LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Pierre Barthélémy
Vous ne l’imaginiez sans doute pas, mais il existe une revue de recherche intitulée Meat Science. Littéralement, « science de la viande ». On peut y trouver des travaux sur l’évolution des testicules chez les cochons non castrés, les effets du stress sur la qualité de la bidoche ou encore de nouvelles méthodes pour tester la qualité musculaire des vieux bœufs. Et parmi tous ces articles où l’on triture tous les morceaux, bas et nobles, des différents animaux d’élevage, figure, dans le numéro daté de février de cette revue, une étude dont le sujet est… le cerveau humain. Je vous rassure, nous ne sommes pas encore dans le film Soleil vert(Richard Fleischer, 1973), et l’objet de ce travail n’est pas de déterminer si on va pouvoir remplacer la cervelle de mouton par de la matière grise d’Homo sapiens. Non, son objectif consistait à déterminer les zones du cerveau qui sont excitées lors de la consommation de viande.
Chercheurs à l’université Texas Tech, ses auteurs ont convié quelques « cobayes » non végétariens à venir s’allonger trois fois dans une machine à imagerie par résonance magnétique (IRM). La première fois avant que le test ne commence, pour avoir le paysage cérébral au repos. Puis les participants allaient manger un morceau de steak grillé et revenaient aussitôt après se glisser de nouveau dans la machine, pour une deuxième IRM fonctionnelle, sorte de cartographie des zones activées dans l’encéphale. Le troisième et dernier « scan » avait lieu une demi-heure plus tard, quand la bouchée de viande n’était plus qu’un souvenir. Pour varier les plaisirs, certains tests étaient effectués avec de la barbaque de qualité supérieure (tendre, juteuse, goûteuse) tandis que l’on servait de la semelle le reste du temps.
Du plaisir passé à la moulinette
L’expérience montre, sans trop de surprise, la corrélation entre la qualité – bonne ou mauvaise – de la viande et les régions du cerveau impliquées dans ce que les neurosciences appellent le « système de récompense », comme, par exemple, les petites structures nommées noyaux accumbens. Les auteurs suggèrent que « cette information pourrait conduire à de nouvelles méthodes pour développer les produits carnés et en faire le marketing ».
Bienvenue, donc, dans l’ère dite du « neuromarketing », l’ère du plaisir passé à la moulinette de la neuro-imagerie. Depuis quelques années, les études utilisant l’IRM fonctionnelle se multiplient pour toutes sortes de produits, au point qu’on a l’impression que ces machines se sont transformées en annexes du supermarché. On a ainsi vu paraître des articles sur la manière dont le cerveau « répondait » aux crèmes glacées, aux chocolats, aux sodas aux édulcorants, aux sodas sans édulcorant, aux sodas de grandes marques, aux sodas pas de grandes marques, au vin cher, au vin bon marché, aux calandres de voitures et peut-être même, en cherchant bien, aux ratons laveurs…
Il y aurait de quoi s’interroger sur l’utilisation marketing que l’on fait ensuite du décorticage de nos neurones… si l’IRM dite fonctionnelle permettait vraiment d’explorer en finesse la tuyauterie cérébrale, ce qui est loin d’être le cas. On rappellera une étude américaine savoureuse, parue en 2010, au cours de laquelle était examinée la cervelle d’un saumon mort glissé dans une machine à IRM : les chercheurs eurent la surprise de constater que des zones « s’allumaient » encore dans la tête de la défunte bête. Cela ne montrait pas que l’expérience l’avait ressuscitée mais que le protocole standard employé se révélait incapable d’éliminer les résultats faussement positifs.
- Pierre Barthélémy
Journaliste au Monde
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