Malgré le développement de nouvelles technologies et organisations, le travail devient plus stressant, intense et dénué de sens, dans une société hyperrationnelle, peuplée d’une multitude de solitudes connectées, explique l’économiste Mireille Bruyère dans « L’Insoutenable productivité du travail ».
LE MONDE | | Par Margherita Nasi
Livre. Et si la rationalité économique ne tenait plus sa promesse ? Malgré le développement de nouvelles technologies et organisations, le travail devient plus stressant, intense et dénué de sens. « Il y a un écart croissant entre notre foi dans le progrès par le développement de nos connaissances et de la technologie et le monde dans lequel nous vivons », constate Mireille Bruyère, dans L’Insoutenable Productivité du travail. Mais pourquoi voulons-nous toujours plus de rationalité et de productivité ?
« Nous sommes malades de productivité. Non pas que la productivité au travail soit toujours mauvaise, mais parce qu’elle a atteint un niveau si élevé que tenter encore de l’accroître est devenu insoutenable. Or la productivité est un concept qui n’a de sens économique que lorsqu’elle s’accroît. C’est de cela dont nous sommes malades », tranche la maître de conférences en économie à l’université de Toulouse-II Jean-Jaurès.
Une société hyperrationnelle
L’auteure retrace l’histoire économique et politique de la productivité, et analyse son ralentissement dans les années 1980. « Les politiques économiques des Etats et la financiarisation des entreprises sont une tentative, non pas de retrouver la croissance économique, mais de trouver d’autres manières de développer encore leur puissance au-delà du ralentissement de la productivité et de la croissance. »
Le résultat, c’est une société hyperrationnelle, peuplée d’une multitude de solitudes connectées. Elle émerge déjà par une individualisation des droits sociaux : les réformes qui visent à la création de comptes personnels retraçant l’activité et conditionnant l’attribution de revenus sont les fruits de cette dynamique d’individualisation, qui « encourage une autonomie complète des institutions du capital pour organiser et orienter le travail dans des conditions de plus en plus inhumaines pour des finalités productives écologiquement dangereuses et socialement inutiles ».
Propre aliénation
L’ouvrage ne comporte pas de catalogue de mesures politiques pour sortir de l’impasse : l’auteure souhaite plutôt « contribuer à penser ce qui nous aliène ». Car la domination économique s’appuie aussi sur notre propre aliénation, à l’idée d’un « indépassable et nécessaire accroissement de la productivité comme signe de notre propre puissance ».
Pour remettre en question l’économie comme savoir central de nos sociétés, les chapitres de l’ouvrage commencent par décrire les phénomènes sociaux ou historiques pour finir par leurs déclinaisons en terme économique. « L’économie est alors une traduction, une conséquence de nos désirs, de nos représentations et de nos institutions, et non la cause. »
« L’Insoutenable productivité du travail », de Mireille Bruyère (Editions Le bord de l’eau, 160 pages,
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