| 02.07.2018
Les addictologues protestent d'une seule voix contre le « plan prévention » présenté le 27 juin dernier à l'Élysée par la filière des boissons alcoolisées. Brasseurs de France, la Fédération française des spiritueux, la Fédération française des vins d'apéritifs, Vin & Société – dont l'ancienne déléguée générale Audrey Bourolleau est aujourd'hui la conseillère Agriculture d'Emmanuel Macron – et Avec Modération ! ont proposé de financer à hauteur de 4,8 millions d'euros sur quatre ans, trente mesures censées lutter contre les « situations à risques », et encourager « la consommation responsable ».
Pour lutter contre l'alcoolisation fœtale, le pictogramme représentant une femme enceinte dans un rond rouge barré devrait doubler (de 0,3 ou 0,4 cm à 0,8 cm) en 2019 ; contre le binge-drinking chez les jeunes, les lobbies proposent de former les professionnels de la vente, notamment dans les supermarchés, à mieux appliquer l'interdiction de la vente aux mineurs. Ils envisagent aussi de distribuer des « wine-bags » dans les restaurants pour ne pas forcer les clients à finir leur bouteille.
Des mesures en deçà des enjeux de santé publique
« Des mesurettes », cingle la Société française d'alcoologie. « Des vœux pieux et aucune mesure efficace », dénonce la Fédération française d'addictologie (FFA). « Des propositions cosmétiques pour un fléau sanitaire », s'inquiète la Ligue contre le cancer
Addictaide et le Pr Michel Reynaud démontent l'argument de la consommation responsable. « Cela revient à se défausser sur le "consommateur responsable" de leur part de responsabilité », lit-on. Et d'épingler les multiples stratégies de consommation des alcooliers et leurs 600 millions d'euros de dépenses annuelles pour la publicité et le marketing. Soit 500 fois le montant qu'ils entendent placer dans la prévention.
Le président d'Actions addictions observe que les industriels tirent la majorité de leurs bénéfices des consommations excessives, de la dépendance, et des alcools bas de gamme, non des grands crus. Les deux tiers des consommateurs modérés ne boivent que 10 % de l'alcool vendu ; alors que les 25 % de buveurs à risque sont à l'origine de 40 % des ventes d'alcool, et les 8 % d'addicts, de la moitié. Le top 10 des vins vendus en grande surface est monopolisé par les bouteilles à 2 euros et les vins aromatisés.
De son côté, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) critique une mauvaise interprétation de la « responsabilité sociétale d'entreprise » (RSE) par les alcooliers et un concept de « consommation responsable » qui n'a pas de substance. La MILDECA lui préfère la notion de « vente promotion responsables », dans laquelle entrent certaines propositions des lobbies (signalétique renforcée, formation des professionnels sur la réglementation, diffusion d'éthylotests, etc.) – qui pourraient être complétées par d'autres issues de l'hôtellerie, de la grande distribution, des cavistes. Mais elles ne sauraient être l'alpha et l'oméga d'une politique de prévention gouvernementale qui doit comporter des missions de santé publique et d'éducation.
Plaidoyer des acteurs de la santé pour une politique des prix
« Au lieu de donner des leçons sur la prévention aux acteurs sanitaires, on aurait apprécié que les alcooliers s'engagent par exemple à respecter strictement l'interdiction du sponsoring des activités sportives ou à faire figurer le nombre de calories sur chaque bouteille », écrit la FFA. La Fédération plaide pour des mesures efficaces : politique des prix, encadrement de la publicité et restriction de l'offre.
Les acteurs de santé rappellent que l'autorégulation des alcooliers est inefficace. Ils considèrent que leur implication en matière de prévention pose un problème d'ordre éthique.
La Ligue contre le cancer en appelle à la responsabilité des pouvoirs publics, ajoutant que près de 60 % des Français jugent leur action insuffisante face aux risques liés à l'alcool. Les addictologues demandent, eux, que la « contribution » du lobby, « élaborée dans un contexte de conflit d'intérêts », selon les mots de la FFA, ne constitue pas la base du plan alcool. Selon la Fédération, celui-ci devrait s'inspirer du rapport des experts missionnés par Santé publique France et l'Institut national du cancer (qui recommande, notamment de ne pas consommer plus de 10 verres standards par semaine, et pas plus de 2 verres par jour, hommes comme femmes).
Désormais, les regards se tournent vers la MILDECA, qui devrait dévoiler « dans les semaines qui viennent » son plan de mobilisation contre les addictions. « Il n'y a pas eu de grand plan alcool dans le plan priorité prévention car les mesures, portées par la MILDECA, seront annoncées en juin »,indiquait le Pr Jérôme Salomon, directeur général de la santé au « Quotidien » en réponse aux critiques des addictologues.
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