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dimanche 28 février 2016

En entreprise, mieux vaut paraître doué que bosseur

Le Monde.fr  | Par Annie Kahn

Elon Musk en 2014, patron milliardaire de SpaceX, Tesla et de SolarCity incarne l'entrepreneur doué et bosseur.
Elon Musk en 2014, patron milliardaire de SpaceX, Tesla et de SolarCity incarne l'entrepreneur doué et bosseur. Jae C. Hong / AP

Sur les bancs de l’école, le brio ne plaît pas. Aux profs du moins. « Peut mieux faire », s’entendra dire celui ou celle dont les résultats doivent plus à ses capacités naturelles. Alors qu’un autre plus travailleur, par nécessité sans doute, sera félicité pour des résultats équivalents. A la différence des élèves, qui se détournent des « intellos », bosseurs pour avoir de bonnes notes, mais sont plus cléments avec l’élève brillant capable de faire le pitre pour se faire aimer.
Ce comportement adolescent perdure. Il s’incruste dans les esprits, semble-t-il. Dans la vie dite active, non seulement les collègues mais aussi leurs chefs continuent de se comporter comme des copains de classe, vient de prouver Chia-Jung Tsay, professeure de psychologie à l’University College de Londres.
Mieux vaut apparaître doué que bosseur, explique-t-elle dans une publication qui vient de paraître dans le Personality and Social Psychology Bulletin de l’année 2016. Certes, pour réussir, il faut cumuler les deux.

Mais, entre un être relativement travailleur mais très doué, et un autre relativement doué mais très travailleur, c’est le premier qui sera le plus gratifié. Même si les deux produisent des résultats équivalents tant en quantité qu’en qualité. Et, pire, même si ceux du gros bosseur sont meilleurs que ceux du prétendu surdoué. « Si les gens savaient à quel point il m’a fallu travailler dur pour maîtriser mon art, ça ne leur semblerait pas du tout aussi merveilleux »,aurait dit Michel-Ange.

Performances objectives

Le constat prévaut dans tous les domaines, semble-t-il.
Parce que le talentueux né, ou supposé l’être, en aurait plus sous le pied, peut-on penser ? Ou parce que ses compétences peuvent sembler plus stables, inaltérables ? Ou encore parce qu’elles peuvent laisser penser qu’un être doué pourra plus facilement s’adapter à des situations nouvelles ?, s’interroge également la chercheuse. Le raisonnement peut sembler logique. Mais il n’est malheureusement pas juste.
Mme Tsay, qui est non seulement professeure d’université, mais aussi pianiste professionnelle, l’avait déjà démontré dans une précédente étude sur les as du clavier. A la suite d’une série d’expériences durant lesquelles il était demandé à un échantillon de personnes de juger des qualités de deux pianistes, elle avait prouvé que les gens notaient mieux celui dont la biographie était celle d’un virtuose que celui dont la pratique intensive de l’instrument avait été soulignée. Alors qu’ils avaient entendu des enregistrements d’un seul et même artiste.
Soucieuse de vérifier si ce comportement était généralisable et non seulement limité à un secteur artistique – dont on estime souvent qu’il faut être naturellement doué pour y réussir –, elle s’est attaquée à un domaine où l’émotion devrait jouer un rôle bien moindre au profit des performances objectives : celui de l’entrepreneuriat.

Conséquences fâcheuses

Une série d’expériences a confirmé ce verdict. Elle a demandé à différents groupes de personnes – certains étant des investisseurs expérimentés, d’autres pas – de juger des chances de succès d’un échantillon d’entrepreneurs. Les profils de ces entrepreneurs étaient décrits différemment dans les deux groupes. Ceux décrits comme bosseurs dans le premier étaient au contraire des surdoués dans le second, et vice versa.
Il est apparu qu’un projet était moins bien noté, que cela concerne la pertinence du pitch, le secteur et le marché potentiel visés, les chances de succès de la start-up, et donc l’envie d’investir dans la société, quand la biographie était celle d’un bosseur que lorsqu’elle mettait en valeur le supposé talent naturel de l’entrepreneur. En moyenne, pour recueillir les faveurs d’un investisseur expérimenté, il fallait à un créateur de start-up « bosseur » quatre à cinq années d’expérience de plus que pour le « naturellement talentueux », et des capitaux propres plus élevés, entre autres critères.
Cette erreur d’appréciation inconsciente peut avoir des conséquences fâcheuses. Comme de conduire à ne pas donner leur chance à des entrepreneurs prometteurs, faute de financement, ou de mal évaluer les capacités de candidats à l’embauche, ou celles de collaborateurs. Au détriment de l’entreprise et du malheureux besogneux. Alors même que d’autres études ont prouvé, dans le passé, que les bosseurs ont plus de chance de réussir que les présumés naturellement doués.
On peut espérer que les travaux de Mme Tsay permettront à chacun d’être plus lucide à l’avenir et de ne pas se laisser abuser par le miroir aux alouettes de pseudo-stars. Mais, d’ici là, peut-être faut-il en jouer. Comme à l’école !

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