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lundi 24 juin 2019

Derrière la mort de Noa Pothoven, les leçons d’une « fake news »

La presse mondiale s’est emballée autour de l’histoire de cette jeune femme de 17 ans affirmant, à tort, qu’elle avait été « euthanasiée ». Une tragédie qui met en lumière le manque d’établissements spécialisés dans le traitement d’affections psychiatriques sévères aux Pays-Bas.
Par   Publié le 24 juin 2019
LETTRE DU BENELUX
Cette morbide fausse nouvelle restera décidément comme l’un des pires exemples d’un emballement médiatique totalement injustifié. Au début du mois de juin, partie de Central Europe News (CEN), une agence britannique spécialisée dans l’information sensationnelle et « bizarre », l’annonce de la mort de Noa Pothoven va se répandre dans le monde.
En général, les histoires de cobras dévoreurs d’enfants, de gamins à 48 dents ou de matadors embrochés ne passionnent que quelques tabloïds mais cette histoire-ci sera relayée par le Daily Mail d’abord, des journaux australiens, français, canadiens, indiens, américains ensuite. Sans, bien sûr, oublier la chaîne Fox News, trop heureuse sans doute d’illustrer à quelles prétendues extrémités peuvent mener des législations « extrêmes » dans un pays capable de faire n’importe quoi au nom de la tolérance.
Tous ces médias vont affirmer, sans aucune vérification, que la jeune Néerlandaise a été euthanasiée chez elle, avec l’aide d’une clinique de fin de vie. L’Italie aussi se passionne et va envoyer des journalistes à Arnhem pour tenter de traquer la famille Pothoven. C’est peut-être ce qui explique que le pape François lui-même ait jugé utile de commenter l’affaire sur Twitter. @Pontifex, lui aussi, aura donc été abusé par cette dramatique « fake news » (infox).

« Je ne vis plus vraiment, je survis »

Car, non, la jeune Néerlandaise n’a pas été « euthanasiée », ce qui aurait d’ailleurs supposé, aux termes de dispositions très formelles prévues par la loi, la présence de deux médecins. Elle voulait sans doute qu’on l’aide à s’en aller, réellement désireuse de mettre un terme à une existence qui n’aura été qu’une longue et épouvantable cascade d’épreuves. Terrassée, psychiquement ravagée, la jeune femme s’était effectivement adressée, à La Haye, au réseau qui gère l’euthanasie légale. Elle s’était vu répondre qu’elle était trop jeune et qu’elle devait poursuivre les traitements pour les traumatismes qu’elle avait subis.

Elle a donc finalement décidé de cesser de s’alimenter et de boire. Elle s’est suicidée et est morte dix jours après un dernier message posté sur Instagram où elle envisageait, disait-elle, ce départ comme une libération : « Il y a tellement longtemps que je ne vis plus vraiment, je survis. Et même cela, pas vraiment. »
Noa est décédée sous l’œil désemparé et compatissant de ses proches, qui avaient tout tenté pour sauver cette jeune femme au sourire si doux. Elle qui avait, un temps, espéré aider ceux qui, comme elle, ont été brutalisés par la vie et des êtres malfaisants. C’est pour eux qu’elle avait écrit un livre courageux intitulé Winnen of leren (« Gagner ou apprendre »).
La jeune femme n’aura pas gagné mais son pays aura, peut-être, beaucoup appris de son histoire. De sa vraie histoire, celle de 33 prises en charges, dans 23 institutions, et aucune apparemment capable de la traiter correctement, de soigner son anorexie et l’immense tristesse qui la rongeait. Abusée sexuellement lors d’une fête scolaire alors qu’elle n’avait que 11 ans, violée à nouveau trois ans plus tard, elle n’aurait jamais osé, jamais pu, parler des causes véritables de ces troubles qui entraînèrent plusieurs tentatives de suicide.
Jugée incurable, injuriée, enfermée elle fut placée durant des mois à l’isolement. Et c’est, expliquait-elle, une dernière hospitalisation forcée, à Arnhem, qui l’aurait assurée qu’elle n’avait plus d’autre choix que la mort. Plongée dans le coma et nourrie de force, elle avait, à sa sortie, décidé d’en finir. En désespoir de cause, ses parents ont réclamé un traitement par chocs électriques, qui lui fut aussi refusé compte tenu du jeune âge de Noa.

Complexité du secteur des soins

La leçon de la mort de l’adolescente est rude pour un pays qui manque d’établissements spécialisés dans le traitement d’affections psychiatriques sévères. Les autorités ont, en outre, procédé à une réforme très contestée en 2015, en confiant les secteurs de la santé mentale et de la prise en charge des jeunes aux municipalités. Au nom des sacro-saintes économies budgétaires et d’une décentralisation censée rapprocher les patients des soignants. Double échec, caractérisé par la multiplication des plaintes et l’allongement des listes d’attente. Les coûts ont augmenté et la qualité des soins a baissé, ont démontré des enquêtes. Peer van der Helm, un spécialiste de la Haute école de Leyde, estime que 250 jeunes ne bénéficient pas, à l’heure actuelle, d’une prise en charge adéquate. 250 adolescents comme Noa.
L’affaire de la fausse euthanasie servira-t-elle au moins à ce qu’ils soient mieux aidés ? Peut-être. Servira-t-elle, aussi, de énième leçon à certains médias, et non des moindres, qui se sont laissés abuser ? Face à la déferlante, ce sont, en tout cas, des journalistes qui ont rétabli la vérité, sans malheureusement que leur récit reçoive le même écho, car tous ceux qui avaient répandu la fausse nouvelle n’ont pas mis un zèle identique à la rectifier.
Un reporter du quotidien régional De Gelderlander, à Nimègue, connaissait Noa Pothoven depuis longtemps et avait salué sa force et son courage. Il a immédiatement raconté les vraies circonstances de son décès et a donné la parole à sa maman, Lisette, laquelle dénonce la complexité et la bureaucratie du secteur des soins pour adolescents aux Pays-Bas. Elle estime que la lecture du livre de sa fille décédée devrait être obligatoire pour les soignants, les juges et les responsables municipaux.
La correspondante de Politico a, elle aussi, contribué à rétablir la vérité et à relayer les appels de la famille Pothoven, qui réclamait qu’on la laisse en paix. Blessée par l’idée, répandue à tort dans le monde entier, qu’elle aurait contribué à « une euthanasie active », elle méritait au moins cela.

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