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samedi 29 juin 2019

Khadija, victime d’un viol collectif au Maroc : « A l’issue du procès, j’espère revivre normalement »

Douze hommes âgés de 19 à 29 ans sont jugés pour « traite d’être humain, viol, constitution de bande organisée, enlèvement et séquestration ».
Par Théa Ollivier  Publié le 26 juin 2019
Agée de 17 ans au moment des faits, Khadija (ici le 21 août 2018) a raconté avoir été kidnappée, séquestrée, violée et tatouée par une dizaine d’hommes à Oulad Ayad, au Maroc.
Agée de 17 ans au moment des faits, Khadija (ici le 21 août 2018) a raconté avoir été kidnappée, séquestrée, violée et tatouée par une dizaine d’hommes à Oulad Ayad, au Maroc. STRINGER / AFP
« J’ai eu peur pendant cette audience », témoigne Khadija, qui a assisté au procès de ses bourreaux présumés, mardi 25 juin, assise au milieu de leurs mères et sœurs, tandis que son père était de l’autre côté de la salle d’audience du tribunal de Beni Mellal, dans le centre du Maroc. Agée de 17 ans au moment des faits, Khadija a porté plainte, en août 2018, contre une dizaine d’hommes de son village d’Oulad Ayad, au pied du Moyen-Atlas. Dans une vidéo devenue virale, elle a raconté avoir été kidnappée, séquestrée, violée et grossièrement tatouée sur tout son corps, contre son gré. Des violences qui ont duré deux mois.
Les douze prévenus, âgés de 19 à 29 ans, sont jugés pour « traite d’être humain, viol, constitution de bande organisée, enlèvement et séquestration ». Ils risquent jusqu’à trente ans de prison. Le treizième prévenu, mineur au moment des faits, est jugé séparément à huis clos, et un dernier suspect, qui était en fuite, a été arrêté plus récemment. La phase d’instruction de l’enquête vient d’être terminée, confie Ibrahim Hachane, l’un des avocats de Khadija, au Monde Afrique.

« J’ai confiance dans la justice »

Dans le tribunal de Beni Mellal, « l’ambiance était tendue et électrique », témoigne Laila Slassi, fondatrice du collectif Masaktach (« je ne me tais pas », en dialecte marocain). Depuis l’année dernière, elle accompagne Khadija dans ses démarches juridiques et médicales. Elle regrette la configuration choisie. « C’était la première audience à laquelle assistait Khadija, elle a eu un courage incroyable. Elle était au milieu des familles des détenus, qui la regardaient avec des yeux noirs, mais il y avait un bon maintien de l’ordre », estime la militante casablancaise, qui se félicite que « les expertises du juge d’instruction aient confirmé la date des tatouages et son état psychologique ».
Le père de l’adolescente, Mohamed, se dit pour sa part « serein et rassuré par le travail d’instruction, dont les procédures ont été respectées avec beaucoup de sérieux ». Cette qualité du travail est confirmée par Me Hachane, pour qui « le juge d’instruction a fait un bon travail » et qui observe que « le dossier avance bien »,plaidant pour que soient appliquées les peines les plus sévères. Depuis l’ouverture du procès, en avril, aucun accusé n’a encore pris la parole ou été interrogé. La troisième audience a été reportée au 9 juillet, deux des prévenus n’ayant toujours pas d’avocat.
Khadija aussi veut croire dans l’issue du procès. « J’ai confiance dans la justice,explique-t-elle d’une voix posée. En déposant ma plainte, je savais que la procédure serait longue et difficile. J’ai décidé d’avoir la patience nécessaire pour affronter cette épreuve jusqu’au bout, sans regret. Je fais aussi cela pour montrer l’exemple et pour que ces choses ne se répètent pas. » Issue d’une famille défavorisée, la jeune fille espère pouvoir démarrer rapidement la phase de soin et effacer les tatouages qui couvrent ses bras, ses jambes et son cou.

Des juges « laxistes envers les criminels sexuels »

L’émoi suscité par cette affaire a abouti à la création d’un réseau de solidarité. « A Masaktach, nous avons contacté des médecins qui ont accepté de travailler gratuitement », se réjouit Laila Slassi, dont le collectif féministe s’est créé dans la foulée des révélations de Khadija. Très vite, les propos de la jeune fille ont été remis en question et le premier soutien, unanime à l’échelle du pays, s’est dissipé lorsque les familles des prévenus ont commencé à critiquer les « mauvaises mœurs » de Khadija, l’accusant de « boire, fumer et traîner avec les garçons ». Des raisons suffisantes, selon elles, pour la désigner comme responsable de son agression, alors même que ces allégations sont niées par l’adolescente et ses proches.
Preuve du « malaise social » qui règne au Maroc, pour reprendre les mots de Laila Slassi, plus de 90 % des personnes qui ont subi des actes de violence ne portent pas plainte contre leurs agresseurs, selon une récente enquête officielle citée par l’AFP. Et quand les femmes portent plainte, il n’y a pas toujours de suites. « La loi marocaine protège les femmes victimes de violences. Le problème, c’est l’application de la loi par les juges, qui sont laxistes envers les criminels sexuels, insiste la militante. Il ne faut pas attendre que ce soit grave à ce point pour réagir. »
Mohamed, le père de Khadija, est encore sous le choc. « L’ambiance reste très tendue et difficile dans le village, où beaucoup de gens nous en veulent », témoigne ce père de famille qui a dû arrêter de travailler et « reste inquiet pour la santé de Khadija ». La jeune fille avoue être incapable de se projeter dans l’avenir tant qu’elle a la tête dans le procès et qu’elle garde ses tatouages : « C’est un drame qui m’a bouleversée, moi et toute ma famille. A l’issue du procès, j’espère revivre normalement, quitter Oulad Ayad et refaire notre vie ailleurs, tranquillement. »

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