Entretien. Bruno Falissard est pédopsychiatre, directeur de recherche Inserm à la Maison des adolescents de Cochin (AP-HP). Il vient de publier Soigner la souffrance psychique des enfants (O.Jacob, 224 p., 19,90 euros).
Comment les enfants que vous suivez en consultation ont-ils vécu les contraintes du confinement ?
Des hyperactifs coincés dans 40 m² avec leurs parents, des autistes dont le rituel consiste à se rendre en hôpital de jour et qui, du jour au lendemain, doivent rester chez eux : pour ces enfants-là, les pédopsychiatres ont immédiatement pensé que le confinement allait être une catastrophe. Or, globalement, c’est le contraire que l’on a observé : ils allaient bien, voire parfois mieux que d’habitude. Pourquoi ? Parce que pour un enfant hyperactif, ou pour un enfant autiste lorsqu’il est scolarisé, ce qui est dur, c’est l’école ! C’est de passer sa journée dans un lieu où il est considéré comme différent, et décalé en permanence. Le confinement a été l’occasion de le vérifier : le problème de nos patients provient en partie des normes imposées par la société.
L’anxiété générale, celle de leurs parents notamment, ne les aurait donc pas atteints ?
De manière générale, dans une situation anxiogène comme celle que nous venons de vivre, les enfants ont plus de ressources que les adultes. Ils sont moins en prise avec la réalité, ils sont capables de s’absorber pendant des heures dans un jeu de Lego ou de Playmobil, ils ont une vie fantasmatique énorme. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas ressenti l’anxiété des adultes, qu’ils n’ont pas perçu qu’il se passait quelque chose de diffus autour d’eux. Mais pas plus que d’habitude. Dans la vie, on a des parents qui sont licenciés, on a des parents qui s’engueulent parce qu’ils ne s’entendent pas bien… Et ces événements sont parfois bien plus inquiétants que ces histoires de virus, de maladie et de mort, qui, pour beaucoup d’enfants, restent des abstractions. Quant aux changements apportés par le confinement, ils nous ont certainement affectés plus qu’eux. Quand vous avez 5 ans, le monde est tout flexible ! Vous êtes en train de le construire et s’il change, ce n’est pas bien grave : de toute façon cela arrive tout le temps.
Le nombre de pédopsychiatres en France est en forte baisse, mais la demande de consultations en hausse spectaculaire… Comment résoudre cette équation ?
Comme on est moins bien payé dans notre société lorsqu’on s’occupe d’enfants que d’adultes, la profession n’attire guère. Or la psychiatrie pour enfants et adolescents est une discipline essentielle. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les maladies ayant le plus gros impact entre 5 et 25 ans en termes de morbi-mortalité (la mortalité pondérée par la qualité de vie) sont les maladies psychiatriques. Mais la plupart des demandes de consultation faites par les parents ne relèvent pas d’un soin médical spécialisé. Si les médecins généralistes et les infirmières scolaires étaient mieux formés à la détection précoce, s’il existait en France des Maisons de l’enfance comportant des psychologues, des orthophonistes, des psychomotriciens capables de dispenser des soins très partiellement médicalisés, cela donnerait de la souplesse à l’ensemble. Un peu à l’image de ce que fait l’Australie, qui a massivement investi sur la détection chez les jeunes des troubles dépressifs, des comportements addictifs ou des conduites à risque de suicide par le biais de structures de ce type.
Vous avez été président de l’Association internationale de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de 2014 à 2018. Quel principal enseignement en avez-vous tiré ?
Que le poids des États-Unis sur la pédopsychiatrie mondiale est colossal – environ la moitié des pédopsychiatres de la planète y exercent. Or la culture de la psychiatrie nord-américaine est neuro-scientifique, très axée sur les traitements médicamenteux. Aux Etats-Unis, 10 % des garçons de 10 ans diagnostiqués hyperactifs sont traités par des stimulants de type Ritaline. Quel sera l’effet à long terme de ces substances, administrées alors que le cerveau est en pleine formation ? On ne le sait pas, et cela pourrait bien créer dans les décennies à venir un scandale de santé public. On oublie qu’un enfant ou un adolescent peut avoir des troubles de l’attention, des comportements étranges, un imaginaire qui déborde, sans pour autant avoir une pathologie. On perd le sens des mots.
En France, l’importance croissante que prennent les neurosciences dans la recherche en psychiatrie peut-elle mener à ce type de dérives ?
Que la psychiatrie française tienne sa place à l’international dans la recherche en neurosciences est une bonne chose. Mais il ne suffit pas toujours de soigner le cerveau, par des médicaments et des thérapies cognitives et neurocomportementales, pour que les gens aillent mieux. Il faut aussi tenir compte de la société, de la famille, du rapport de l’homme au sens de la vie. Les neurosciences évacuent complètement la question du sens. Elles fascinent souvent les jeunes psychiatres, mais il faut vraiment que ces derniers aient une pensée neurobiologie ET une pensée du sens et de la société. C’est une question de formation.
Propos recueillis par C. V.
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