Comme à chaque nouvelle année, les éditorialistes de The American Journal of Psychiatry ont coutume de se remémorer les grandes lignes de l’année psychiatrique écoulée, à travers des sujets « particulièrement intéressants.» Pour 2017, les auteurs de cette rétrospective retiennent huit thèmes de réflexion.
Mieux traiter la dépression chez les enfants et les adolescents
Depuis longtemps, les chercheurs recommandent « des essais thérapeutiques indépendants, bien conduits, et approuvés par des pairs », pour tout traitement proposé en psychiatrie, y compris les antidépresseurs prescrits chez les enfants et les adolescents. The American Journal of Psychiatry s’associe aux efforts pour apporter « l’information la plus claire possible » afin d’étayer la décision et les modalités du traitement en pédopsychiatrie.[1]
Saisir les mécanismes du syndrome dysphorique prémenstruel
Une étude publiée en 2017 montre qu’une augmentation des stéroïdes ovariens est « associée au déclenchement d’un syndrome dysphorique prémenstruel. » Ce constat présente une importance clinique en suggérant qu’une intervention médicale sur le niveau de ces stéroïdes autour de l’ovulation « pourrait constituer une piste thérapeutique efficace » chez les femmes souffrant d’un tel syndrome dysphorique prémenstruel.[2]
La règle et l’exception
À la charnière entre le XIXème et le XXème siècle, des praticiens comme Kraepelin[3]espèrent appliquer à la psychiatrie le même modèle si fructueux pour la compréhension des maladies infectieuses, en résumé un germe à l’origine de chaque maladie. Or étrangement, en montrant en 1913 la présence du spirochète dans la paralysie générale, Noguchi[4] paraît accréditer cette thèse du « modèle infectieux » en psychiatrie, puisque le Treponema pallidum, un spirochète, se révèle ainsi impliqué dans une grave maladie neuropsychiatrique (une forme de syphilis tertiaire, fréquente avant l’ère des antibiotiques et rare aujourd’hui). Mais désormais, le déterminisme des maladies mentales est perçu comme poly-factoriel, avec une hypothèse infectieuse réduite à un éventuel facteur environnemental parmi d’autres. Ainsi, ce que Kraepelin présentait comme un « prototype », une règle pour rechercher la cause des maladies psychiatriques (l’identification d’un agent étiologique précis, à l’instar du spirochète de Noguchi dans la paralysie générale) tiendrait plutôt de l’exception !
Progrès de l’imagerie cérébrale
Sans surprise, l’avancée de l’imagerie cérébrale (brain imaging) constitue l’un des domaines les plus manifestes des progrès récents. Confirmation exemplaire dans une méta-analyse[5] examinant le volume cérébral chez 3 589 sujets dont1 830 (soit plus de la moitié) souffrent de troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Ces travaux sont importants à la fois parce qu’ils améliorent notre compréhension des TOC, et aussi « en ouvrant la voie à d’autres méta-analyses » analogues en matière d’imagerie cérébrale, sur ce même thème ou pour d’autres problématiques psychiatriques.
Le choix avisé des traitements psychotropes
Exploitant des données issues des Centres Antipoison des États-Unis, une étude récente[6] montre qu’entre 2000 et 2014, le taux de suicides chez l’Oncle Sam a augmenté d’environ 25 %, passant de 10,4 à 13 morts pour 100 000 sujets. Source de préoccupation supplémentaire : le taux de suicides par empoisonnement s’est accru « encore davantage» : + 38,5 %. Parmi les causes probables, se trouve paradoxalement une « meilleure reconnaissance de la dépression » conduisant à un usage des médicaments antidépresseurs « plus important, judicieux ou inapproprié », donc à un risque de mésusage de médicaments psychotropes, prescrits ainsi plus souvent. Autres facteurs évoqués : le volume croissant des traitements, malgré la raréfaction des consultations médicales (ou justement pour cette raison, les psychotropes tendant à se substituer au soutien psychothérapeutique). L’auteur rappelle l’importance d’un « choix avisé » des médicaments, car le surdosage accidentel et la possibilité de tentative de suicide médicamenteux entraînent des risques (cardiologiques, neurologiques ou autres) d’autant plus élevés que les produits prescrits sont plus efficaces et que le recours à une poly-pharmacopée s’accentue.
Troubles du sommeil et suicide
Paradoxe : dans certains cas, des médicaments « prescrits pour prévenir le risque de suicide peuvent précisément l’entraîner ! » C’est le cas des hypnotiques évoqués dans une étude[7] sur le « problème tragique des morts évitables aux États-Unis dues à un surdosage médicamenteux et au suicide. » Certes, ces produits contribuent à améliorer le sommeil, mais ils peuvent aussi susciter un effet pervers, « l’exacerbation d’une tendance suicidaire », liée à une « altération de la conscience » ou à une « levée de l’inhibition. » De surcroît (voir le sujet précédent), le mésusage éventuel de ces produits (surdosage volontaire ou accidentel) aggrave le problème...
Renforcer la détection précoce des psychoses
Comprendre l’épidémiologie d’un premier épisode psychotique[8] constitue « un impératif pour la psychiatrie. » Des statistiques sont rappelées : 34 cas pour 100 000 personnes-années pour l’ensemble des psychoses dont « 83,4 % (soit 28,3 cas pour 100 000 personnes-années) sont des schizophrénies ou d’autres psychoses non-affectives. » Cette détection d’un premier épisode psychotique doit être affinée en fonction de divers critères (âge, sexe, appartenance ethnique, habitat urbain ou rural), et les psychiatres (américains) ne se seraient pas montrés « très bons dans le passé » pour assurer cette détection précoce. Mais des progrès sont attendus en la matière, d’autant plus que « des traitements efficaces sont à portée de main » (l’auteur dit précisément, en anglais : « au pas de notre porte »).
La diversité du vécu
La montée en puissance de Netflix (environ 110 millions d’abonnés, et un chiffre d’affaires de trois milliards de dollars au troisième trimestre 2017) ne peut pas laisser indifférent, d’autant plus que l’importance économique de cette plate-forme de streaming (devenue « le plus vaste studio de production ») est en train de dépasser celle d’Hollywood ! The Resident’s Journal (une publication de The American Journal of Psychiatry destinée aux psychiatres en formation) évoque justement une célèbre série de Netflix, Luke Cage[9], pour illustrer (à propos de certaines « brutalités policières à l’encontre de personnes de type afro-américain » et de la tentation de psychiatriser abusivement les « craintes paranoïaques » des victimes de ces violences) la diversité du vécu du sujet dont il faut toujours tenir compte, pour ne pas « médicaliser à tort » (mistakenly pathologize as symptomatology) ce qui relève, en fait, de la « réalité douloureuse » de l’intéressé...
[1] JT Walkup: Antidepressant efficacy for depression in children and adolescents: industry and NIHM-funded studies. Am J Psychiatry 2017; 174:430–437.
[2] PJ Schmidt et coll.: Premenstrual dysphoric disorder symptoms following ovarian suppression: triggered by change in ovarian steroid levels but not continuous stable levels. Am J Psychiatry 2017; 174: 980–989.
[3] KS Kendler et coll.: Kahlbaum, Hecker, and Kraepelin and the transition from psychiatric symptom complexes to empirical disease forms. Am J Psychiatry 2017; 174: 102–109.
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Hideyo_Noguchi
[5] PSW Boedhoe et coll.: Distinct subcortical volume alterations in pediatric and adult OCD: a worldwide meta- and mega-analysis. Am J Psychiatry 2017; 174: 60–69.
[6] JC Nelson: Morbidity and mortality associated with medications used in the treatment of depression: an analysis of cases reported to US poison control centers, 2000–2014. Am J Psychiatry 2017; 174:438–450.
[7] WV McCall et coll.: Hypnotic medications and suicide: risk, mechanisms, mitigation, and the FDA. Am J Psychiatry 2017; 174:18–25.
[8] JB Kirkbride et coll.: The epidemiology of first-episode psychosis in early intervention in psychosis services: finding from the Social Epidemiology of Psychoses in East Anglia (SEPEA) study. Am J Psychiatry 2017; 174:143–153.
[9] JC Williams: Luke Cage and police brutality. Residents’ Journal: A Publication of the American Journal of Psychiatry 2017; 12(8):12. http://ajp.psychiatryonline.org/doi/full/10.1176/appi.ajp-rj.2017.120805
Dr Alain Cohen
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire