La directive « équilibre entre vie professionnelle et vie privée » propose que chacun des parents, à la naissance d’un enfant, ait droit à quatre mois de congés rémunérés à hauteur des indemnités maladie.
Si elle penche clairement à droite en France, la présidence Macron avait, jusqu’à présent, un discours plutôt très progressiste à Bruxelles : convergence sociale et fiscale, création d’un super-ministre des finances et d’un budget conséquent pour la zone euro… Un programme parfaitement social-démocrate, ces avancées étant réclamées par le centre-gauche européen depuis des années.
Ces dernières semaines, pourtant, la France tient discrètement une ligne bien moins sociale dans les instances communautaires. Elle fait partie des nombreux pays qui bloquent toute avancée dans les discussions sur la directive « équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et aidants », proposée par la Commission européenne en 2017. Elle a même pris la tête de la fronde contre une des dispositions de ce texte, portant sur une harmonisation européenne du congé parental.
Bruxelles propose que chacun des deux parents, à la naissance d’un enfant, ait droit à une période de quatre mois de congés, non transférables de l’un à l’autre et, surtout, rémunérée, au moins à hauteur des indemnités maladie dans leur pays. Le congé peut par ailleurs être pris de manière fragmentée, ou à temps partiel. Jusqu’aux 12 ans de l’enfant.
Il s’agit de sortir du cercle vicieux actuel : ce sont les femmes qui, en priorité, prennent ces congés, pour l’instant trop peu rémunérés. Le choix pèse souvent sur leur carrière et freine les évolutions sociales, notamment le partage des tâches hommes-femmes dans les foyers.
Le hic, c’est qu’en France, le congé parental n’est que très faiblement rémunéré, bien moins que le niveau des indemnisations maladie (moins de 400 euros par mois, contre une moyenne de 950 euros pour les congés maladie). C’est précisément la raison pour laquelle un nombre infime de pères français profitent de leur congé parental : 4 % seulement, selon une étude de l’OCDE datant de 2016.
Liste de « droits et principes »
S’aligner sur la suggestion bruxelloise aurait donc un coût non négligeable pour les finances publiques hexagonales. Que l’actuelle présidence n’est manifestement pas prête à assumer. « Il faut travailler sur la proposition [de directive]. J’en approuve les principes, mais c’est une belle idée qui peut coûter très cher et finir par être insoutenable », a déclaré Emmanuel Macron devant le Parlement de Strasbourg, le 17 avril. Sa ministre du travail, Muriel Pénicaud, assure que « la France est absolument pour une directive sur le congé parental ». Mais « ce n’est pas à Bruxelles que l’on doit décider dans le détail comment il doit fonctionner pays par pays ».
« Où est la parité tant prônée par Emmanuel Macron ? Où place-t-il la femme dans la société ? La France a fait le choix de bloquer une avancée sociale pourtant nécessaire à l’Europe », déplore l’eurodéputé socialiste Edouard Martin. « Macron se dit défenseur d’une vision pro-européenne et, en même temps, il balaye d’un revers de main toute forme d’harmonisation sociale. En limitant son projet au marché commun, il écarte toute dimension sociale et rend à terme la cohésion de l’Union européenne impossible », déplore en écho son collègue Guillaume Balas, autre élu strasbourgeois, ex-socialiste rallié à Benoît Hamon.
La France n’est certes pas seule à s’opposer à ce projet de directive : 13 autres pays, et pas des moindres (Allemagne, Espagne, Italie…), bloquent pour l’instant son adoption au Conseil (la réunion des pays membres). Mais ce texte est l’unique traduction concrète du « socle européen des droits sociaux » que les dirigeants de l’Union, Emmanuel Macron en tête, ont adopté en novembre 2017, à grand renfort de déclarations ronflantes, lors d’un sommet « social » à Göteborg. Cette belle liste de « droits et principes » ne serait-elle donc qu’un bout de papier sans importance ?
Résistance des pays membres sur le social
Le social a longtemps buté à Bruxelles sur une forte résistance des pays membres, qui refusaient de céder un pouce de souveraineté sur ce terrain, et Emmanuel Macron, malgré son slogan d’une « Europe qui protège », malgré ses efforts (fructueux) pour réviser la directive sur le travail détaché, n’a manifestement pas l’intention de changer radicalement les choses.
Tout le monde a encore en tête à Bruxelles le piteux enterrement, en 2015, du projet de directive sur le congé maternité, après presque sept années d’infructueuses discussions au Conseil. La directive « équilibre entre vie professionnelle et vie privée » risque-t-elle de subir le même sort ? C’est ce que craignent les élus de gauche à Strasbourg.
Pour l’instant, il est encore prévu que les Etats tentent de s’accorder sur ce texte lors d’un conseil des ministres des affaires sociales, le 21 juin. Mais si la France et d’autres continuent de bloquer sans propositions alternatives, « la directive est mal barrée », reconnaît une source au Parlement européen. Car à partir de l’automne, Bruxelles et Strasbourg ne vont pratiquement plus se consacrer qu’à une seule chose : les élections européennes de 2019.
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