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vendredi 28 juin 2019

Déremboursement de l’homéopathie : des billes et des bisbilles

Par Eric Favereau — 
Les médicaments homéopathiques sont notamment critiqués pour leur absence de preuves d’efficacité thérapeutique.
Les médicaments homéopathiques sont notamment critiqués pour leur absence de preuves d’efficacité thérapeutique. Photo Hugo Ribes. Item

Si la Haute Autorité de santé s’est prononcée mercredi en faveur de la fin de la prise en charge des granules, le sujet divise toujours. «Libé» a fait débattre les professeurs Bernard Bégaud, perplexe devant cette décision, et Frédéric Lagarce, qui l’approuve.

Dérembourser ou pas l’homéopathie ? La commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) a voté mercredi pour la fin de la prise en charge, comme nous l’annoncions le soir même sur Libération.fr. L’avis, qui sera officiellement rendu public ce vendredi matin par la présidente de l’HAS, n’a rien d’une surprise : le déremboursement a été adopté par un vote à la quasi-unanimité, un seul membre s’y étant opposé. La balle est donc dans le camp de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, seule habilitée à prendre cette décision. «Je me tiendrai à l’avis de la Haute Autorité de santé», a-t-elle encore répété cette semaine, précisant juste qu’elle prendrait quelques jours avant de rendre sa décision. De son côté, dès jeudi, le laboratoire Boiron, colosse du marché, a dû suspendre son cours en Bourse.

Voyant la décision arriver, les pro-homéopathie se sont réveillés : au-delà des arguments scientifiques, ils ont déplacé le débat sur le terrain politique, lançant la campagne médiatique «Mon homéo, mon choix», soutenue par des élus, avec une pétition qui revendique plus d’un million de signatures. En début de semaine, ils ont reçu le soutien de deux syndicats de médecins : pour le Syndicat des médecins libéraux (SML) comme pour le Syndicat national des médecins homéopathes français (SNMFH), on assiste«à une polémique haineuse».
Une position que ne partage pas Frédéric Lagarce, professeur de pharmacie à l’université d’Angers et l’un des protagonistes de l’appel publié en mars 2018 dans le Figaroqui dénonçait les médecines alternatives, et en particulier l’homéopathie. C’est cet appel qui a relancé la guerre, et provoqué la saisine par Agnès Buzyn de la HAS. Que penser de ces affrontements ? Frédéric Lagarce débat ici avec le professeur Bernard Bégaud, professeur de pharmacovigilance à l’université de Bordeaux, qui doute, lui, de l’intérêt du déremboursement.
Commençons simplement : faut-il vraiment dérembourser l’homéopathie ?
Frédéric Lagarce : Le contexte est celui-ci : la HAS évalue les médicaments et en dérembourse un certain nombre quand ils n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. L’homéopathie, comme les autres médicaments, doit se plier à cette règle, et aujourd’hui, ce n’est un mystère pour personne, il y a un consensus international pour dire qu’elle n’a pas fait la preuve d’un effet thérapeutique autre que contextuel, c’est-à-dire un effet placebo. De ce fait, la HAS, via la commission de transparence, a fait son travail d’évaluation et se prononce sur la question du déremboursement. J’ajoute que l’on sait bien que nos ressources financières sont à présent limitées, et donc faute de preuve de leur efficacité, il est normal que la collectivité dérembourse les traitements homéopathiques. L’efficacité démontrée est le premier critère à prendre en compte.
Bernard Bégaud : Je n’ai pas de réponse définitive, ne voyant pas de très bonnes raisons pour ce déremboursement. Certes, si on s’en tient à un critère purement réglementaire, alors effectivement, dans notre schéma de pensée actuel où le remboursement se fait quand il y a des preuves d’un service médical rendu, on dérembourse.
Cette logique est claire, je l’accepte, n’est-ce pas la base de notre réglementation ? Pour autant, je me pose des questions. Nous sommes dans une situation bizarre, car il y a plus de 1 000 médicaments homéopathiques, ils ont tous le statut de médicament mais ils n’ont pas d’indication précise car ils sont censés «traiter le terrain de la personne». Or la commission de transparence de la HAS évalue un médicament dans une indication thérapeutique donnée, et non pas dans l’absolu. Que faire ?
Quant aux critères économiques, à la volonté de faire des économies, tout le monde sait que le coût de l’homéopathie, autour de 100 millions d’euros, est une goutte d’eau. Cette économie ne va pas permettre de financer l’innovation, comme le suggèrent certains, car il y aurait besoin de plusieurs milliards d’euros. C’est pour cela qu’au final, je pense qu’il aurait été préférable de se donner du temps. En tout cas, ce n’est pas une urgence, et je reste surpris par la disproportion entre la mobilisation contre l’homéopathie et les vrais enjeux. Car l’enjeu sanitaire autour du médicament est considérable. Nous avons des choix courageux à faire. Faut-il continuer à utiliser certains anticancéreux avec des surcoûts considérables pour des gains de vie limités ? En France, nous vivons dans un gaspillage médicamenteux invraisemblable.
F.L. : Rappelons qu’un certain nombre de médicaments qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité ont déjà été déremboursés. Quant à l’urgence de s’attaquer à l’homéopathie, je pense que cette dernière est un exemple, voire un symbole. Aujourd’hui, c’est de notoriété publique que l’homéopathie n’est qu’un placebo. Même si des personnes l’utilisent, tout le monde parle à son sujet de croyance : on n’y croit ou on n’y croit pas. Ce serait un mauvais exemple que de continuer à rembourser quelque chose qui relève de la croyance, voire un mauvais signal adressé aux autres laboratoires qui font, eux, de lourds investissements de recherche - jusqu’à 20% de leur chiffre d’affaires - pour montrer l’efficacité de leurs molécules. Là, le message est clair : vous ne faites pas preuve de votre efficacité, vous n’êtes plus remboursés. C’est ce qu’ont fait les Anglais, les Américains, les Australiens, les Espagnols… et c’est le sens de l’avis récent des Académies de médecine et de pharmacie.
B.B. : A propos de l’histoire de la croyance : je suis un pharmacologue classique, formé à la relation dose-effet, avec l’idée que plus la dose est élevée plus l’effet est fort. Là, nous nous situons à l’opposé de notre formation. Moi, je rêverais de refaire l’expérience Hahnemann, du nom du fondateur de l’homéopathie. Il avait souffert de fièvre paludéenne qu’il avait soignée par de l’écorce de quinquina. Il a voulu expérimenter sur lui-même ce médicament pour rechercher son mode d’action et chercher la bonne doser. Pourquoi ne pas essayer de nouveau, avec des standards de bonnes pratiques ?
Plus généralement, je suis étonné que l’on n’ait que des études très imparfaites. Donc, je reste prudent. D’autant que dans l’histoire récente, on a vu tellement de choses inexpliquées. En outre, l’industrie travaille elle aussi sur les grandes dilutions.
F.L. : Je suis d’accord pour dire qu’il manque des études. Et des études simples n’ont pas été faites. Pourquoi personne ne propose-t-il de programme hospitalier de recherche clinique, indépendant des laboratoires, avec une randomisation des patients, une mise en aveugle, pour évaluer des consultations d’homéopathie ?
En plus, l’homéopathie est souvent présentée comme étant sans risque. Ce n’est pas exact. Il existe des publications dans de grandes revues médicales montrant des effets secondaires. En outre, prendre de l’homéopathie peut provoquer un retard préjudiciable de prise en charge pour le patient. Des surmédications de médicaments classiques sont aussi décrites en association à l’homéopathie. Enfin, des publications montrent que beaucoup d’adeptes de l’homéopathie sont réticents aux vaccins et considèrent que prendre tel produit homéopathique en prévention leur sert de vaccin, ce qui est totalement inactif et donc dangereux pour ces patients mais aussi leur entourage. Il y a aussi des mésusages du médicament homéopathique pris en automédication. Tous ces points justifient aussi le déremboursement.
B.B. : Sans ironie, je dis souvent à mes étudiants que le risque est consubstantiel à l’efficacité : on ne connaît pas un médicament actif qui n’ait pas potentiellement des risques associés. Et je leur dis que c’est là le grand défi de l’homéopathie : si c’est actif et efficace, alors il doit y avoir aussi des effets secondaires. Mais lesquels ? Sur le mésusage, certes ce ne sont pas les mêmes patients, ni sociologiquement ni psychologiquement, qui se traitent ou pas par homéopathie. Mais là encore, ce qui me surprend c’est que l’on n’a pas ou peu fait d’études sur qui en prend, sur les effets sur la consommation de soins. Pourquoi ces études n’ont-elles pas été menées avant décision ? Cela peut être fait très vite.
F.L. : Chez Boiron, l’implication en recherche ramenée au chiffre d’affaires est faible par rapport aux autres laboratoires de l’industrie pharmaceutique. Il est vrai que les laboratoires homéopathiques n’ont pas été poussés à faire beaucoup de recherche du fait de la directive européenne de 2001, qui dispense les médicaments homéopathiques d’études cliniques d’efficacité sur une indication clinique pour obtenir le statut de médicament. Ou peut-être que certaines études ont été faites mais les résultats n’ont pas été donnés car jugés insuffisants.
Mais que dites-vous à un patient qui a recours à l’homéopathie ?
F.L. : Il faut respecter les souhaits des malades et ne pas les laisser sans réponse. Aujourd’hui, nous réfléchissons, à l’université d’Angers, à former les professionnels de santé pour mieux répondre à une demande de traitements non conventionnels de la part des patients. Un certificat d’université sera ouvert dans notre faculté de santé début 2020. Que dire ? Il faut apporter une réponse, soit par d’autres médicaments, soit par des techniques éprouvées, comme le sport, la relaxation, etc. Nous sommes en France, de toute façon, de trop gros consommateurs de médicaments.
B.B. : Si une personne estime mieux dormir avec de l’homéopathie, pourquoi la bousculer et la conduire à prendre une benzodiazépine ? C’est cela qui m’inquiète. Il y a beaucoup de patients qui prennent de l’homéopathie… Dans les situations de consommation massive, il faut faire attention. Un arrêt éventuel de remboursement ne s’improvise pas, il se prépare, s’étudie.
F.L. : Je suis d’accord, mais l’idée n’est pas d’interdire l’homéopathie, juste de la dérembourser et de retrouver la situation d’avant 1984. Des critères économiques ne devraient pas entrer en compte pour la décision de remboursement. D’ailleurs, l’activité était florissante avant le remboursement. Je pense que la bonne question est celle du risque du report vers d’autres médicaments. On peut ainsi imaginer dérembourser et faire le point dans deux ans. Mais je le redis, le remboursement doit se baser sur le service médical rendu et démontré : mettre au point un médicament sur le marché, cela coûte 900 millions d’euros, dont une grande partie pour monter des essais cliniques. Et on dirait aux labos homéopathiques «vous, vous pouvez vous en passer» ?
B.B. : Il y a un autre risque. Aujourd’hui, en France, la situation sur les médicaments est très tendue, sans doute parce que les pouvoirs publics sont trop absents du débat et ont laissé les réseaux sociaux occuper toute la place. Je suis un peu inquiet que cette décision puisse être ressentie comme la manifestation du lobbying des grandes firmes pharmaceutiques. En tout cas, si on dérembourse, on ne peut pas faire l’économie d’un grand ménage. Qui consomme quoi ? Quand on apprend que 16 millions de patients ont pris des inhibiteurs de la pompe à protons [anti-ulcéreux, ndlr], on ne peut être qu’inquiet. Et quand on sait que 40 % de la prise de statines [contre le cholestérol] n’a pas de justification clinique, on ne peut pas éviter ce grand débat.
F.L. : Je suis 100 % d’accord. Il faut que ce déremboursement soit le déclencheur pour opérer un grand ménage sur un grand nombre de médicaments qui ont un service rendu insuffisant. Mais je voudrais vous dire que je suis choqué par le fait que les laboratoires homéopathiques ne dénoncent pas des pratiques inappropriées et dangereuses. Quand on voit que Boiron finance Homéopathes sans frontières, qui propose un traitement de fond homéopathique sur le paludisme… Les laboratoires homéopathiques, eux aussi, n’ont pas fait le ménage.

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