Les promesses des scientifiques ne se réalisent pas toujours. Le chirurgien Laurent Alexandre estime qu’à l’instar de l’intelligence artificielle, qui a connu plusieurs hivers avant de renaître, les biotechnologies pourrait être à l’aube d’une éclipse.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Laurent Alexandre (Chirurgien urologue, président de DNAVision)
Carte blanche. Lors de la première conférence sur l’intelligence artificielle qui s’est tenue au Dartmouth College pendant l’été 1956, les scientifiques avaient promis que l’avènement de cerveaux électroniques, disposant de conscience artificielle et égalant l’homme, était imminent. La désillusion fut terrible : la course aux subventions avait conduit les chercheurs à faire des promesses totalement insensées à leurs sponsors, qui s’en aperçurent à partir de 1965.
Après avoir suscité des espoirs irréalistes, les échecs de l’intelligence artificielle ont provoqué un effondrement des financements. Une deuxième vague de recherche dans les années 1980 s’est à nouveau fracassée sur la complexité du cerveau humain.
Ces désillusions successives sont connues, dans le monde de la recherche en informatique, sous le nom d’« hivers de l’intelligence artificielle ». Dans les sciences du vivant, certains chercheurs ont également fait des promesses bien légères : un hiver des biotechnologies est tout à fait possible.
L’ingénierie du vivant – cellules souches, modifications génétiques, organes artificiels – est supposée pouvoir traiter les maladies dégénératives et accélérer le recul de la mort. Mais entre les fantasmes technologiques et la commercialisation d’un traitement bien évalué, il y a un immense fossé que certains chercheurs et les start-up ignorent.
Mutations potentiellement graves
Capables de se différencier en cellules adultes et de former des tissus, les cellules souches sont théoriquement aptes à revitaliser des organes malades, ce qui alimente l’espoir de faire passer la médecine de la réparation à la régénération. La création de rétine en éprouvette à partir de cellules souches a, par exemple, été réussie dès 2011, mais la plupart des tentatives chez les patients ont échoué à ralentir ou à prévenir les cécités.
Au regard de ces magnifiques espoirs, la découverte que la reprogrammation des cellules souches s’accompagne d’anomalies génétiques a refroidi les médecins. Ces mutations induites par l’ingénierie cellulaire sont potentiellement graves puisqu’elles concernent des gènes impliqués dans la cancérogénèse : la reprogrammation des cellules souches peut détruire les mécanismes génétiques de protection contre le cancer et favoriser la croissance des tumeurs.
Pour les cellules souches, dont beaucoup d’indications concernent des maladies dégénératives touchant des patients jeunes, il est essentiel de garantir qu’elles ne généreront pas de tumeurs pendant des décennies. Les retards de la médecine régénérative sont cruels pour les malades atteints de maladies de la rétine, de myopathie ou de neuropathie.
Echecs
Autre échec des biotechnologies, les médicaments ont tous échoué à traiter ou ralentir l’Alzheimer, ce qui explique qu’ils vont être déremboursés par la Sécurité sociale. En outre, les tout derniers essais thérapeutiques avec des immunothérapies innovantes ont dû être arrêtés faute d’efficacité.
Dernière mauvaise nouvelle, deux études viennent de montrer que les ultramédiatisés « ciseaux à ADN » du type Crispr-Cas9, qui sont supposés permettre de traiter les maladies génétiques comme la myopathie, pourraient favoriser le cancer en sélectionnant les cellules ayant des capacités de défense amoindries face aux mécanismes tumoraux. Il est à craindre que cette découverte ne retarde encore la médecine génomique, ce qui serait bien décevant pour les malades : la complexité du vivant a été considérablement sous-estimée !
Le chemin de l’éprouvette au malade sera long : une technique prometteuse ne devient réalité qu’après de longues étapes de validation. Au moment où les transhumanistes prétendent pouvoir nous rendre immortels, nous risquons paradoxalement une crise des biotechnologies ! Winter is coming.
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