ? Qu’elles affichent, une fois adultes, l’aplomb et l’assurance des hommes ? Qu’elles se montrent, sur la scène intellectuelle, aussi conquérantes et affirmatives que leurs homologues masculins ? L’historienne Christine Bard émet des doutes. « La prudence tient les femmes éloignées du débat public, mais c’est une qualité intellectuelle d’avoir un mouvement d’hésitation avant de se prononcer, souligne-t-elle en souriant. Les hommes pourraient parfois s’inspirer de cette retenue car elle repose sur une forme de sagesse. »
Cette réserve les conduit, non pas à se taire, mais à emprunter des chemins de traverse. « Les interventions du mouvement féministe visent une logique inclusive – la participation des femmes à des institutions historiquement masculines – mais elles portent aussi une dimension critique : interroger la figure de l’intellectuel en surplomb et le modèle de l’intervention publique envisagée comme une joute oratoire, souligne Juliette Rennes, sociologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Depuis le XIXe siècle, le développement du féminisme s’est accompagné de prises de parole plus collectives et horizontales dans le débat public – je pense à la fois à la presse féministe des années 1900 et aux podcasts d’aujourd’hui. »
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