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A la Maison de Courcelles, le 6 août. Une grande salle y est dédiée aux arts du cirque. Photo Cyril Zannettacci. VU
Foot et bricolage pour les garçons, couture et poney pour les filles… Les activités proposées par les centres aérés et colonies de vacances sont souvent empreintes de stéréotypes. Des organismes, comme la Maison de Courcelles, en Champagne, tentent de corriger ces travers.
Pistolet à colle dans une main, morceaux de bois dans l’autre, Manon, 10 ans, se concentre pour finir sa hutte de lutins, à la Maison de Courcelles, une colonie de vacances et centre de loisirs à Saint-Loup-sur-Aujon (Haute-Marne). «C’est trop bien que les activités soient mixtes ici ! On peut faire et parler de trucs de filles comme de trucs de garçons. J’adore le bricolage.» Et elle n’est pas la seule, trois autres filles s’affairent à couper, coller, clouer avec des copains. L’institution, ouverte il y a quarante ans, s’organise autour de la pédagogie de la liberté. Plusieurs «espaces permanents» sont à disposition des 4-12 ans qui naviguent librement, en présence de nombreux animateurs : la chapelle muée en cirque, la zone trappeur à l’allure de mini-ZAD, la ludothèque et le brico où se côtoient l’atelier couture et l’établi de bricolage. Des espaces relativement neutres et un principe de circulation qui favorisent la mixité filles-garçons.
Ce modèle est toutefois loin d’être la norme. Dans les centres aérés et colonies de vacances, les enfants doivent généralement choisir entre plusieurs activités, souvent genrées. Ce qui ne favorise pas le mélange. Yves Raibaud, géographe du genre à l’université Bordeaux-Montaigne, a étudié le sujet : «Dans les centres de loisirs, s’il n’y a pas une volonté affirmée de mixité, filles et garçons se séparent dans des activités distinctes. Souvent on leur propose "danse avec Vanessa ou foot avec Sébastien". Le garçon qui aimerait danser ne se mélangera pas avec les filles et vice versa. Les activités prescrivent des rôles de genre.» Les colos ne sont pas en reste. Loin du jeu du béret, les séjours à thèmes séparent filles et garçons autant que les classes sociales. Julie, salariée de la Maison de Courcelles, en témoigne : «J’ai travaillé une fois dans une colo équitation et quad. Filles et garçons n’étaient jamais ensemble. Ça me faisait froid dans le dos.»
Terreau des violences
Tout comme l’école participe à la construction d’un enfant, les espaces de loisirs apportent leur pierre à l’édifice. Edith Maruéjouls, géographe du genre, directrice du bureau d’études Larobe (l’Atelier recherche observatoire égalité), pointe cette absence de relations filles-garçons : «Ils ne jouent pas ensemble, ne se mettent pas ensemble à table. Ce n’est pas la norme. Or partager ces choses-là, c’est faire relation mais aussi travailler sur les violences, sur la possibilité de perméabilité, de similitudes humaines. Il se passe des choses dans ces histoires-là qui sont aussi pour moi le terreau des violences plus tard.»L’idée n’est pas que les enfants aient les mêmes activités tout le temps, mais d’assurer à une fille comme à un garçon que oui, tout est possible, que tout leur est ouvert. «L’égalité, c’est d’abord du droit. Difficile de se sortir de cette question de jeux stéréotypés sans parler également de la question de l’inégale valeur et de la hiérarchie, précise Edith Maruéjouls. Ce qu’on appelle les "petits jeux de filles", souvent dénigrés, peuvent aussi devenir centraux dans le jeu et faire sens pour les garçons.»
Disparition des filles
Au cœur du problème, le financement des loisirs des jeunes. Selon les recherches d’Yves Raibaud et Edith Maruéjouls, 75 % des budgets publics profitent directement ou indirectement aux garçons, toutes activités confondues : centres de loisirs, séjours de vacances, danse, foot, écoles de musique et même médiathèques. Les financements ne sont pas égalitaires. Des équipements publics, notamment sportifs, comme les city stades ou skate parcs, visent aussi une activité majoritairement masculine. Tandis que les lieux de pratique plus féminine comme les centres d’équitation sont moins aidés. Yves Raibaud : «Ce ne sont pas les filles qui s’autocensurent ou n’ont pas envie, on a juste privilégié la moitié de la population au détriment d’une autre à travers ce financement.» Le géographe a d’ailleurs mené un travail avec le conseil départemental de la Gironde pour parvenir à des arbitrages budgétaires égalitaires. «On l’a fait aussi avec la ville de Bordeaux sur leurs séjours d’été. Il doit y avoir autant de filles que de garçons pour des budgets équivalents.» La directrice de Larobe abonde : «Etre à égalité, c’est partager un budget, un espace, sinon on hiérarchise. On voit des maisons des jeunes, des centres occupés par 90 % de garçons.» Les filles viennent pour un cours de danse ou de l’aide aux devoirs mais ne restent pas. Une illusion de présence.
Au moment de la préadolescence, la fracture se creuse encore. Les travaux d’Edith Maruéjouls montrent que dès 12 ans, les filles disparaissent de ces structures. «Le groupe social des filles dans un micro-espace de loisirs ou sociétal, comme la cour de récré ou le centre, est relégué sur les bords. Elles ne prennent pas l’espace physique et sont réduites à leurs capacités à négocier.» La géographe mesure depuis deux ans un autre phénomène : «Ce que j’appelle la première charge mentale des filles : à cet âge, c’est la première fois qu’elles sont confrontées au harcèlement de rue en raison de leurs tenues vestimentaires, ce qui leur fait élaborer des stratégies d’évitement.» Un cercle vicieux en termes d’activités. Les filles étant moins présentes dans les centres, les activités risquent d’être encore plus orientées côté masculin.
En première ligne avec les enfants, les équipes d’animation ont une certaine responsabilité dans la tonalité plus ou moins genrée qu’ils donnent aux activités. Juliette (1), 37 ans, est animatrice en périscolaire et centre de loisirs dans l’Oise. Selon elle, les activités étant définies par les animateurs à partir d’un thème donné, «ce sont principalement eux, inconsciemment, qui les mettent dans des cases.» Lorsque deux possibilités sont proposées autour du sport et des activités manuelles, ni une ni deux, les garçons accourent nettement vers le sport et les filles vers les activités manuelles. Pas de surprise. «Les animateurs eux-mêmes disent "on va faire du sport pour que les garçons fassent quelque chose". L’effort pour diriger les filles vers le sport et les garçons en activités manuelles est minime car "ça arrange tout le monde comme ça".»Magalie Bacou, sociologue au CNRS, constate : «Il arrive trop souvent que les animateurs reproduisent les stéréotypes sexués. Il ne s’agit pas de leur jeter la pierre. Les moyens alloués demeurent insuffisants pour assurer une formation assez conséquente aux animateur·rice·s dans les accueils de loisirs ou les colos, quel que soit leur statut, afin qu’ils et elles puissent éviter de reproduire les inégalités.» Systématiser la formation aux problématiques de genre dans les Bafa et autres IUT d’animation serait une piste.
C’est un paradoxe : à contre-courant de l’évolution de la société, les loisirs sont de plus en plus binaires, selon Yves Raibaud. «Il y a tout un savoir-faire collectif de mixité qui se perd.» Et de proposer une hypothèse : «Il y a probablement, à travers notamment le sport et la culture urbaine, la réaffirmation d’un masculin dominant, nécessaire pour que la société patriarcale survive.» Pourtant, les exemples d’activités neutres ne manquent pas dans l’éducation populaire. Les Eclaireuses Eclaireurs de France ou encore les Francas usent et abusent des grands jeux collectifs comme celui du foulard. Un filon à exploiter.
Inverser les rôles
Nouveaux jeux et activités peu connues peuvent neutraliser la question jeux de filles ou jeux de garçons en fédérant autour de la règle, de la découverte au lieu de la légitimité. Par exemple, à Bordeaux, le hockey sur gazon séduit les deux sexes. Magalie Bacou : «De manière indéniable, des activités non assignées au pôle masculin ou féminin permettent de libérer filles et garçons de l’obligation qu’ils et elles peuvent ressentir à se conformer à leur genre assigné.» D’autres pistes permettent de jouer plus aisément avec la frontière du genre. Certaines équipes d’animation inversent les rôles : un homme s’occupe de la danse quand une femme encadre le foot. Un principe d’interchangeabilité qui offre d’autres représentations aux enfants. «On peut aussi travailler sur le nom de l’atelier,explique Edith Maruéjouls. Ne pas utiliser le terme couture mais déguisement par exemple. Vous pouvez aussi parfois imposer la mixité. Plein de garçons sont contents de faire d’autres jeux que le foot, on leur donne l’occasion sans avoir à renoncer eux-mêmes à être dans le groupe des garçons.»
Dans les centres de loisirs, les barrières du genre s’estompent lors des temps libres. Yves Raibaud rapporte :«Le chercheur Baptiste Besse-Patin, qui a fait sa thèse sur les centres de loisirs, observe comment quatre filles jouent au ballon pendant une demi-heure, avec des règles, se passent la balle aux pieds etc. Et dès que le temps libre est fini, elles ne vont pas choisir l’activité ballon parce qu’elles ne peuvent pas se déterminer dans quelque chose qui serait prescrit comme étant une activité masculine.» Des garçons n’hésitent pas non plus à se déguiser en robe entre eux. «Les enfants ont naturellement une curiosité pour l’autre sexe et aussi pour les activités de l’autre sexe. Ils ont une grande facilité à traverser les frontières de genres.»
Cette notion de liberté évoque celle appliquée à la Maison de Courcelles, grâce à un encadrement important : un animateur pour quatre enfants, contre généralement un pour huit voire un pour douze dans d’autres structures. «On ne se pose pas vraiment la question filles-garçons. Ils sont susceptibles de tout faire, il n’y a pas d’espace repéré pour l’un ou l’autre sexe. Des garçons viennent à la machine à coudre pour faire des doudous comme des filles s’emparent de la scie à bois», souligne Valérie Olivier, présidente de l’association. Manoé David, actuelle directrice du séjour, estime que «le modèle aide à favoriser la mixité instinctivement même si certains lieux comme le brico ou le trappeur sont légèrement plus fréquentés par les garçons». Dans un autre contexte, proposer un atelier bricolage face à un atelier couture ne laisserait que peu de doute sur la répartition genrée des enfants. A la Maison de Courcelles, les barrières tombent un peu plus facilement.
Marius, 5 ans, perché sur une cabane de l’espace trappeur, n’a cure des stéréotypes. Il aide Jade, 9 ans, à construire son tunnel. «C’est un peu plus facile de jouer avec les filles ici qu’à l’école», dit-il timidement. Son jeu préféré ? La dînette de la ludothèque.
(1) Le prénom a été modifié.
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