LE MONDE | | Par Elisabeth Roudinesco
Né à Buenos Aires le 1er avril 1920, Salomon Resnik est mort le 16 février à Paris, où il s’était installé en 1968, tout en formant des élèves en Italie et notamment à Venise. Clinicien bienveillant et jovial, il aura consacré sa vie à s’occuper passionnément des malades mentaux avant et après l’apparition des traitements chimiques qui dominent aujourd’hui le savoir psychiatrique.
Fils d’immigrants juifs venus d’Odessa, il s’engage à l’âge de 18 ans dans des études de médecine, puis évolue vers la psychiatrie. Il rencontre alors les pionniers de la psychanalyse en Argentine, et notamment Enrique Pichon-Rivière (1907-1977), auprès duquel il se forme. Ce maître mélancolique, fondateur avec quelques amis, en 1942, de l’Association psychanalytique argentine (APA), rattachée aussitôt à l’International Psychoanalytical Association (IPA, 1910), l’initie à la clinique des psychoses et à différents types de pratiques de groupe. Par sa conception de la « maladie unique », Pichon-Rivière, clinicien éclectique de grande envergure, soutient l’idée que la folie doit être traitée à travers trois approches : sociale, psychique, psychosomatique.
Compréhension innée
Resnik restera l’héritier de cette tradition humaniste, dont il deviendra l’un des illustres représentants. Comme le souligne son ami et collègue Pierre Delion, professeur de pédopsychiatrie à Lille, « Salomon connaissait de nombreuses langues – espagnol, français, italien, russe, ukrainien, yiddish –, mais il parlait aussi le psychotique » (Rencontre avec Salomon Resnik. Culture, fantasme et folie, Erès, 2005).
Autant dire que Resnik avait une compréhension innée de la langue de la folie. Et c’est pourquoi, en 1957, comme de nombreux Argentins, il quitte Buenos Aires pour se rendre en Europe, et d’abord en France, pour y parfaire sa formation auprès des ténors de la psychothérapie institutionnelle. Inventé en 1952 par le psychiatre Georges Daumezon (1912-1979), ce terme désigne une thérapeutique de la folie qui vise à réformer l’institution asilaire en privilégiant une relation dynamique entre les patients et les soignants.
Déjà adepte de cette approche, Resnik rencontre donc François Tosquelles (1912-1994) et Jean Oury (1924-2014). Cependant, toujours curieux de nouvelles approches, il décide de partir pour Londres, afin de se former auprès des plus prestigieux cliniciens de l’école anglaise : Melanie Klein (1882-1960), célèbre psychanalyste d’enfants, et Herbert Rosenfeld (1910-1986), sur le divan duquel il suit une nouvelle tranche d’analyse tout en participant aux travaux de la Tavistock Clinic.
Un enseignant admiré
Il s’initie alors à une pratique différente de la folie – et surtout de la schizophrénie – qui met l’accent sur la nature inconsciente de l’identification projective dans le traitement des psychoses, c’est-à-dire sur un mode spécifique de structuration psychique du patient consistant à introduire sa propre personne dans celle d’autrui pour lui nuire. Dans cette perspective, Resnik se rapproche également des thèses d’Esther Bick (1902-1983) sur la genèse de l’autisme et de Wilhelm Ruprecht Bion (1897-1979), clinicien d’origine indienne, personnage flamboyant et turbulent, analyste de Samuel Beckett, spécialiste des états-limites (borderline states), souvent comparé à Jacques Lacan pour ses innovations.
Quand Resnik décide de s’installer de nouveau à Paris, il a donc acquis toute la culture psychiatro-psychanalytique du XXe siècle : école argentine (groupale), école française (dynamique), école anglaise (intrapsychique). Autant dire qu’il est déjà devenu, par ses diverses migrations, un enseignant admiré. On retiendra deux ouvrages majeurs, Temps des glaciations. Voyage dans le monde de la folie (Erès, 1999), dans lequel il montre comment des patients psychotiques évitent les souffrances par une congélation de leur être, et Biographie de l’inconscient (Dunod, 2006), où il décrit, comme dans un roman, les différentes facettes de la vie intrapsychique.
Resnik expliquait volontiers que son désir d’explorer le monde scintillant de la déraison remontait à un souvenir d’enfance : « Lorsque j’étais enfant, j’étais fasciné par une robe noire de ma mère, avec des paillettes qui me donnaient l’impression d’un univers étoilé et étonnant. Chaque paillette était un petit soleil. »
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