Paris, le mardi 27 août 2019 - À la mort de John Lennon, pour évoquer le désormais "paradis perdu" du début des années 1960, un magazine avait titré : « Il y avait Kennedy, de Gaulle et les Beatles. » De même, on pourrait ainsi schématiser la psychiatrie du XXème siècle : il y avait Freud, l’autisme et les psychoses… Mais tout a changé : la psychanalyse est critiquée, les psychoses ont reculé, absorbées par l’inflation des troubles du spectre autistique (TSA), or l’autisme lui-même est parfois contesté, malgré ou à cause de cette expansion. Comme le rappelle le psychiatre et psychanalyste Patrick Landman (dans sa contribution au dossier de la revue Empan intitulé Que sont les psychoses (infantiles) devenues ?), « certains vont jusqu’à considérer que l’autisme est une autre façon d’être, il y a les neurotypiques et les neuro-atypiques, comme il y a les gauchers et les droitiers. » Patrick Landman explique notamment qu’il a été « mis fin à l’indifférenciation » entre autisme et psychose très précoce « non par la science, mais par le législateur » aux États-Unis. L’opinion selon laquelle « l’autisme n’est plus une psychose » s’est imposée en effet « à partir d’un processus enraciné dans le vote en 1975 par le Congrès américain du Development Disabilities Act et proclamant la nécessité de prises en charge spécifiques. » À ce propos, l’auteur pointe un retournement insolite qu’il nomme une « ruse de l’histoire » : alors que, depuis Kanner, le champ des psychoses infantiles semblait avoir « envahi celui de l’autisme », avec une « confusion possible entre autisme et psychose », le diagnostic de psychose tend à reculer de façon spectaculaire sous l’effet du DSM ayant « étendu le champ de l’autisme au point d’englober dans sa dernière édition pratiquement toutes les anciennes pathologies (psychoses, schizophrénies infantiles, dysharmonies…) dans les TSA. » Réduit jadis à une portion congrue par la psychose infantile, l’autisme a ainsi « pris sa revanche » sur cette entité nosographique « rivale. » Ce rejet des psychoses tient aussi au lobbying efficace de certaines associations de familles détestant cette étiquette pour ses accointances présumées avec « la folie, la psychanalyse et la psychopathologie. »
Conception moniste du psychisme
Ce dernier point est essentiel : les conceptions actuelles incitent à écarter tout ce qui relèverait du « pur fait psychique », au bénéfice exclusif d’un « signifiant neuro-développemental emportant avec lui une référence étiologique tournée vers la neurologie. » Dopées par l’essor de la neuro-imagerie, les neurosciences semblent engloutir toute la psychiatrie et la pédopsychiatrie classiques, « au profit d’une médecine déterministe du cerveau. » On en vient à une ère de « monisme étiologique » où toute velléité de dualisme de type corps/esprit (brain/mind) est dénigrée implicitement comme une approche « obscurantiste » des causes des maladies mentales, elles-mêmes remplacées d’ailleurs par des « troubles », par conformité au DSM préférant le terme « disorder » (désordre, dysfonctionnement), plus mécaniste que le concept traditionnel de « maladie. » Presque scientiste, cette conception moniste du psychisme (où le cerveau pourrait quasiment sécréter la pensée comme le foie sécrète la bile) contribue à expliquer le rejet farouche des approches préalables comme la psychanalyse, plus équilibrées dans le dualisme matière/information (ou somato-psychique). Si l’échec de la psychanalyse est patent dans la conception de Bettelheim sur l’implication d’une « mère frigidaire », la position plus mesurée des psychanalystes actuels doit susciter en retour une réflexion approfondie et un débat dépassionné, quand ils définissent l’autisme comme « la forme la plus grave de l’échec de l’intersubjectivité. »
Dr Alain Cohen
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