Le risque de mourir atteindrait un plateau après l’âge de 105 ans. Ces observations, présentées dans la revue « Science », suscitent la controverse.
La formule est célèbre, presque trop. « L’Eternité c’est long, surtout vers la fin. » En l’écrivant, le cinéaste Woody Allen n’imaginait sans doute pas qu’une poignée de démographes viendraient rendre à ces quelques mots une nouvelle jeunesse. Dans la revue Science du 29 juin, une équipe de chercheurs italiens et américains annonce avoir mis en évidence un « plateau dans la mortalité humaine ». Rompant avec la théorie dominante depuis deux siècles, ils assurent qu’à partir de 105 ans, le risque de mourir cesse d’augmenter pour devenir constant. De quoi provoquer une sérieuse et immédiate controverse, tant scientifique que politique, voire philosophique.
Pour en mesurer l’ampleur, il faut savoir qu’en 1825, le mathématicien britannique Benjamin Gompertz a modélisé le taux de mortalité humaine. Selon sa loi, le risque de mourir suit une fonction exponentielle. Autrement dit, plus on avance en âge, plus ce risque augmente. Il augmente même de façon importante. Ce modèle a servi aux démographes, mais aussi aux assureurs ou encore aux médecins travaillant sur la croissance des tumeurs. Pourtant, depuis quelques années, ce principe a été sérieusement remis en cause. Des biologistes ont en effet découvert que des levures, des vers ou encore des insectes ne semblaient pas suivre cette distribution. Qu’en était-il alors des humains ?
Pour lancer leur affirmation, l’Italienne Elisabetta Barbi, de l’université Sapienza de Rome, et ses collègues se sont appuyés sur les données italiennes. Ils ont analysé la trajectoire individuelle des 3 836 personnes âgées d’au moins 105 ans, observées entre 2009 et 2015. Près des trois quarts d’entre elles sont mortes pendant l’étude, un quart étaient encore vivantes au 31 décembre 2015. Les hommes ne constituaient que 12 % de l’échantillon.
Les scientifiques ont mis en évidence l’augmentation de la taille des cohortes au fur et à mesure que les années passaient, ce qui confirme la croissance du nombre de centenaires ou de super-centenaires (110 ans). Surtout, ils ont fait tourner leurs modèles pour interpréter les données observées. Ils concluent qu’à partir de 105 ans la probabilité de mourir dans l’année plafonne à 0,475.Autrement dit, à partir de cet âge, un vivant garde 47,5 % de chances de mourir dans les douze mois suivants. Son espérance de vie ne baisse plus chaque année, elle se stabilise à 1,55 ans.
A en croire Elisabetta Barbi, « l’originalité de l’étude tient aux qualités exceptionnelles des données italiennes ». Depuis 2009, l’Institut national de statistiques (Istat) y « valide » tous les décès intervenus à partir de 105 ans. Chaque mairie doit lui signaler la mort d’un de ses super-vieux et transmettre le certificat de décès. A partir de 110 ans, un certificat de naissance est également exigé pour éviter toute erreur.
Fausses déclarations
Entre 105 et 110 ans, l’Institut national mesure par sondage la proportion d’éventuelles fausses déclarations. L’enjeu est majeur.« Plus l’âge augmente, plus la proportion d’erreurs est importante, explique France Meslé, directrice de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED).En France, une année sur deux, on déclare le décès d’une personne censée avoir plus de 120 ans. Et lorsque l’on vérifie, c’est toujours faux. »
Mais que conclure du « plateau italien » ? Pour France Meslé, « il ne renseigne que sur la situation italienne. Et encore : il n’écarte pas complètement l’hypothèse classique. Il n’étudie pas non plus de modèles intermédiaires qui pourraient être plus performants. » Son collègue Jean-Marie Robine est plus sévère encore. Directeur de recherche émérite à l’Inserm et conseiller scientifique à la direction de l’INED, il étudie depuis plusieurs années les données en France et au Japon – deux des pays où l’on vit le plus vieux au monde. « Et dans les deux cas, on n’observe pas ce plateau », assure-t-il. Les résultats n’ont pas encore été publiés. Mais au Japon, la mortalité ne cesserait d’augmenter avec l’âge. En France, elle semble croître jusqu’à 108 ans, baisser pendant deux ans, puis repartir à la hausse. « A partir de 111 ans, le nombre de personnes est trop réduit pour faire des statistiques sérieuses. Et nous avons trois fois plus de personnes dans notre échantillon que les Italiens. »
L’échantillon, le nerf de la guerre : précisément ce que les scientifiques ont tenté d’éviter depuis quinze ans. Une base internationale de la longévité avait ainsi été mise en place, d’abord pilotée en France, puis à l’Institut Max Planck, en Allemagne, sous la houlette de l’Américain James Vaupel. Tous les grands pays y déposaient leurs données. Une première synthèse, réalisée en 2010 et cosignée par James Vaupel et Jean-Marie Robine, avait déjà cru déceler un plateau. Mais des biais dans la méthode avaient fragilisé les conclusions. Un ouvrage rassemblant l’ensemble des résultats devrait être publié d’ici à la fin de l’année. « Il nous manque la préface de James », note, acide, Jean-Marie Robine. L’Américain est cosignataire de l’article publié dans Science…
Au-delà de la controverse scientifique, l’étude de Science promet d’alimenter des débats fondamentaux. « L’existence d’un plateau change la philosophie de la vie, assure France Meslé. Un risque constant de 0,475, c’est comme si chaque année, vous aviez à choisir entre deux boules, une noire et une blanche, vivant ou mort. Et chaque année, vous repartez de zéro. Il n’est donc pas impossible que quelqu’un soit immortel. »« Théoriquement c’est vrai… mais la probabilité reste très faible », réplique Elisabetta Barbi. Vertige.
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