Par Jacques André , Psychanalyste — 12 novembre 2016 à 16:29
«Réfléchir, essayer de penser la folie collective comme elle analyse la folie privée», répond le psychanalyste Jacques André.
«L’esprit du 11 janvier»… la formule est volontiers reprise, sur le mode de l’invocation. Ce jour-là (11 janvier 2015), une foule presque immobile, assemblée trop puissante (ou fragile) pour marcher, occupait tout l’espace de la République à la Nation en passant par la Bastille. Foule étrangement sereine, là où la simple esquisse d’une panique aurait pu tourner à la catastrophe. De ce rassemblement, Freud a écrit ce qu’il y a psychanalytiquement à penser. Un tel élan collectif n’est possible que par l’intensité d’un moment identificatoire. Identifications des uns aux autres qui n’est rendu possible que par l’identification à un idéal (du moi) commun, ici la Liberté, dont la liberté d’expression est la représentation la plus concrète qui soit : libre de dire ou dessiner ce que je pense, ou condamné à mort. La Terreur, comme l’inconscient, est régie par la loi de Dracon, elle ne connaît que deux verdicts : l’acquittement ou la mort, avec une nette inclination pour la dernière extrémité. Le 7 janvier, l’assassinat simultané des journalistes de Charlie et des juifs de l’HyperCacher ne manquait pas de symbolique, celle d’une synthèse de la barbarie.
Sous les nouveaux coups de boutoir de la Terreur, le Bataclan, Bruxelles, Nice que reste-t-il de cet «esprit» ? Pas grand-chose… Le 7 janvier, des symboles ont été assassinés. Et la réponse symbolique et vivante n’a pas tardé, le 11 janvier tout le monde était place de la Liberté. Rien de tel après le 13 novembre. S’il y a eu une réaction collective, c’est celle de tous ces jeunes hommes et femmes prêts à s’engager dans l’armée. Non plus pour défendre la liberté, mais pour détruire la Destruction. Le 7 janvier était encore politique, le 13 novembre est apocalyptique. Chacun, quand il n’a pas perdu un proche, connaît au moins quelqu’un qui connaît quelqu’un… Écho personnel de cette anxiété généralisée : c’est un patient, le matin du 7 janvier, qui m’avait appris pour Charlie, mais plus étrangement le 13 novembre, alors qu’il était plus de 21 heures et que j’étais tranquillement posé chez moi, ce sont aussi deux patientes, via deux SMS au texte semblable, qui m’amènent à penser que quelque chose de grave se passe : «Où êtes-vous ? Vous êtes en sécurité ?» Ce voisinage de la mort rend celle-ci présente tout autrement que le 7 janvier, au point de l’ériger en figure centrale. Les morts du 7 janvier étaient singuliers, les auteurs de Charlie, ou identifiés, les juifs. Ceux du 13 novembre (ceux de Nice ensuite) sont anonymes et quantitatifs, ils sont 130.
Le travail de la symbolisation, de l’humanisation, a bien fait quelques tentatives. Paris, d’abord. Notre Paris est leur Sodome. Écouter de la musique, parler, rire, boire un verre… autant d’abominations et de perversions. Mais on a vite senti que «Je suis Paris» n’aurait jamais la force de «Je suis Charlie». La jeunesse, ensuite. Le délire de l’Apocalypse combat l’idée qu’il puisse y avoir un lendemain à sa propre mort. Sa mort, sa propre mort, est la mort du monde. C’est bien la génération de demain qui a été visée, celle de l’espoir.
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