L’homme avait tué un restaurateur et une avocate. Il souhaitait la prison, pas l’hôpital.
LE MONDE | | Par Luc Leroux (Marseille, correspondant)
Juger les malades mentaux meurtriers est un casse-tête pour la justice. La cour d’assises des Bouches-du-Rhône, qui a condamné, jeudi 5 juillet, Laïdi Sahki à la réclusion criminelle à perpétuité pour les meurtres d’une avocate marseillaise, Me Raymonde Talbot, égorgée à son bureau en novembre 2012, et d’un restaurateur d’Aubagne frappé, quatre mois plus tôt, de 90 coups de couteau, n’a pas échappé à ces difficultés.
Les jurés ont ajouté deux verrous : une période de sûreté de vingt-deux ans et une mesure de suivi socio-judiciaire de dix ans à l’issue de la peine. « Il faut qu’il soit mis hors d’état de nuire, a précisé Béatrice Vautherin, avocate générale. La peine doit être longue pour qu’il sorte de sa nuit et reprenne une stature humaine. » La prison et non pas l’hôpital psychiatrique, c’est ce que souhaitait Laïdi Sahki, 33 ans, dont les premiers et derniers mots lors de son procès ont été : « Je garde le silence. » Le visage envahi de cheveux longs et d’une barbe noire fournie, l’accusé n’a pas desserré les dents. A l’exception d’un « A vrai dire, je m’en fous, je m’en bats les couilles », lorsque le président l’a questionné sur Me Raymonde Talbot, 66 ans, qui était l’avocate de ses parents. Il a aussi applaudi lors de la déposition du mari de la victime, qui invitait les jurés à protéger la société : « Vous pouvez le jeter au fond d’un puits, le mettre à l’hôpital, en prison. Je vous demande juste qu’il n’y ait pas d’autres personnes qui soient rayées de la surface de la terre comme cela. »
Le jour où elle a été tuée, Raymonde Talbot avait reçu un client dont le nom figurait sur son agenda : « Sahki ». Une dizaine de jours plus tard, les enquêteurs découvraient dans la chambre de Laïdi Sahki son sac à main, ses papiers, ses bijoux et un long couteau cassé. La pointe de la lame avait été récupérée dans une des plaies. « Il est rare de retrouver autant d’éléments à charge »,a confié un enquêteur. Sur un des nombreux couteaux trouvés dans la table de chevet de l’accusé, il y avait aussi l’ADN d’Hassan Chahine, un restaurateur d’Aubagne découvert exsangue par une factrice, le 1er août 2012.
« Dimension de jouissance »
Trois ans durant, Laïdi Sahki n’a rien dit, racontant qu’il avait trouvé les affaires de l’avocate dans une poubelle. En 2015, face à deux psychiatres, il avouait avoir tué sur ordre d’une voix, marionnette d’un djinn le mettant au défi : « Vas-y, essaie de tuer ! » Son père avait consulté un marabout pour le désenvoûter, inquiet de sa fascination pour les couteaux, de le voir toujours enfermé dans le noir et racontant « des trucs qui sortaient de sa tête ».
Deux collèges d’experts ont diagnostiqué une schizophrénie paranoïde évoluant à bas bruit. « C’est l’individu le plus dangereux sur le plan psychiatrique qu’il m’a été donné de rencontrer », a confié le professeur Jean Naudin, spécialiste de la schizophrénie. Selon celui-ci, « la violence de l’acte peut faire penser à une dimension de jouissance qui pourrait bien être présente encore ».
Quatre experts se sont prononcés pour l’abolition du discernement au moment des faits, ce qui, selon la loi, conduit à une déclaration d’irresponsabilité pénale, mais un dernier collège a ouvert la voie à ce procès en ne reconnaissant qu’une altération. « Nous sommes formels, il n’est pas schizophrène, il a une bonne adaptation au réel même si on ne peut exclure une bouffée délirante », ont estimé les docteurs Louis Roure et Roland Coutanceau.
Les jurés ont reconnu l’altération du discernement mais ont écarté la diminution de peine prévue par la loi et proposée par l’avocate générale – « ce serait juste et humain ». Elle avait requis trente années de réclusion avec une période de sûreté des deux tiers.
A contrecœur, Me Marion Martin-Franceschi a rempli le mandat confié par Laïdi Sahki : ne pas poser une question, ne pas plaider. Un accusé impatient de rejoindre sa cellule du quartier d’isolement des Baumettes et dont l’un des très rares propos a été : « Finissez le procès ! Condamnez-moi ! »
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