Coline Garré 10.11.2016
Combattre la terreur par la raison et comprendre dans le détail les phénomènes à l'œuvre aujourd'hui. Les mots d'Alain Fuchs, président du CNRS, après le 13 novembre, résonnent encore. Parallèlement aux études épidémiologiques (voir encadré), et au grand programme de recherche du CNRS « 13 novembre » alliant sciences humaines et neurosciences, l'AP-HP et le fonds MSDAvenir ont lancé l'étude clinique « Paris mémoire vive (Paris MEM) ».
L'objectif : évaluer l'efficacité d'une technique de prise en charge des patients atteints de stress post-traumatique (ESPT), par blocage de la reconsolidation des souvenirs, à l'aide de propanolol, béta-bloquant génériqué. Une technique qui a vocation à devenir un traitement de première ligne, ou au moins une alternative aux thérapies existantes, croit le promoteur de l'étude, le Pr Alain Brunet, de l'université Mc Gill à Montréal.
Le projet repose sur la théorie de la reconsolidation mnésique, qui elle-même se fonde sur la consolidation. Celle-ci veut que pour persister, un souvenir doit être consolidé. Mais il peut y avoir interférence entre la mémoire de travail et la mémoire à long terme, le souvenir se trouvant ainsi dégradé. Un souvenir repêché (remémoré) doit être consolidé de nouveau, explique le Pr Brunet.
Bloquer la reconsolidation d'un souvenir douloureux - grâce au propanolol pris une heure avant le rendez-vous avec le psychiatre, où le patient repensera à son trauma - permettrait donc d'en atténuer la charge émotionnelle, tout en laissant la mémoire épisodique intacte. « Le souvenir traumatique devient un mauvais souvenir. Comme un ex », explique le Pr Brunet. Au bout de 6 séances, promet-il, à la lumière des travaux de son équipe.
« Cette technique ne serait pas sujette aux rechutes comme les thérapies brèves (EMDR, CBT) ; elle peut aussi convenir à des patients qui ne veulent pas parler. Ou qui sont réticents à commencer un antidépresseur. Elle peut aussi se combiner à un autre traitement », promeut-il. Et son recours dépasse le cadre terroriste : elle peut ainsi servir pour prévenir des états de stress post-traumatique découlant d'un viol, d'une agression, d'un accident, etc.
400 patients espérés dans 15 centres
En France, l'étude, financée à hauteur de 600 000 euros par MSDAvenir et instiguée par le Pr Bruno Millet, psychiatre à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière, vise à comparer deux groupes : l'un de 300 personnes, bénéficiant du blocage par propanolol, l'autre de 100 personnes suivant un traitement classique (antidépresseur et/ou psychothérapie). Elle devrait durer 2 ans (un an d'inclusion, et un an de suivi).
Parmi les critères d'évaluation : la différence du score moyen de symptômes post-traumatiques (questionnaire PCL-S) recueilli avant traitement, versus 7 semaines après, puis à 3 mois et 12 mois, et le taux d'abandon et de rechute. Seront aussi pris en compte l'impact social, la qualité de vie, et le rapport coût-utilité de cette approche.
Pour ce faire, 130 cliniciens ont été formés, dans 15 centres. Celui de Nice a ouvert cette semaine. « On aimerait le convaincre de tester la technique chez les enfants », indique le Pr Brunet.
Mais pour l'heure « le recrutement est difficile », reconnaissent les psychiatres qui recensent une cinquantaine de participants. Ils lancent un appel aux volontaires. Et tentent de mobiliser les centres qui pourraient être les piliers d'un futur réseau spécialisé dans le PTSD.
« C'est la plus grande étude sur le stress post-traumatique ; ambitieuse et complexe » s'est félicité Martin Hirsch, DG de l'ARS, estimant que l'AP-HP remplissait son devoir de grand centre de recherche à rayonnement mondial.
Pour participer à l'étude Paris Mem, un numéro : 01.42 .16 .15 .35. Les critères : ressentir des difficultés à reprendre sa vie normalement depuis les attentats, être majeur, affilié à la Sécurité sociale, être disponible pendant un rendez-vous par semaine pendant 8 semaines, et ne pas être enceinte.
Plusieurs études en cours
L'Appel d'Alain Fuchs, président Centre national de la recherche scientifique (CNRS), en faveur de la recherche a déjà donné lieu à plus de 300 propositions de recherche. Le CNRS a choisi d'en retenir 66, qu'il soutient à hauteur de 800 000 euros. Une journée de restitution aura lieu le 28 novembre prochain. Parmi les domaines concernés par ces travaux : la neutralisation chimique des explosifs, les trajectoires de jeunes « radicalisés », les amalgames et discriminations contre les musulmans, la fouille de données, les traumatismes des victimes, les atteintes au patrimoine archéologique, la propagande sur Internet et le rôle des fictions (TV et films).
Par ailleurs, dans l'esprit de l'étude épidémiologique IMPACTS, lancée à la suite des attentats de janvier 2015 auprès de près de 400 personnes et qui révèle, notamment que six mois après les attentats, près de 4 personnes sur 10 présentent un trouble de santé mentale, Santé publique France a mis en place l'étude ESPA, en partenariat avec Paris XIII. Elle s'adresse à tous les impactés du 13 novembre. Elle s'articule avec le programme « 13 novembre » du CNRS, de l'INSERM et héSam université, qui explore les voies de la mémoire individuelle et collective.
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