Les Etats vont devoir faire face à une forte augmentation des populations urbaines, l’une des conséquences de l’inflation démographique de la planète, explique le journaliste du « Monde » Grégoire Allix.
Publié le 27 juin 2019
Chronique. Vous trouvez les villes trop denses, trop vastes, trop peuplées ? Qu’on y étouffe, qu’on y est un peu collés-serrés, surtout par ces fortes chaleurs ? Vous n’avez encore rien vu.
Dans les trente prochaines années, autant dire demain à l’échelle d’un projet urbain, deux milliards de personnes supplémentaires vont s’entasser sur la planète. La division de la population des Nations unies (ONU) a actualisé les compteurs le 17 juin : de 7,7 milliards d’humains aujourd’hui, la population mondiale va bondir à 9,7 milliards en 2050.
L’avantage avec la démographie, c’est que c’est une science assez exacte. Ni hypothèses hasardeuses, ni scénarios catastrophe ; on ne voit pas ce qui empêchera ces projections de se réaliser. D’ailleurs, les experts sont clairs : les deux tiers de la croissance d’ici à 2050 se produiraient, même si les pays à haut niveau de fécondité descendaient immédiatement à deux enfants par femme. L’Afrique subsaharienne, qui compte pour la moitié de cet essor de l’humanité (l’autre moitié se trouve essentiellement en Asie), devrait ainsi voir sa population doubler, passant de un à deux milliards d’habitants.
L’urbanisation du monde
Un point commun réunit les deux milliards de Terriens à venir : ils vivront dans des villes, après y être nés ou y avoir migré, quittant une région rurale. Car l’inflation démographique de la planète se conjugue à un autre phénomène, l’urbanisation du monde ; 4,2 milliards d’urbains en 2019, 6,7 milliards annoncés en 2050… Les deux tiers de l’humanité vivront alors dans des villes, contre 55 % aujourd’hui.
Les pays qui vont connaître les plus fortes croissances de leur population sont aussi pour beaucoup les plus ruraux, ceux où les infrastructures urbaines sont les moins développées, et où s’annonce un exode rural massif.
Des pays d’Afrique vont voir la population de leurs villes multipliée par trois en trois décennies. L’Ethiopie, par exemple, encore à 80 % rurale, va bondir de 24 millions de citadins à plus de 74 millions. La Tanzanie ? 21 millions d’urbains en 2019, plus de 76 millions en 2050. La République démocratique du Congo ? 40 millions d’habitants dans les villes aujourd’hui, 126 millions dans trente ans.
En Egypte, la population urbaine va passer de 43 à 85 millions d’habitants ; en Indonésie, de 153 à 234 millions. Les deux Etats ont en commun de vouloir créer une nouvelle capitale pour échapper à l’enfer urbain que sont devenus Le Caire et Djakarta.
Pour les pays en développement, cet effet de ciseaux entre démographie affolante et urbanisation galopante est presque ingérable. Comment anticiper une telle croissance ? Comment fournir à un rythme aussi soutenu logements et équipements, routes et transports, eau potable et assainissement ?
Bien des gouvernements préfèrent tenter, en pure perte, d’endiguer cette ruée urbaine plutôt que de l’accompagner
La réponse est simple : c’est impossible. D’autant plus impossible que ces pays sont largement dépourvus des moyens et des services qui permettraient de l’envisager. D’autant plus impossible que bien des gouvernements préfèrent tenter, en pure perte, d’endiguer cette ruée urbaine plutôt que de l’accompagner et tardent à déléguer des compétences à leurs collectivités locales.
Résultat : près d’un milliard de ces « citadins » vivent dans une large panoplie de bidonvilles plus ou moins dépourvus des conforts les plus basiques et souvent exposés à toutes sortes d’aléas – expulsions, inondations, glissements de terrain… Ce petit peuple des exclus du droit à la ville va doubler en trente ans : sur les deux milliards de Terriens en plus en 2050, la moitié vivra dans un bidonville, prévoit l’ONU.
Réussir l’urbanisation du monde est pourtant vital. Non seulement pour le respect des droits humains élémentaires et pour limiter les dégâts de ce basculement sur l’environnement, mais pour l’évolution démographique elle-même.
L’expérience prouve que le mouvement vers les villes, par un meilleur accès à l’éducation, une confrontation à des idées nouvelles et une modification des modes de vie, conduit à une baisse significative de la fécondité en une seule génération. De quoi desserrer un peu la pression démographique sur une planète en surchauffe.
Conférence
« Libertés, égalité, viabilité : la ville-monde face aux défis du siècle », vendredi 28 juin, de 9 heures à 12 h 30, à Ground Control (Paris 12e).
Participent à cette matinée de conférences et de tables rondes interactives : Carlo Ratti (Senseable City Lab, MIT et agence Carlo Ratti Associati), Ross Douglas (Autonomy Paris),Christian Buchel (Enedis), Nathalie Chiche (Data Expert), Renaud Epstein (maître de conférences en sciences politiques), Dominique Alba (APUR), Sonia Lavadinho (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et Bfluid), Robin Rivaton (auteur de La Ville pour tous, Editions de l’Observatoire, 190 p., 17 €), Jeffrey Raven (New York Institute of Technology), Léa Massaré di Duca (projet Wide Open), Cécile Maisonneuve (La Fabrique de la Cité), Nicolas Gilsoul (architecte et paysagiste), Carlos Moreno (Paris-I-Panthéon-Sorbonne),John Rossant(New Cities Foundation), Kjetil Thorsen(architecte, agence Snohetta).
Et les lauréats des prix de l’innovation urbaine Le Monde - Cities.
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