LE MONDE | | Par Gaëlle Dupont
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« Je vais te tuer ma fille parce que tu nous pourris la vie. » Celle qui a écrit ces mots sourit timidement. Elle témoigne sous un nom d’emprunt et porte une perruque pour ne pas être reconnue. « C’est tellement honteux d’écrire ça », s’excuse Judith Norman. Elle dit être une« mauvaise mère » : c’est le titre de son livre, paru le 10 février aux éditionsLes liens qui libèrent(224 pages, 17, 50 euros). Elle a commencé ce journal intime le jour des 32 ans de Mina, sa fille adoptive, après une énième scène, au cours de laquelle la jeune femme a assommé sa mère, aujourd’hui âgée de 68 ans.
« J’ai écrit pour ne pas mourir, ça devenait tellement impossible, raconte-t-elle. Je voulais comprendre ce que nous avions mal fait, pourquoi nous n’avions pas réussi à la rendre heureuse. » « C’est un témoignage rare », observe la psychanalyste Sophie Marinopoulos, destinataire du récit, qui a décidé de le publier. Il paraît au moment où la loi sur la protection de l’enfant, qui réforme partiellement les statuts de l’adoption, doit être définitivement votée par l’Assemblée nationale le 1er mars.
Quand Mina est arrivée d’Ethiopie, à 13 mois, elle pesait 5 kg (en France, la moyenne est entre 8 et 13 kg). Son père était mort, sa mère l’avait abandonnée à 4 mois. Sa mère adoptive ne pouvait pas avoir de deuxième enfant biologique. « Je me suis dit : “on va l’aimer, elle sera notre fille, ça se fera facilement” », se souvient-elle.
Mais les difficultés surgissent dès l’entrée à l’école. Au « Je veux changer de famille ! » de la petite fille de 12 ans succède le « Salope, tu n’as fait aucun effort pour moi ! » de la jeune femme de 32 ans. Dès l’adolescence, les crises de délire alternent avec les séjours en hôpital psychiatrique et les tentatives de suicide. Aujourd’hui, Mina a plus de 35 ans, mais elle harcèle ses parents de coups de fils, multipliant les exigences. Si son père tente toujours de les satisfaire, sa mère a arrêté. Leurs contacts sont de plus en plus espacés.
2 % des enfants adoptés confiés à l’aide sociale
« La sécurité et le confort, ajoutés à l’amour, ne sont pas la recette miracle du bonheur, affirme Judith Norman dans son récit. La douleur de Mina, c’est cette vie entière pleine de points d’interrogation, sur son passé et son impossible futur ; ce miroir brisé dans lequel elle ne peut se reconnaître et qui l’empêche d’avancer. » Elle analyse lucidement les causes de la situation : d’abord l’abandon vécu par l’enfant, puis les carences durant ses premiers mois, le racisme subi en France, les parents adoptifs culpabilisés qui ne lui mettent aucune limite... Mais pas l’adoption. « Si c’était à refaire, je le referais », assure-t-elle. Le lien avec sa fille est indissoluble. Elle ne s’est même pas posé la question.
D’autres l’ont fait. La mission pour l’adoption internationale du Quai d’Orsay a précisé le 26 janvier qu’une quarantaine d’enfants ont été remis par leurs parents adoptifs à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) depuis deux ans, soit 2 % des adoptions sur cette période. C’est la première fois qu’un tel chiffre est rendu public en France. « Il y a certainement de nombreux cas dont nous ne sommes pas informés », commente Odile Roussel, ambassadrice chargée de l’adoption internationale. La France a commencé à collecter ces données car de plus en plus de pays exigent un suivi jusqu’aux 18 ans de l’enfant. Les chiffres pour les échecs d’adoptions d’enfants nés en France sont également inconnus.
En effet, rien ne permet de distinguer un enfant adopté d’un enfant biologique confié à l’ASE dans les statistiques. Selon certains praticiens, les échecs représenteraient autour de 15 % des adoptions. Des faits d’autant plus difficiles à établir que les situations sont variées. Dans les cas les plus graves, les enfants sont remis à l’ASE en vue d’une nouvelle adoption, qui ne pourra être qu’une adoption simple, l’adoption plénière étant irrévocable. Mais il arrive aussi qu’ils soient éloignés de leur famille (en pension par exemple) ou placés temporairement. « Il faut réserver le terme d’échec aux ruptures totales, quand les relations entre parents et enfants ont disparu ou sont extrêmement pauvres », affirme le pédiatre spécialiste de l’adoption Jean-Vital de Monléon.
Mieux préparer à l’adoption
Le sujet a longtemps été un non-dit. « Une adoption ne pouvait que réussir », observe Odile Roussel. « En parlant des difficultés, c’est comme si on allait contre la magie de l’adoption,analyse la psychologue Catherine Sellenet. Il faut redire que dans la majorité des cas, ça se passe bien. Il ne faut être ni aveugle, ni catastrophiste. »
Il reste que les exemples cités font froid dans le dos : tel enfant de cinq ans remis à l’ASE au bout de trois mois avec ses affaires dans un sac-poubelle ; tel autre renvoyé par avion dans son pays d’origine ; tel autre encore, âgé de trois ans, pupille de l’Etat, renvoyé à l’ASE après six mois dans la famille adoptive ; de nombreux cas de rejets et de violences réciproques à l’adolescence et à l’âge adulte. « C’est gravissime, d’autant plus qu’on est censés s’être assurés des capacités des parents », affirme le psychiatre Pierre Lévy-Soussan. « Pour les enfants, il est extrêmement difficile d’accepter le fait d’avoir été abandonné deux fois », relève la psychologue Françoise Vallée, qui travaille pour l’ASE de Loire-Atlantique.
D’où l’intérêt de lever le tabou, selon les spécialistes. « C’est de la prévention, souligne M. Lévy-Soussan. Plus on connaît les risques, plus on sait si on peut les prendre. Tous les enfants ne sont pas adoptables, tous ceux qui veulent être parents ne sont pas capables d’adopter. » La matière n’est évidemment pas une science exacte, mais des facteurs de risques sont identifiés par les professionnels. Se lancer seul, atteindre la cinquantaine, avoir un projet à forte dimension humanitaire peuvent être source de difficultés. L’attitude du pays d’accueil compte. « Les enfants adoptés sont regardés comme des êtres différents, regrette M. De Monléon. C’est de la maltraitance sociétale. »
Prendre en compte leur histoire
L’âge de l’enfant entre en jeu. « Un enfant qui arrive à cinq ans a un passé, explique Nathalie Parent, présidente de l’association Enfance et famille d’adoption. Il peut avoir vu mourir ses parents, été recueilli dans sa famille élargie, placé dans un orphelinat... Il a tissé des liens. Il va falloir faire avec. » Les mauvais traitements, la vie dans la rue laissent également des séquelles. « Certains enfants présentent de multiples troubles du comportement, observe Catherine Sellenet. On met les futurs parents en position de thérapeutes. C’est placer la barre très haut. »
Or, les deux tiers des adoptions internationales réalisées en France en 2015 concernent des enfants « à besoin spécifique » : âgés de plus de cinq ans, en fratrie, ou atteints d’une pathologie. Une réalité à laquelle les parents ne sont pas toujours préparés. « Le risque le plus grand, c’est d’élargir ses limites au-delà de ce qu’on est capable de faire », prévient Mme Parent. Quelque 17 000 agréments sont en cours de validité. Le chiffre est en baisse, mais la disproportion avec le nombre d’enfants adoptés en 2015 reste colossale : 815 à l’international, 773 en France.
Pourtant, malgré une forte attente du monde de l’adoption, la loi sur la protection de l’enfant ne réforme pas la procédure d’agrément, très largement accordé, et ne modifie que marginalement des statuts jugés par certains obsolètes, au vu du profil des enfants adoptables. Le risque de voir ce débat très sensible parasité par la question de l’homoparentalité a été jugé trop important.
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