Sous la plume de deux chercheurs (dont l’un exerce en psychiatrie, au département de neurosciences cliniques du célèbre Institut Karolinska de Stockholm), Acta Psychiatrica Scandinavica évoque une étude suédoise sur le risque de suicide chez les jeunes en fonction de la prescription ou de l’absence de prescription d’antidépresseurs.
En effet, depuis 2003, des avertissements se sont élevés, en Europe et aux États-Unis, contre l’usage trop important de médicaments antidépresseurs, en particulier chez les enfants et les adolescents. De plus, on a dénoncé un risque suicidaire pouvant paradoxalement « être aggravé » par la prescription de certains antidépresseurs (vraisemblablement non accompagnés d’anxiolytiques pour contrer ce risque lié à la levée inopinée des inhibitions, alors que les sentiments « suicidogènes » de dévalorisation restent encore présents), et des mises en garde (black box warnings) contre ce risque d’effet pervers ont été insérées sur les boîtes des médicaments antidépresseurs ainsi incriminés. Problème, ces avertissements semblent eux-mêmes avoir suscité un nouvel effet paradoxal : des sujets ayant réellement besoin d’un traitement l’ont récusé, et la mortalité par suicide paraît avoir augmenté, non plus par un effet indésirable des médicaments, mais désormais suite à l’absence de traitement !
Les auteurs ont donc cherché à évaluer les tendances dans les prescriptions d’antidépresseurs chez les jeunes et à confirmer si le risque de suicide s’est effectivement aggravé, après la généralisation des black box warnings sur les boîtes de ces médicaments. En comparant les données relatives à 845 suicides intervenus en Suède chez des jeunes de 10 à 19 ans, soit entre 1992 et 2003 (avant la publication des black box warnings), soit entre 2004 et 2010 (après l’apparition des mises en garde contre les antidépresseurs), on constate que « les suicides ont augmenté de 60,5 % dans ce groupe d’âge pendant cinq années consécutives » depuis la publication de ces avertissements, une surmortalité concernant des personnes non traitées par des antidépresseurs.
Cette étude confirme que l’enfer est, décidément, pavé de bonnes intentions ! Car contrairement à son objectif initial, la politique des black box warnings s’est retournée contre le public qu’elle était censée protéger, en contribuant « probablement à augmenter le nombre de décès chez certains jeunes suicidaires, laissés ainsi sans traitement antidépresseur. »
Dr Alain Cohen
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