C’est dans les villes-centres des grands pôles urbains que se concentre la pauvreté en France, bien plus que dans les banlieues et les couronnes périurbaines. L’Insee livre, dans une étude publiée mardi 2 juin, une image détaillée et actualisée de la pauvreté, déjà esquissée dans son « Portrait social de la France » en novembre 2014. Et confirme qu’à rebours des thèses défendues par le géographe Christophe Guilluy en septembre 2014 dans son ouvrage La France périphérique (Flammarion, 18 euros), « la pauvreté est dans l’ensemble la plus forte dans les villes-centres des grandes aires urbaines ».
Dans ces cœurs d’agglomération, 20 % des ménages en moyenne ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. Le taux de pauvreté dans les villes-centres « atteint parfois deux à trois fois celui des banlieues et plus de quatre fois celui des couronnes périurbaines », souligne l’Insee. Plus on s’éloigne du centre, plus ce taux recule : il est de 14 % dans les proches banlieues, de 10 % environ dans les grandes couronnes.
Dans les grands pôles urbains, les niveaux de vie médians « sont presque toujours plus élevés en banlieue qu’en ville-centre », souligne l’Insee. « Cela recouvre de grandes disparités : ces pôles urbains regroupent des villes hétérogènes, avec des populations aisées et de la pauvreté », précise Luc Brière, chef de la division statistiques régionales, locales et urbaines de l’Insee.
« Revenu disponible »
Pour établir ces statistiques basées sur les indicateurs de 2012 – les plus récents disponibles –, l’Insee a pu, pour la première fois, utiliser un fichier de données sociales et fiscales exhaustif, baptisé Filosofi. Celui-ci croise les données fiscales issues de la direction des finances publiques et les données sur les prestations sociales fournies par les principaux organismes prestataires. « Ce fichier nous permet de nous baser sur le revenu disponible, et non seulement le revenu fiscal. Pour parler correctement de la pauvreté, il faut tenir compte aussi des prestations sociales reçues et des impôts payés, explique Luc Brière. Grâce à Filosofi, nous pouvons aussi travailler au niveau communal, et non plus seulement à une échelle départementale. »
Alors que Christophe Guilluy, pour souligner la fracture entre des métropoles mondialisées et des territoires périphériques laissés pour compte, assurait que la question sociale se concentrait « de l’autre côté des métropoles, dans les espaces ruraux, les petites villes, les villes moyennes, dans certains espaces périurbains », l’étude de l’Insee montre au contraire une pauvreté limitée dans les communes situées aux portes des grandes aires urbaines.
Et si les communes isolées, rurales ou peu denses situées en dehors de l’attraction d’un pôle urbain affichent un taux de pauvreté élevé – 17 % –, elles n’hébergent malgré tout que 5 % de la population pauvre en France. « Globalement, 77 % de la population pauvre réside dans les 230 grandes aires urbaines de métropole, dont 65 % dans les grands pôles urbains et 20 % dans l’aire urbaine de Paris », résume l’Insee.
De fortes inégalités
Les villes-centres sont aussi celles qui concentrent les plus fortes inégalités. « Le niveau de vie au-dessus duquel se situent les 10 % de personnes les plus aisées est en moyenne plus de 4,4 fois supérieur à celui en dessous duquel se trouvent les 10 % les moins aisés », détaille l’Insee. A Paris, ce coefficient est même de 6,7 fois… contre un rapport de 3,5 fois en moyenne sur l’ensemble de la population.
Dans ces cœurs d’agglomération, la part des revenus du patrimoine représente 30 % du revenu pour les 10 % les plus riches, quand la part des prestations sociales atteint 46 % du revenu des 10 % les plus pauvres.
Sans surprise, ce sont les ménages jeunes, les familles nombreuses et les familles monoparentales qui sont le plus touchés par la pauvreté. Dans les villes-centres, 27 % des ménages jeunes, 35 % des familles monoparentales et 37 % des ménages de cinq personnes et plus vivent en situation de pauvreté. A l’inverse, là aussi, c’est dans les couronnes des grands pôles urbains que ces taux sont les plus faibles.
A plus grande échelle, les statistiques issues du fichier Filosofi soulignent une pauvreté très élevée en Corse, Languedoc-Roussillon et Nord - Pas-de-Calais (autour de 20 %), tandis que le taux de pauvreté reste autour de 10 % en Bretagne et Pays de la Loire. L’Ile-de-France compte à la fois les départements ayant le plus fort et le plus faible taux de pauvreté (9 % dans les Yvelines, 27 % en Seine-Saint-Denis).
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