« Et si des aliments pouvaient contribuer au traitement de certaines maladies mentales ? » s’interroge The Australian & New Zealand Journal of Psychiatry. On sait en effet que la frontière entre médicament et aliment tend parfois à s’estomper (comme pour les vitamines, dans la prévention du scorbut et du rachitisme), au point qu’on évoque parfois la notion d’« alicaments » pour désigner ces produits au confluent de l’alimentaire et du thérapeutique.
Si cette idée de « l’aliment qui soigne » n’est pas nouvelle (puisqu’elle remonte « au moins à l’époque d’Hippocrate » et que Soranus d’Ephèse vantait déjà les mérites des eaux alcalines dont on dira plus tard qu’elles peuvent contenir, avec le lithium, « un psychotrope naturel »), des études se sont récemment multipliées pour évaluer l’effet de certains régimes alimentaires sur divers troubles psychiatriques, comparativement à des placebos, et « plus de vingt essais contrôlés présentent le bénéfice de plusieurs aliments contre le stress, l’anxiété, l’agressivité chez les prisonniers, les troubles de l’humeur, l’autisme et les troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité » (TDAH).
Par exemple, à l’Université de Canterbury (Christchurch, Nouvelle-Zélande), Julia Rucklidge[1] et coll. ont montré en 2014 « l’intérêt d’un large éventail d’aliments pour réduire les symptômes du TDAH. » Et des recherches ont souligné ce lien entre nutrition et psychopathologie à travers l’impact de « divers suppléments en minéraux et en vitamines sur l’irritabilité, l’anxiété et la dépression. » En particulier, pour les dépressions modérées à sévères, on a noté « deux fois plus de rémissions chez les sujets supplémentés en certains micronutriments que dans le groupe sous placebo » et les bénéfices de cette amélioration thymique « ont continué pendant toute l’année du suivi. »
Comment justifier ces résultats ? Les auteurs estiment que cette efficacité des minéraux et micronutriments pourrait notamment s’expliquer car il s’agit là souvent de cofacteurs (ou de précurseurs chimiques de ces cofacteurs) engagés comme coenzymes dans les processus métaboliques de divers neurotransmetteurs. Mais d’autres mécanismes d’action ont été proposés, comme une incidence sur les processus énergétiques des cellules nerveuses comportant une augmentation de la production d’ATP.
L’auteur déplore la trop « lente acceptation » de ces apports alimentaires en thérapeutique mais rappelle, avec l’exemple du jus de citron, que cette résistance au changement (misonéisme) « n’est pas rare. » Dès 1601, le capitaine James Lancaster montrait (par la première étude de cohorte) que le jus de citron prévient le scorbut : lors d’un voyage d’Angleterre aux Indes, les marins d’un navire reçurent du jus de citron quotidiennement, et ceux des trois autres bateaux n’en eurent pas. À mi-chemin du long voyage maritime, « 40 % des marins de ces trois bâtiments avaient péri, mais aucun mort n’était à déplorer sur le premier bateau. » Malgré cette observation, il fallut attendre 146 ans pour que cet « essai thérapeutique » fût renouvelé (1747) par un médecin, James Lind[2]… puis 48 ans pour que la Marine britannique ordonnât l’utilisation d’agrumes sur tous ses bâtiments, et encore 70 ans pour l’adoption officielle de cette innovation par le British Board of Trade (organisme institutionnel du commerce britannique) ! 264 ans s’étaient ainsi écoulés, depuis la première observation du capitaine Lancaster…
[2] Assimilant le scorbut à une forme de putréfaction du corps, James Lind pensait que le jus de citron ou un autre acide pourrait empêcher cette décomposition des organes. Ému par les conséquences désastreuses de la circumnavigation de l’Amiral Anson (1400 décès par scorbut), Lind réalisa la première « étude contrôlée » de l’Histoire en divisant l’équipage en six groupes recevant tous le même régime alimentaire, complété quotidiennement par l’un de ces différents acides pour lutter contre cette « putréfaction scorbutique » : une pinte de cidre, vingt-cinq gouttes d’élixir de vitriol, trois à six cuillerées de vinaigre, deux pintes d’eau de mer, le jus d’un citron, ou une « pâte épicée » accompagnée d’une sorte de sirop d’orgeat (barley water). Par sérendipité (trouvaille inattendue), un faux raisonnement put ainsi déboucher sur une authentique découverte !
Dr Alain Cohen
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