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lundi 2 juillet 2018

Essai de psychanalyse de Donald Trump (1/2) : aux origines allemandes

Professeur de littératures française et québécoise à Montréal, Heinz Weinmann propose à Mediapart un essai de psychanalyse du quarante-cinquième président des États-Unis en deux volets. Premier épisode : un retour aux origines allemandes avec Friedrich Trump, le grand-père de Donald.
Le 8 novembre 2017 a marqué le premier anniversaire de l’élection de Donald Trump. Depuis un an, nous avons droit à beaucoup d’analyses politiques, économiques et récemment même psychiatriques[1] du « phénomène », du « cas » Donald Trump. Comment ne pas avoir pensé d’abordà sa généalogie parentale, son origine allemande que, pendant très longtemps, il a essayé d’occulter ? Ce regard sur son rapport à ses parents, sur leur passé allemand, nous fait mieux comprendre ses comportements pour le moins atypiques pour les fonctions d’un Président des États-Unis. Jetons donc un bref regard sur ce passé.
En 1885, un adolescent âgé de seize ans nommé Friedrich Trump, du village de Kallstadt au Palatinat (Pfalz), Allemagne, laisse une note sur la table de cuisine de ses parents : « Je suis parti pour l’Amérique. » Surpris probablement par l’annonce brutale de ce départ, les parents ne le sont pas par le départ lui-même. Car l’année précédente, la sœur aînée avait déjà montré à son petit frère le chemin de l’Amérique, dorénavant installée avec son mari à Manhattan. Un million d’Allemands quitteront ainsi dans les années 1880 leur « patrie », déclarée dès 1871 « Second Empire » sous la poigne de la Prusse et de son « Chancelier de fer », Bismarck.
Très mal loti par l’histoire, vue sa position tampon entre l’Allemagne et la France, le Palatinat a été ravagé par de nombreuses guerres, à commencer par la Guerre de Trente Ans (1618-1648), internationalisation des Guerres de religion, puis les guerres entre Louis XIV et l’Empire, entraînant les deux « ravages du Palatinat » (1674, 1689), avec trente-deux villes et villages sauvagement incendiés par Turenne. Devenus protestants lors de la Réforme tout en étant rattachés au très catholique royaume de Bavière, les Palatins, trop proches des idées « éclairées » de la France voisine, ont été des habitants de seconde zone, observés avec méfiance par Munich.
Autrement dit, l’avenir était bouché dans cette région plus qu’ailleurs en Allemagne. Pas étonnant qu’un nombre relativement grand de ce flot d’immigrés allemands en Amérique soit venu du Palatinat. Pas étonnant non plus qu’une génération plus tôt, Friedrich Trump, le grand-père de Donald, soit parti avec un autre fils de Kallstadt, cette fois avec ses parents, Henry John Heinz, l’inventeur du Ketchup, d’ailleurs cousin au deuxième degré de Friedrich.
Un immigrant allemand malgré lui
Né dans une famille de vignerons pauvres de six enfants, le puîné n’a d’autre choix que d’apprendre le métier de coiffeur, ce qui visiblement le « rase ». Donc, il part illico, son apprentissage fini, aimanté par le « rêve d’Amérique », parce qu’il veut devenir rapidement riche. Remplir des bouteilles de tomates comme son cousin n’est pas son « affaire » !
Le rêve du Far Ouest s’étant évanoui depuis que la Frontier avait atteint le Pacifique vers le milieu du siècle, il reste comme horizon de rêve du « tout possible » le Nord-Ouest, là où vers 1896 s’est déclenché le second Gold Rush, celui du Klondike. Après cinq ans passés chez sa sœur à New York, à couper des cheveux et raser des barbes, Friedrich part pour le Nord-Ouest et s’installe à Seattle en 1891. Il y ouvre un restaurant dans le quartier red light : à part les repas et les boissons, la maison offre aussi des « rooms for ladies », euphémisme pour bordel. Durant l’été 1897, le premier navire chargé d’or du Klondike arrive dans le port de Seattle. Frederick – entre-temps naturalisé américain – est en bonne position pour profiter au maximum de la manne d’or. Il y développe l’ADN du « basic instinct », de The Art of the Deal des Trump.
Frederick sait qu’il y aura peu d’élus dans cette ruée vers l’or (4 000 sur 40 000 appelés), aussi il choisit la stratégie où il sera à tous les coups gagnant. De constitution frêle, il est exclu qu’il concurrence ces bourlingueurs costauds sur le terrain ; il lui faut juste suivre cette ruée vers l’or en pourvoyant aux besoins primitifs (manger, boire, dormir, sexe) des aventuriers qui dépensent leur or aussi vite qu’ils le gagnent. Pour cela, ses restaurants doivent être soit ambulants, transbordés par barge (le « Fitzcarraldo » du Klondike), soit abandonnés à court terme pour aussitôt être établis plus au nord, afin que l’or des trouveurs puisse remplir les poches du parasite (« celui qui mange avec ») opportuniste. Rien de choquant dans cet univers où règne la « loi de la jungle » et où le plus fort l’emporte sur le « faible », écrasé sans pitié.
Les différents hôtels-restaurants de Frederick marquent ainsi les parcours du Klondike : de Monte Christo – parce qu’un prospecteur lisait le roman de Dumas ! –, en passant par Bennet, jusqu’à Whitehorse en Colombie-Britannique. Dans son restaurant de Whitehorse, Frederick commence à réaliser ce que veut dire Think Big : 3 000 repas servis par jour, un tripot (pas encore de casino) où les joueurs misent par milliers de dollars en or, avec des balances pour peser le précieux métal, et toujours ces « rooms for ladies ». Nous sommes au Canada, les Red Coats (GRC) sont sur place pour « faire la loi », interdire jeu, boisson… et le reste.
Avec son flair, l’Allemand américanisé sent le roussi, vend le restaurant à son associé – qui sombre dans l’alcoolisme, le resto devenant la proie des flammes – et retourne en Allemagne. Il voulait être riche… et prendre épouse allemande, une voisine de Kallstadt, Elisabeth, qui avait cinq ans lors de son départ. Tonton Cristobal est arrivé, cousu d’or, admiré par son village ! Il retourne avec sa femme à New York, mais cette dernière est frappée d’un violent « mal du pays » (Heimweh) que tout émigrant connaît. Il retourne alors à Kallstadt avec l’intention de s’y s’installer à demeure, puisqu’il pourra mener une vie confortable avec son or déposé à la banque qui « travaille » pour lui…
Imprévu revers du destin : le gouvernement de Bavière lui retire son droit de séjour et sa nationalité allemande pour avoir esquivé le service militaire (de trois ans) en émigrant aux États-Unis. Peu importe que la loi soit passée en 1886, alors que Frederick est parti l’année d’avant. Des pétitions, des suppliques au gouvernement, au prince Luitpold, rien n’y fait, l’Allemand qu’il s’est cru être encore doit quitter son pays, de gré ou de force. Les dés du sort des États-Unis de 2016 auront été jetés à ce moment-là. Elisabeth est enceinte lorsqu’elle rembarque sur le navire à destination de New York en 1905 et accouche l’année même de Fred, père de Donald Trump.
Nous sommes dans l’histoire alternative : que serait-il arrivé si le grand-père de Trump avait pu rester en Allemagne ?
Narcisse et Écho
À parcourir la vie du grand-père de Trump, on se demande comment Donald, issu d’une immigration relativement récente, a pu développer tant de suspicion, tant de haine contre certains immigrants, contre tout immigrant ? Son « roman familial » risque de donner une réponse non seulement à cette question mais à bien d’autres que le monde entier se pose concernant le comportement atypique du 45e Président des États-Unis. La psychanalyse nous dit que l’enfant, au cours de son développement normal, passe progressivement d’un « narcissisme primaire » nombriliste où le sujet, tel Narcisse, ne voit que le MOI – Freud parle de « libido du moi » – à un stade où il s’ouvre sur le Monde, sur l’Autre, alors reconnus dans leur réalité objectale (« libido d’objet »). Or le sujet narcissique (« névrose narcissique ») ne voit pas les Autres, puisqu’ils ne sont pour lui que des miroirs réfléchissant son propre Ego. La (dé)négation ou forclusion narcissique de l’Autre commence au sein de la famille, dont le « roman familial » est un des symptômes.
Pour Donald Trump, reconnaître un grand-père plus grand que nature, héros paradigmatique du « rêve américain », signifierait se rapetisser d’autant et surtout donner un coup fatal à son image de self-made man qu’il propose de projeter. Dans son autobiographie The Art of the Deal (1987), Donald liquide, pour ne pas dire « assassine », son grand-père en deux mots : il était un hard liver et un hard drinker. Traduire hard liver par « bon vivant » serait un euphémisme, il faudrait dire « dépravé », rimant avec hard drinker, alcoolique invétéré. Son propre père, Fred, dans cette « autobiographie » – qui n’est autre qu’une autocréation, qu’une auto-statufication narcissique –, ne dépasse guère le stade de builder manuel. Le traitement échu à ses père et grand-père, à l’origine de la fortune de Donald – à sa mort, Fred laisse une fortune de $300 millions –, vise quiconque fait de l’ombre à l’Imago d’autogenèse de Donald. L’Autre devient alors l’Ennemi qu’il poursuit de sa vindicte : il le rapetisse, le dénigre, le discrédite comme il l’a fait avec ses concurrents à la campagne, notamment Hillary Clinton : « nasty woman », « lock her up », telle une criminelle. Les juges et les membres de « son » parti aujourd’hui qui ne font pas ses quatre volontés, subissent le même sort. 
Réaction d’autant plus violente que la vie de Donald est basée sur deux mensonges généalogiques : il dit depuis longtemps, déjà en 1987, qu’il est d’origine « suédoise » et met en cause la légitimité morale de celui qui a fait souche aux États-Unis. Ce lourd déficit de légitimité, il doit le compenser par une vie éblouissante de glamour qui accapare le regard du spectateur, l’empêchant de tourner son regard vers son passé. Il a même eu le culot d’accuser la présidence d’Obama d’être « illégitime » sous prétexte que le Président «  n’était pas né aux États-Unis ».
Vie de glamour, de succès, de records superlatifs – le terme deal, d’origine germanique, comme d’ailleurs dollar, indique d’abord une « grande quantité » –, cela va de pair avec une fascination maladive pour les cotes de popularité, à commencer par celle de The Apprentice – ridiculisant là encore la chute des cotes de son « remplaçant », Arnold Schwarzenegger –, jusqu’à la guerre des chiffres à propos du nombre d’assistants à son inauguration le 20 janvier, etc. Dès qu’il y a déficit, on accusera la « dishonest press » d’avoir falsifié, maquillé les chiffres, les « faits ». Le terme alternative facts, surgi à ce moment, ne saurait être un hasard, puisque la vie même de Donald Trump est basée sur un « alternative fact » : il a gommé une réalité généalogique fabriquée (fake) par l’image narcissique projetée qui devient sa « réalité » déclarée. Du coup, son « America first », à l’origine une posture narcissique, doit faire oublier qu’il n’a pas été le first American de sa famille… venue dans ce pays près de trois cents après la Mayflower (1620) ! D’autre part, sa haine contre l’Autre authentifie par la négative sa fiction d’« autochtonie ». 
La chambre d’écho que constituent lesdits « réseaux sociaux », loin de corriger, voire de freiner, ces confusions réalité/fiction, au contraire iront les décupler, puisque les « bruits abrutissants » y ont remplacé l’analyse critique du fact checking. De même que Narcisse ne « reconnaît » que le seul Écho de sa propre voix, de la même façon Trump ne reconnaît comme média véridique que ses propres tweets, faisant des médias dits officiels un bruit qui brouille le message originel, émané de Narcisse. Comme le disait la voix de son ancien maître Steve Bannon, tombé aussi en disgrâce, ces médias sont une opposition à la Voix première, à la « Voix de son Maître », nulle autre que la Voix de Donald lui-même.
[1] Brandy X. Lee et Robert Jay Lifton (dir.), The Dangerous Case of Donald Trump, Thomas Dunne Books, 2017.
[Heinz Weinmann, né en 1940 à Bad Mergentheim, est un universitaire québecois, professeur de littératures française et québécoise. Son dernier ouvrage, État-nation, tyrannie et droits humains, Archéologie de l’ordre politique, est paru chez Liber en 2017.]
À suivre : Mensonges et politique

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