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Elles sont une trentaine de femmes en tenue de sport, les cheveux attachés, gants de boxe au poing, en position de combat. L'entraînement se fait par groupes de deux, sous la conduite de deux moniteurs taillés à la serpe. Que faire en cas d'agression avec une arme ? "Si on vous demande quelque chose, votre téléphone, votre sac, donnez-le, commence Christophe. Si l'agresseur veut autre chose, il faut réagir. Vous êtes une femme, c'est un homme, il a un couteau, il est sûr de lui. Tant mieux. Il ne s'attendra pas à une réaction." D'une main, il écarte le bras menaçant de son acolyte, avant d'envoyer un coup de pied entre ses jambes. Les gestes sont répétés plusieurs fois par les participantes.
Elles viennent dans cette salle de sport du 12e arrondissement de Paris tous les samedis après-midi pour pratiquer le Krav Maga,"combat rapproché" en hébreu. Cette méthode d'autodéfense a été créée par Imi Lichtenfeld, champion de lutte juif hongrois, émigré en Palestine en 1940, pour former rapidement les premiers soldats israéliens. Depuis, le Krav Maga s'est internationalisé et a été adopté par les civils. Les femmes s'y intéressent de plus en plus. Sur les 9 000 licenciés français, 15 % sont des femmes. "C'est 2 % à 3 % de plus qu'il y a trois ans", relève Richard Douieb, président de la fédération européenne de Krav Maga.
"ELLES NE VEULENT PLUS ÊTRE VICTIMES"
C'est la partie la plus visible d'un engouement croissant pour l'autodéfense féminine. Toutes les structures contactées par Le Mondefont état d'une hausse de la demande. Le signe d'une insécurité plus grande, ou l'indice d'une nouvelle attitude des femmes ? Pour M. Douieb, "elles viennent parce qu'elles ne veulent plus être victimes". Un mouvement sans doute facilité par la dénonciation croissante des violences faites aux femmes et du harcèlement de rue.
Même constat à l'Association Krav Maga police (AKMP), qui donne le cours en ce samedi après-midi. Les moniteurs sont des policiers ou douaniers qui souhaitaient à l'origine promouvoir la pratique du Krav Maga parmi les forces de l'ordre. Ils sont bénévoles. "Nous avons eu des demandes de femmes de collègues, explique l'un des membres, Michel. D'abord nous avons organisé des stages ponctuels, puis un cours hebdomadaire. Chaque semaine, de nouvelles personnes appellent." L'AKMP met d'ailleurs en garde contre les "charlatans"attirés par ce créneau porteur.
"UN DOIGT DANS L'OEIL"
Quelques principes fondent la discipline. Mieux vaut éviter une situation dangereuse (en changeant de trottoir, en criant, en fuyant...). En cas d'agression physique inévitable, tout le monde peut se défendre. Et tout le monde a intérêt à le faire, y compris les plus faibles physiquement. "Même si vous pesez 40 kg, vous pouvez vous tirer d'une situation délicate en mettant un doigt dans l'oeil de votre agresseur", explique Michel. "L'idée qu'il vaudrait mieux qu'une femme ne se défende pas est aberrante, estime également Christophe. C'est se priver d'une chance de s'enfuir."
Les moniteurs désignent les parties vulnérables du corps (yeux, gorges, testicules, articulations), et apprennent à les atteindre efficacement. Par exemple en frappant avec le plat de la main et non le poing, pour ne pas risquer de se casser les poignets, en donnant un coup dans la poitrine de l'agresseur pour lui couper le souffle, etc. "Ce sont des gestes simples qui peuvent ressortir dans des situations de stress intense", explique Christophe. L'objectif est de gagner du temps pour fuir - tout en restant dans le cadre de la légitime défense.
"ON N'A PAS BEAUCOUP DE MUSCLES"
"Toutes les filles devraient faire ça pour se sentir à l'aise dans la rue", dit l'une des pratiquantes, Marine, une étudiante de 18 ans. Elle prend le train vers la banlieue nord, et rentre parfois chez elle de nuit. Elle s'est déjà fait suivre, mais a pu semer l'homme. "C'est parfois flippant,dit-elle. On n'a pas beaucoup de muscles, on ne peut compter que sur notre bonne étoile." Grâce à l'autodéfense, elle a davantage confiance en elle. Les mêmes raisons poussent Claudine, 59 ans, à pratiquer."Etant infirmière, je rentre tard, relate-t-elle. Je ne suis pas toujours rassurée. Il y a des interpellations du genre : "Alors cocotte, tu viens avec moi ?". Je ne me suis jamais servie physiquement de la technique, mais elle m'aide à garder mon sang-froid."
La chronique des faits divers nourrit l'anxiété. "On entend parler d'histoires horribles, on se construit des scénarios, dit Hélène, 29 ans.Mon ami est très protecteur et ça le rassure de savoir que je peux me défendre." Certaines, comme Sophie, ont déjà été confrontées à la violence physique. "Je n'avais pas peur jusqu'à mon agression. J'ai grandi dans le 19e à Paris, je connais les codes, sourit la jeune femme.S'il y a un groupe de mecs sur un trottoir, mieux vaut ne pas passer au milieu." Mais il y a trois ans, alors qu'elle rentrait du réveillon, un homme a essayé de l'entraîner dans un local à poubelles en l'étranglant. "J'ai eu une bonne réaction, j'ai griffé, j'ai crié, et j'ai réussi à m'enfuir. Mais j'ai eu très peur." Le Krav Maga est sa "thérapie". En cas de nouvelle agression, elle veut être "prête".
Gaëlle Dupont
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