Des familles arrivées du Kurdistan irakien occupent un campement de fortune, où femmes et enfants vivent dans des conditions d’hygiène quasi inexistantes. L’ONG Gynécologie sans frontières tente de les suivre et les encadrer.
Les enfants ont la peau qui brûle au soleil. ANNE GUILLARD POUR LE MONDE
En cette fin juin, des dizaines de tentes sont alignées sous la ligne à haute tension, qui surplombe le campement sauvage de migrants, installé depuis quelques semaines tout près de la gare de fret à Grande-Synthe (Hauts-de-France). Des hommes seuls mais aussi des familles vivent dans ce lieu sans sanitaires ni douches, uniquement équipé d’un point d’eau à l’entrée.
Ici, les arrivées se font plus nombreuses et le camp grossit à vue d’œil, observe l’ONG Gynécologie sans frontières (GSF) venue effectuer une maraude ce mardi après-midi. C’est l’objectif de la mission Caminor : prendre en charge les femmes réfugiées dans les camps du Nord, ainsi que leurs enfants, tant au niveau médical que psycho-social.
Les personnes ici présentes sont pour la plupart des Kurdes irakiens qui veulent rejoindre la Grande-Bretagne. Certains ont passé des semaines, des mois sur la route, dépensé des milliers de dollars, risqué leur vie pour atteindre la terre promise, fuyant la guerre et la crise économique qui frappent leur territoire.
De jeunes enfants courent un peu partout. Manon, Sylvie, sages-femmes, et Alice, étudiante sage-femme, extirpent de la camionnette qui fait office de dispensaire mobile de gynécologie-obstétrique une poussette qu’elles destinent à une famille. Dans le regard de la mère des deux fillettes âgées de 4 mois et 2 ans se lit une extrême lassitude.
« Souffler, dormir, faire la cuisine »
« Les femmes s’épuisent à essayer de passer en Grande-Bretagne pendant une partie de la nuit. Elles reviennent avec les enfants le lendemain matin, déprimées, épuisées », raconte l’équipe mobile, qui lui fournit une boîte de lait pour bébé et deux bouteilles d’eau d’1,5 l, précieux sésame. Elle lui confie également quelques échantillons de crème solaire – « des dons » –, « les enfants ont la peau qui brûle au soleil » à cette saison.
Les problèmes d’hygiène sont prégnants. « Un bébé de 4 mois présentait une sévère candidose du siège, comment est-ce possible d’en arriver là ? Cet enfant n’avait pas pu être changé », s’insurge Manon, 25 ans, tout juste de retour de deux ans d’exercice à la maternité de Mayotte.
Le bébé et sa mère – qui présentait le même type de champignons – ont été emmenés au refuge d’urgence dont dispose l’ONG depuis décembre 2016. Cet appartement de six places permet de mettre à l’abri les victimes de violences, trois jours maximum, et aussi femmes et enfants pour « souffler, dormir, faire la cuisine ».
Elles « craquent, pleurent »
Les femmes sur le chemin de l’exil subissent, outre la loi brutale des passeurs, des violences. A leur arrivée, faute de lieux d’écoute et d’encadrement adaptés, elles se trouvent confrontées à de nouvelles violences, souvent tues – viols, prostitution, violences physiques et psychologiques. Au refuge d’urgence, les femmes « craquent, pleurent ». Certaines sont mises sous traitement antidépresseur.
Pour Mohammad, venu de Grande-Bretagne pour aider ses compatriotes et faire l’interprète sur le campement, « les femmes et les enfants devraient être séparés des hommes » comme « du temps de la jungle » à Calais, où ils bénéficiaient d’une prise en charge spécifique pour leur assurer une relative sécurité. Raman, 3 ans, en pleurs, vient par exemple d’être récupéré par un humanitaire britannique alors que le garçonnet se trouvait seul sur la voie d’accès à l’autoroute toute proche.
L’équipe croise à nouveau ce mardi après-midi la femme et son bébé. « Le bébé va très bien », leur dit la maman, elle-même « changée depuis qu’elle a passé une nuit au refuge », se réjouit Manon, où ils ont reçu les soins et une écoute appropriés.
L’ONG assure les consultations de dépistage, le repérage et le suivi des femmes enceintes, organisent les transferts vers les services de gynécologie-obstétrique pour les actes médicaux (consultations, échographies, accouchements, chirurgie, curetage, etc.) et les PASS (permanences d’accès aux soins de santé) animent des groupes de parole et de prévention. « L’objectif est de les réorienter vers le système de droit commun », rappelle Aline, 22 ans, qui prépare un mémoire sur les cliniques mobiles.
Les sages-femmes cherchent à retrouver une jeune femme qui leur a demandé une pose de stérilet. Elles veulent s’assurer qu’elle n’est pas enceinte. « Quand on leur propose de la contraception, elles acceptent », dit Sylvie, 58 ans, sage-femme bénévole qui a travaillé dans le camp de réfugiés de Za’atari en Jordanie. « Certaines ne savent pas qu’elles peuvent avorter en France anonymement et gratuitement, et vont en Belgique », dit-elle.
Les femmes représentaient 35 % des demandeurs d’asile en 2017 et 40,5 % des personnes sous la protection de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, selon un rapport rendu public début mai par l’association France Terre d’asile. Les auteurs soulignent une surexposition à des situations de violences, due « aux conditions d’accueil, souvent inadéquates ou précaires, à leurs conditions de précarité administrative et économique ».
A la proposition de l’équipe de GSF ce mardi de venir chercher une petite dizaine d’entre elles le lendemain pour un après-midi de parole, mais aussi de mise en beauté, les regards de certaines femmes retrouvent soudain tout leur éclat.
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