Paris, le samedi 11 mars 2017 – Notre monde moderne a-t-il tendance à oublier que la médecine n’est pas une science exacte ? La haute technicité de certaines pratiques alliée à un désir de transparence quasiment absolu sur le mécanisme décisionnel semblent quelque peu nier le fait que dans certains cas, toutes les réponses ne peuvent être données d’emblée ou encore que certains raisonnements relèvent plus de l’intuition que de la systématisation objective. Penser la médecine, c’est souvent penser ce qui résiste à la catégorisation, à la perfection de la rationalité, à l’implacabilité des preuves. C’est un exercice auquel s’attellent régulièrement certains blogueurs.
Dois-je prendre mon médicament docteur ?
Ainsi, le jeune chirurgien auteur du Blog de Stockholm s’est penché sur ce thème presque aussi vieux que la médecine dans une note récente. Cette digression est née d’une situation quotidienne : l’interrogation d’une patiente quant à la conduite à tenir vis-à-vis de son traitement habituel, le jour de l’intervention. Quand le chirurgien se retourne vers l’anesthésiste pour lui demander conseil, celui-ci n’hésite pas à avouer : « On n’est pas tous d’accord sur le sujet », avant de lâcher après quelques explications sur sa position personnelle « En médecine, y’a autant d’avis que de médecins ». Ainsi, énoncée, la proposition a de quoi faire trembler les patients les plus inquiets, notamment à quelque jour de passer au bloc. Pourtant, elle décèle une certaine vérité.
Il n’est pas forcément recommandé d’écouter toutes les recommandations
Le chirurgien confirme en effet que « Sur certains sujets, il y a autant d’avis que de médecins ». Les raisons de cette diversité sont multiples.
D’abord, parce que même sur les sujets pour lesquels des directives claires et sans nuances existent, « le cadre évolue (…). Malgré l’obligation de formation continue, il est possible de passer à côté d’une mise à jour », fait remarquer l’auteur du blog.
Second facteur de pluralité des opinions : le filtre critique de chacun. Même en cas de recommandations établies, certains peuvent, non convaincus, décider de ne pas les appliquer.
Pifomètre
Surtout, la différence d’appréciation entre les médecins s’explique par la différence entre les patients. « Les jolies cases ne conviennent pas à tout le monde » résume le praticien. Ici, entre en jeu ce que le chirurgien n’hésite pas à appeler le « pifomètre », qui est en réalité bien plus qu’une partition hasardeuse, mais une aptitude reposant sur la « combinaison d’expériences passées, de connaissances théoriques et de ressenti clinique ». En vertu de ce bagage complexe, « on peut tout à fait décider que là, non, on ne fait pas comme d’habitude. Que proposer le d’habitude est une mauvaise idée. Soit en raison de contre-indication franche qui force à s’adapter, soit parce qu’on ne le sent pas » observe l’auteur du blog de Stockholm qui renchérit qu’il n’est pas « forcément besoin des chiffres pour contre-indiquer un malade. Plusieurs éléments peuvent s’ajouter et faire réfléchir sur la balance des bénéfices et des risques d’une opération ».
Le médecin : le programme informatique du futur
Evidemment, comme souvent, les anglophones ont un terme pour cela, quand les Français doivent tâtonner et user d’expressions nécessairement imparfaites. « Jouer avec le pifomètre est partie intégrante de la médecine. C’est sur la qualité du pifomètre que se jouent pour beaucoup les différences entre les bons et les mauvais médecins (…) En fait c’est pas vraiment du pifomètre, c’est l’educated guess des anglophones. C’est le truc qui fait que quand on cherche à deviner mais qu’on a une expérience solide dans le thème, on devine pas souvent à côté », remarque le praticien. Plus que ce passage par l’anglais ou par les périphrases, le chirurgien propose une comparaison plus pertinente avec l’informatique. Il note que le prochain défi des intelligences artificielles sera de « savoir fournir des réponses fiables en manquant de données dans l’énoncé du problème (…). Ça m’a fait beaucoup penser à la médecine. On n’a pas toutes les données, et il faut prendre des décisions ».
Comment dire que la médecine n’est pas une science exacte ?
Cette spécificité de la médecine, sur laquelle tant de philosophes et de spécialistes d’éthique se sont penchés a aujourd’hui, à l’heure où la plus grande transparence est attendue des praticiens, des conséquences particulières. Faut-il en effet révéler aux patients tous les tenants et aboutissants de ces réflexions ? Faut-il cacher que dans certains cas on s’éloignera de la norme ? Ou admettre qu’il n’existe pas de consensus ? Il faut ainsi « décider de l’information qu’on délivre. De comment on la délivre. De ne pas faire un catalogue d’effets secondaires et de complications en laissant le patient se démerder. De pondérer l’information brute, chiffrée, avec le poids du pifomètre » énonce l’auteur du blog de Stockholm.
Bien sûr, une telle présentation s’écarte un peu du mantra de ceux qui estiment que rien ne doit être passé sous silence. De plus étaler au grand jour l’incertitude ou plus certainement l’inexistence d’une certitude absolue a également des inconvénients. Elle heurte et renforce l’angoisse « des gens qui ont tendance à être des control freaks » et qui sont nombreux en une époque où certaines techniques donnent l’illusion d’une possibilité de tout maîtriser. Qui hélas n’est qu’un leurre.
Pour découvrir in extenso ces réflexions de ce jeune chirurgien, vous pouvez vous rendre sur Le Blog de Stockholm : http://stockholm.eklablog.com/.
Aurélie Haroche
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