Selon le Comité consultatif national d’éthique, il existe en France une « dénégation collective » du vieillissement qui se traduit par une « maltraitance latente et non assumée ».
« Maltraitance », « ghettoïsation », « dénégation », « exclusion collective »… La société française a-t-elle un problème avec ses personnes âgées ? Dans un avis publié mercredi 16 mai, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) dresse un constat extrêmement sévère de la façon dont celles-ci sont considérées et prises en charge, en particulier dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Selon l’organisme consultatif, il existe dans notre pays une « dénégation collective » du vieillissement, qui se traduit par une « maltraitance » sous une forme « latente » et « non assumée » vis-à-vis d’une partie de la population âgée.
A l’origine de la réflexion du CCNE, amorcée en octobre 2016, avant les mouvements de grève dans les maisons de retraite, une question : « Quel sens à la concentration des personnes âgées entre elles, dans des établissements dits d’hébergement ? », le pays comptant à ce moment-là plus de 577 000 personnes hébergées dans ce type de structure. A l’arrivée, une réponse « résolument politique » et cinglante : cette concentration constitue une « institutionnalisation forcée » et même une « ghettoïsation ».
Cette mise à l’écart, cette « exclusion de fait de la société », même si elle vise aussi « de façon louable » à sécuriser et accompagner ces personnes vulnérables, pose « de véritables problèmes éthiques, notamment en termes de respect dû aux personnes », juge le CCNE. Les résidents doivent ainsi « payer cher » (tarif médian de 1 949 euros par mois) pour être dans un lieu qu’ils n’ont la plupart du temps pas choisi, qui les isole, et dans lequel « les professionnels font du mieux qu’ils peuvent avec des moyens qu’ils n’ont parfois pas ». Conséquence : « Dans un contexte de pénurie de personnels et de rationalisation des soins, le sentiment de solitude ressenti par les résidents est renforcé. »
Ces résidents âgés « intériorisent » en outre la conception négative du vieillissement qui traverse la société française, note le comité d’éthique. Il fait état du sentiment, « fréquemment rapporté » d’« être une charge », d’« être en trop », de « n’être plus ». Le tableau dépeint est particulièrement sombre. Les personnes âgées qui n’ont pas fait le choix de vivre en Ehpad « entrent en résilience et se résolvent à leur triste condition, s’adaptent bon an mal an à l’institution ». Quant à celles qui ne se résignent pas, elles développent une « dépression réactionnelle et se laissent mourir ou se font mourir du fait d’un sentiment d’indignité ».
Les auteurs de l’avis posent donc la question sans détour : « Sur quels fondements repose le fait de réduire l’espace d’une personne âgée à celui d’une cellule monacale, de concentrer les personnes âgées entre elles et dans un même lieu ? Les arguments du registre de la rationalité économique, de l’ergonomie et de la sécurité ne prennent-ils pas le pas sur l’importance capitale du respect du souhait de lieu de vie, de l’inclusion des personnes âgées dans le tissu social, dans la diversité des âges et des personnes consubstantielles à la définition d’une société ? »
« Agisme »
Si le maintien à domicile est souvent « difficile, voire impossible », c’est à la fois parce que les aidants « naturels » que sont les proches ne sont pas suffisamment soutenus et que les professions du maintien à domicile ne sont « pas suffisamment valorisées socialement ni convenablement rémunérées ». Dès lors, estime le CCNE, un « choix essentiel peut s’imposer, même s’il risque d’être impopulaire » entre le financement de « prouesses technoscientifiques » et la « garantie d’une égalité d’accès pour tous à la santé, entendue comme état de bien-être physique, mental et social ».
Au-delà de la question des moyens, le comité d’éthique dénonce « l’âgisme » dont fait preuve notre société et appelle à une « prise de conscience » collective sur la façon dont nous traitons et considérons nos aînés. Dans cette perspective, il interroge la société tous azimuts. Selon lui, les médias jouent par exemple sur ce sujet « un rôle de déformation ou de désinformation plus que d’information », en ne faisant pas état de « la réalité des personnes fragiles » mais en survalorisant au contraire le fait « d’être jeune et bien portant ».
Cet « âgisme », véritable « ségrégation » des personnes du fait de leur âge, se traduit aussi lors des prises en charge par les soignants. Il n’est par exemple pas rare qu’une personne âgée, au motif qu’elle met « trop de temps » à se déshabiller en consultation, se trouve « examinée » au travers de ses vêtements. « C’est ainsi que la mauvaise pratique peut conduire à la méconnaissance de signes cliniques qui auraient pu permettre la reconnaissance en temps utile de pathologies majeures », note le CCNE.
« Exclusion sociale »
Autre exemple, la prise en charge dans les services d’urgence, où « les personnels soignants n’ont pas tendance à s’occuper en priorité » de ce type de public, du fait de sa difficulté à exprimer rapidement les symptômes qui ont motivé la venue, ce qui peut in fine causer une aggravation de l’état et « générer encore plus de vulnérabilité ». Pour le CCNE, « cet âgisme est d’autant plus dangereux qu’il est rarement conscient ». Conséquence, selon le comité d’éthique, de l’accumulation de ces petites ou grandes discriminations : « Une exclusion sociale de fait. »
Préfigurant de futures réflexions sur d’autres aspects du vieillissement, le CCNE s’interroge également sur le « sens » de certaines vies. « Il n’est pas certain que certaines survies ou vies prolongées du fait des nouvelles performances médicales soient des vies “heureuses” », relève-t-il.
S’aventurant sur des terrains plus éloignés de l’éthique, le comité dresse enfin une liste de propositions très concrètes – voire techniques – pour améliorer la situation, comme la création d’un cinquième risque de la Sécurité sociale pour financer la dépendance. Il s’interroge sur la possibilité de penser le développement du concept d’« Ehpad hors de l’Ehpad », en intégrant par exemple un ou deux étages pour ce type d’hébergement dans les immeubles nouvellement construits. Et estime qu’il y aurait lieu, dès l’école, dès l’éducation des enfants, « de penser l’aide aux plus vulnérables comme un devoir démocratique nécessaire ».
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