Dans une tribune au « Monde », le médecin urgentiste Christophe Prudhomme juge que la mort de Naomi Musenga confirme plusieurs dysfonctionnements du SAMU.
LE MONDE | | Par Christophe Prudhomme (docteur, porte-parole de l'association des médecins urgentistes de France)
Tribune. L’affaire du SAMU de Strasbourg est entre les mains de la justice, qui devra faire son travail. Cependant, les premiers éléments divulgués dans la presse pointent une faute individuelle de l’assistante de régulation médicale (ARM). Mais se limiter à ce niveau n’est pas suffisant car l’objectif, suite à un événement dramatique de ce type, est d’en faire l’analyse afin de prendre des mesures pour éviter qu’il ne se reproduise.
Au-delà des personnes, il est nécessaire d’analyser le système car tout travail est collectif, encore plus dans le domaine de l’urgence, où une chaîne d’intervenants doit se coordonner afin d’apporter une réponse adaptée à une détresse.
Un problème de formation
La première question qui se pose est : qui sont ces opérateurs et quelle est leur formation ? Au SAMU, ce sont des agents recrutés au niveau du baccalauréat, qui bénéficient d’une formation d’adaptation à l’emploi après leur embauche. Même si, dans de nombreuses professions de santé, une bonne partie de la formation s’effectue sur le tas par compagnonnage, on peut s’étonner que pour un métier à lourde responsabilité et à forte charge émotionnelle, il n’existe pas de formation initiale formalisée.
Même si la très grande majorité des ARM ont acquis des compétences qui leur permettent d’assurer correctement leur fonction, il est clair qu’il existe ici un véritable problème pour ceux qui débutent leur carrière. Nous proposons donc qu’un cursus de formation initiale à ce métier soit mis en place dans les meilleurs délais. Par ailleurs, il est essentiel que l’ensemble des personnels en poste puissent bénéficier d’une formation continue adaptée, car nous travaillons dans un environnement qui évolue rapidement, ce qui nécessite des mises à jour régulières.
le citoyen est un peu perdu et les appels arrivent de manière indifférenciée sur la plate-forme du 15 ou du 18
La deuxième question est celle de l’acheminement des appels. Nous disposons en France de plusieurs numéros d’appel d’urgence, le 15 pour le SAMU, le 18 pour les pompiers (avec en annexe le numéro européen 112, qui aboutit sur l’un des deux standards, 18 ou 15 selon les départements), sans compter les différents numéros des associations de médecins libéraux.
Si, sur le papier, cette diversité peut apparaître comme utile, qu’en est-il dans la réalité ? Au quotidien, le citoyen est un peu perdu et les appels arrivent de manière indifférenciée sur la plate-forme du 15 ou du 18, où des opérateurs téléphoniques doivent faire le tri, d’une part pour évaluer la gravité de la situation, d’autre part pour donner une réponse adaptée. Alors que, depuis des années, des expériences de centres d’appels communs 15-18 ont montré leur pertinence, que de multiples rapports ont traité de la question de l’interconnexion de ces systèmes, les deux services publics continuent dans les faits à travailler en parallèle, ce qui est la source fréquente de retards ou de réponses inadaptées.
Le nombre d’appels a triplé en vingt ans
Depuis plusieurs années, l’Association des médecins urgentistes de France réclame un rapprochement des centres d’appels 15 et 18 au niveau départemental, qui est le niveau territorial le plus pertinent. Or nous constatons aujourd’hui que le ministère de la santé, avec ses relais dans les régions que sont les agences régionales de santé, joue sa partition en solo avec des projets de fermeture de SAMU départementaux pour créer des plates-formes régionales d’appel. L’exemple emblématique est celui de la région Bourgogne, où le projet est de fermer les SAMU de la Nièvre et de l’Yonne pour centraliser les appels sur Dijon. Cela nous paraît une aberration !
La solution que nous préconisons, soutenue par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France et certains des syndicats de sapeurs-pompiers professionnels, est la mise en place de plates-formes d’appels communes départementales afin de mutualiser les moyens et de réduire les délais de réponse. En fonction des réalités territoriales, ces plates-formes peuvent être physiques, avec le regroupement sur un lieu unique, ou virtuelles, grâce aux moyens modernes d’interconnexion informatique et téléphonique.
Enfin, la dernière question est celle des moyens. Face à l’augmentation du nombre d’appels (ils ont triplé en vingt ans), il est nécessaire de travailler autour de deux axes. D’une part, un nombre de personnels adapté au volume d’activité de manière prévisionnelle, et non pas en réaction à une situation de crise, car cela épuise les professionnels et dégrade la qualité de la réponse.
D’autre part, la nécessité d’une réforme profonde de notre système de santé, afin que les patients trouvent une réponse adaptée à leurs besoins, avant tout auprès d’un médecin traitant. Or, aujourd’hui, le nombre de médecins généralistes installés stagne, voire diminue, alors que les besoins augmentent. A cela s’ajoute une répartition inadaptée des praticiens sur le territoire. Il est évident que sans solution à ces problèmes, le nombre d’appels et de passages aux urgences continuera d’augmenter, car les patients y chercheront toujours une solution par défaut.
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