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jeudi 8 février 2018

Quand les vieux se rebifferont

Par Mathieu Lindon — 

«N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?» Mais comment donc en finir avec la fin de vie ?

Si j’ai bien compris, on a beau tout entreprendre pour en venir à bout, saturer l’air de particules fines, la nourriture de pesticides, harasser le personnel soignant, tant d’autres manœuvres encore, rien n’y fait, les vieux pullulent, qui n’en ont jamais assez, résolus à ne pas lâcher l’affaire, à s’incruster. C’est que vient un moment où, si t’es pas vieux, t’es mort, alors il peut y avoir de quoi insister. Certes, par les temps qui courent, être vieux, ce n’est pas du gâteau. Mais, si c’était l’inverse, s’il y avait la retraite à 27 ans (pourquoi pas, avec le chômage et l’intelligence artificielle ?), tout le monde voudrait être vieux et manqueraient alors les jeunes. On ne peut pas avoir le beurre sans la date de péremption du beurre, les avantages de la vieillesse et de la jeunesse ensemble. On pourrait dire : non contents de laisser aux suivants une planète au bord du gouffre, les vieux qui ont su vieillir grâce à une atmosphère pure et une nourriture saine et on ne peut plus durable réclament par-dessus le marché le droit d’être chouchoutés dignement. Mais, en fait, ce sont eux qui sont au fond du gouffre sans parachutes dorés, et la population des Ehpad n’est pas constituée des chouchous de la société ayant accumulé les millions au long de leur vie professionnelle. Ils voudraient être traités avec des gants et des pincettes, mais il y en a pour qui la pénibilité n’a pas de fin.

Leur cynisme sans borne conduit certains à des hypothèses de travail que la morale de l’ancien monde réprouverait. Avec un brin d’imagination et de courage, ne pourrait-on pas, puisqu’ils ont moins d’appétit et de besoins, échanger nos pléthoriques anciens contre de jeunes réfugiés pleins de force et d’enthousiasme, faisant ainsi d’une pierre deux coups pour le renforcement de la solidarité transnationale ? Ou bien allonger la durée légale du travail jusqu’à 90 ou 100 ans (permettant ainsi un nouvel âge d’or qui serait une fontaine de jouvence pour l’industrie pharmaceutique) et hop, fini la dolce vita à se tourner les pouces en se gavant de mixés gourmets devant Cyril Hanouna sur le dos des jeunes ? On pourrait organiser des marathons de danse («on achève bien les vieux») ou même des combats de vieux dans les arènes avec week-ends en clinique privée pour les heureux vainqueurs. Sans aller toutefois jusqu’à des solutions plus radicales, comme soumettre nos anciens au contrôle technique, ainsi qu’on le fait pour les véhicules éventuellement obsolètes. Mais il faut agir vite parce que, au rythme où ça va, les nonagénaires seront bientôt majoritaires et il faudra se méfier du retour de bâton électoral. On comprend pourquoi hommes et femmes politiques cajolent les vieux : ceux-ci ont tendance à perdre la mémoire.
Evidemment, avec l’allongement de la durée de vie, il devient difficile de demander aux octogénaires de prendre en charge leurs parents centenaires, et même aux sexagénaires à la recherche d’un emploi pour atteindre la retraite avec le bon nombre de trimestres de rendre la pareille aux grands-parents qui s’occupaient d’eux le dimanche, jadis. Sans compter que l’héritage, auquel les Français sont si attachés, perd de son lustre. Il n’y a plus de jeunes héritiers. Avoir des espérances à 80 ans, ça ne suffit pas toujours à arracher le consentement de la belle-famille. Mais, si j’ai bien compris, face aux jeunes inventeurs qui nous font miroiter ceci et cela, il ne faut pas perdre de vue que la très grande vieillesse, c’est l’avenir.
Prochaine chronique «Si j’ai bien compris…» dans notre édition du 17-18 février.

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