On raconte qu’en prison Jacques Mesrine raillait ses surveillants : «Moi, au moins, je sortirai un jour ; vous, vous y resterez toute votre vie.» Pour intervenir souvent, ces temps-ci, avec l’auteur Bruno Le Dantec, au centre pénitentiaire des Baumettes (comme trois autres duos d’auteurs et de traducteurs engagés dans le projet «Histoires vraies du dedans» auprès de détenus de la Valentine, de Luynes et du Pontet), je vois bien ce que le métier de surveillant doit avoir d’éprouvant. La prison plombe. La prison broie. Ceux qu’elle renferme. Ceux qui la gardent.
Un certain discours s’est complu, ces dernières semaines, à pointer du doigt la «dangerosité» des détenus. Comme si les plus de 70 000 détenus actuellement incarcérés en France (chiffre en hausse chez nous, alors qu’il baisse partout en Europe) étaient tous des fauves prêts à sauter à la gorge du premier agent. Comme si la déprime qui ronge les prisons ne tenait pas d’abord à l’institution elle-même, à son échec maintes fois constaté, au taux de récidive des sortants, à sa fascinante faculté de produire de l’amertume.
Bloqué par le piquet de grève devant l’entrée des Baumettes, au début du récent mouvement des surveillants, je me rappelle avoir éprouvé une certaine satisfaction à l’idée qu’enfin les prisons se retrouvent au centre de l’attention, qu’un débat s’ouvre. J’ai vite été déçu, en découvrant à quel point les revendications éludaient toute réflexion globale. A quel point la grogne restait dans les clous. Pire que cela : à quel point, pour donner du poids à leurs revendications, les centrales syndicales en rajoutaient dans la stigmatisation des condamnés.
Oubliés deux fois, les détenus : dans leurs cellules d’abord, dont certains n’ont pu sortir pendant plusieurs jours, enfermés sans plus le moindre parloir, la moindre activité, la moindre promenade, la moindre douche dans les établissements où les cellules en sont dépourvues. Oubliés des revendications, ensuite. Comme si surveillants et détenus n’étaient pas dans le même bateau. Comme si le premier facteur d’amélioration des conditions de travail des gardiens n’était pas d’avoir affaire à des détenus en meilleure forme, moins déprimés, moins brimés, moins tendus.
Ce n’est pas nouveau : il y a quelque chose de pourri dans l’institution de la prison. Dans le recours toujours plus massif à ce mode de punition si peu efficace qui, pour un sortant «édifié», en restitue dix plus abîmés qu’ils ne l’étaient avant, plus fragilisés encore par les années de cellule, plus coupés du dehors, plus irréversiblement cassés. Dans ce grand renfermement de visages fatigués, esseulés, apeurés, méfiants, certains avides d’échange, décidés à se raccrocher à tout ce qui pourra les aider, d’autres depuis longtemps résignés, murés dans le silence et la dépression.
Ô société qui voudrait partout ériger des murs, cacher ce qui gêne, tenir à l’écart tout ce qui fait grain de sable dans les rouages du bel ordonnancement, les paumés, les déviants, les improductifs, les inadaptés, comme elle tient désormais à l’écart les vieux, les fous, les migrants.
Plus que jamais, au cours de ces séances au quartier des femmes des Baumettes, à écouter avec Bruno un groupe de détenues se raconter, parler de travail, d’amour, de voyages, d’enfance, de deuil, certaines avec un humour admirable, il m’a semblé sentir la pesanteur de la machine, éprouver les incessantes blessures qu’elle inflige, par son seul arbitraire de machine. Refus inexpliqué d’une permission, d’un aménagement de peine qui semblaient pourtant certains. Echec des proches à obtenir un parloir faute d’agents assez nombreux pour traiter les demandes. Refus d’une libération conditionnelle pourtant censée préparer une sortie imminente. Sans parler des cas de violences, plus rares mais parfois terribles subies de la part de codétenues - métamorphosant soudain ce qui ne devait être qu’une brève peine en un drame irréparable.
«Ils s’étonnent de voir tant de gens ressortir avec la haine, disait ce matin une jeune femme condamnée à une courte peine, la première de sa vie. Mais s’ils veulent, moi je peux parfaitement leur expliquer.» Et de nous raconter, le visage encore tendu, comment au pic de la grève, bouclée plusieurs jours d’affilée en cellule, la prison comme abandonnée, elle a fini par se réjouir d’entendre les hurlements ininterrompus d’autres détenues, comme elle à bout. «Au moins, je savais que je n’étais pas seule.»
Cette chronique est assurée en alternance par Thomas Clerc, Camille Laurent, Sylvain Prudhomme et Tania de Montaigne.
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