Aux Etats-Unis, plusieurs personnalités politiques s’affrontent à propos du projet d’assurance santé universelle. Les républicains y sont farouchement hostiles.
Le slogan sonne comme une promesse : « Medicare for all ». Politiquement, il pourrait se traduire par « la santé pour tous » ou « la Sécu pour tous ». Une évidence en Europe, mais pas aux Etats-Unis. Le « Medicare for all », dans sa forme la plus « pure », prévoit la suppression des assurances privées. De fait, le slogan pourrait aussi être rendu par « nationalisation de l’assurance santé ». Corollaire : les républicains américains hurlent au « socialisme ».
Lors des premiers débats démocrates, fin juin, seuls quatre des vingt candidats à l’élection présidentielle de 2020 ont levé la main lorsqu’on leur a demandé s’ils étaient en faveur de « Medicare for all » sans possibilité d’assurance privée : le sénateur indépendant du Vermont Bernie Sanders, porteur de ce projet depuis 2016 ; la sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren, qui multiplie les propositions progressistes et menace de voler la vedette à M. Sanders ; le maire de New York Bill de Blasio, toujours plus à gauche pour éviter le naufrage politique, mais aussi la sénatrice de Californie Kamala Harris, fille d’immigrés indien et jamaïcain et ex-procureure générale de l’Etat.
Sauf qu’entre-temps Mme Harris s’est ravisée. Elle ne veut plus supprimer immédiatement les assurances privées, qui couvrent 160 millions d’Américains. Sans doute a-t-elle le nez creux, en se montrant soucieuse de trouver un système qui n’effarouche pas les électeurs centristes.
29 millions de résidents sur le sol américain sur 330 millions n’ont toujours pas de couverture maladie, en dépit de la réforme Obama
Comme nous l’expliquait il y a peu Jason Furman, l’ancien conseiller économique de Barack Obama, si les Américains sont mécontents du système de santé en général et de son coût, ils sont satisfaits de leur propre assurance (à 69 %, d’après un sondage Gallup de décembre 2018) et de la qualité de leurs soins (à 80 %). Y compris les personnes modestes. Au cours des débats, Tim Ryan, représentant de l’Ohio, a estimé que son parti ne gagnerait pas « en enlevant l’assurance santé privée des travailleurs syndiqués du Midwest industriel ».
L’affaire relève du casse-tête. La précampagne électorale a le mérite d’aborder les sujets qui comptent : la santé, la dette étudiante, l’immigration... Autant de problèmes qui se posaient bien avant l’accession de Donald Trump au pouvoir. Concernant la santé, le problème est triple : son coût – qui représente 18 % du produit intérieur brut (PIB), soit deux fois plus qu’en Europe –, son inefficacité, et le fait que 29 millions de résidents sur le sol américain sur 330 millions n’ont toujours pas de couverture maladie, en dépit de la réforme Obama.
Rogner les profits des assureurs
A ce stade, un rappel historique s’impose. Si les Etats-Unis n’ont pas adopté de « Sécu » à l’après-guerre comme les Européens, c’est parce que les entreprises ont commencé, dans les années 1940, à offrir une couverture généreuse à leurs salariés, d’où la satisfaction des « cols bleus ». Par la suite, le président démocrate Lyndon Johnson a bouché les trous béants en lançant, en 1965, Medicare (pour les personnes âgées de plus de 65 ans) et Medicaid pour les pauvres (généralement des femmes seules et noires).
Cela n’est pas allé plus loin, les riches – souvent blancs — ne voulant pas financer les pauvres – principalement issus des minorités. Jusqu’à la réforme Obama, qui, en 2010, a élargi les programmes de santé publics et forcé les assurances à accepter les patients et à couvrir les maladies préexistant à la signature du contrat.
Le taux d’Américains non assuré est alors tombé de 18 % à 10,9 %, juste avant l’élection de Donald Trump en 2016, puis est remonté brutalement à 13,7 % fin 2018, selon une enquête Gallup. La raison ? Le gouvernement Trump a aboli l’amende infligée aux Américains qui refusaient de s’assurer, mesure très impopulaire chez les classes modestes, qui préféraient parier sur l’absence d’ennuis de santé.
Bernie Sanders a imposé le débat avec son projet de payeur unique – une Sécurité sociale américaine –, qui permettrait de réaliser des économies majeures, en rognant les profits des assureurs et laboratoires, en réduisant les coûts administratifs et en négociant les prix comme toute Sécu digne de ce nom (l’Etat fédéral n’a pas le droit de le faire). Cela étant, beaucoup notent que l’augmentation d’une offre remboursée pourrait faire croître la consommation médicale.
C’est surtout dans la transition que se niche la difficulté. Il conviendrait de déplacer neuf points de PIB du secteur de l’assurance privée vers le financement du « Medicare for all », c’est-à-dire 1 800 milliards de dollars (environ 1 620 milliards d’euros) par an. Une dépense privée, certes contrainte, transformée en impôt ou cotisation obligatoire. Aujourd’hui, une assurance santé privée s’achète comme une assurance automobile, sans le moindre effet redistributif (6 900 dollars pour un individu, 19 600 pour une famille en moyenne dans les contrats d’entreprise).
Demain, la santé publique serait financée par un mélange fait de cotisations fixes et proportionnelles, ou d’impôt progressif, nul ne le sait vraiment. M. Sanders veut faire payer les riches et les entreprises – l’annulation de la réforme fiscale de Trump est invoquée, mais elle ne représente en brut que 230 milliards de dollars par an – et taxer à 4 % les revenus au-delà de 29 000 dollars.
Le sort des onze millions d’immigrés illégaux en balance
Kamala Harris, elle, a imaginé une taxe sur les transactions financières et envisage un impôt progressif sur les revenus et l’immobilier. Joe Biden, ancien vice-président de Barack Obama, qui défend une extension de la réforme Obama, s’en est pris à Mme Harris : « A la fin, il faut payer 30 000 milliards de dollars [sur dix ans]. Je ne sais pas quelles mathématiques vous faites en Californie, mais c’est beaucoup d’argent, et il y aura un reste à charge. »
Au jeu du qui perd gagne, les effets de bord peuvent être considérables. Les conservateurs brandissent la menace d’une pénurie d’offre de soins. Il demeure aussi des inconnues sur l’étendue de la couverture : Medicare ne prend pas en charge les soins dentaires, l’optique et les appareils auditifs. Les démocrates ne l’explicitent pas, mais lorsque le représentant démocrate de l’Ohio Tim Ryan explique que les salariés syndiqués veulent conserver leur assurance privée, il laisse entendre qu’ils n’escomptent pas rejoindre la médecine des pauvres et des personnes âgées.
Résultat : on se dirige plutôt vers un « Medicare for all »... pour ceux qui le souhaitent. Autrement dit qui élargirait de nouveau l’accès à la santé publique et contraindrait une nouvelle fois les Américains à souscrire une assurance. Joe Biden estime que son plan serait trente fois moins onéreux que celui de Bernie Sanders.
La situation se corse avec le sort des onze millions d’immigrés illégaux. Les démocrates se déchirent sur le fait de savoir s’ils doivent les couvrir avec le « Medicare for all ». M. Sanders y est favorable, estimant qu’il s’agit d’un droit de l’homme. L’affaire est une aubaine pour les républicains, qui accusent leurs adversaires de se soucier davantage des illégaux que de leurs propres concitoyens. Le « Medicare for all » pourrait se révéler problématique si ceux qui n’ont pas de visa en étaient exclus. A l’heure actuelle, selon le rapport du bureau du budget du Congrès, la moitié des sans-visa disposent d’une assurance.
Pendant les débats démocrates, les laboratoires pharmaceutiques et les lobbys médicaux ont diffusé pléthore de spots publicitaires vantant les avancées médicales et mettant en garde contre les systèmes socialisés en soulignant les temps d’attente. Les laboratoires ont réalisé en Bourse une performance quasi nulle depuis le début de l’année. Les compagnies d’assurance, elles, ont progressé de 6 %, tandis que l’indice Standard and Poor’s 500 a gagné 15 %. Mais le courtier Schwab invite à investir dans les actions santé, quitte à prendre le risque de fluctuations en raison des turbulences politiques. Clairement, Wall Street ne croit pas à la victoire du « Medicare for all ».
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