Par David Larousserie Publié le 01 février 2024
CRITIQUE Dans leur ouvrage « Matheuses. Les filles, avenir des mathématiques », une sociologue, une mathématicienne et une médiatrice scientifique se sont penchées sur la question de l’absence des femmes dans cette discipline. Elles dénoncent des inégalités de genre, mais aussi de classes sociales ou d’origines ethniques.
Méfiez-vous des apparences. Des portraits dessinés de filles souriantes, des bulles évoquant une bande dessinée, des croquis sur des cahiers d’écolier… inciteraient à classer ce livre dans la catégorie des ouvrages bon enfant de vulgarisation parlant des femmes en maths.
Erreur. Le propos de cet essai, original sur la forme, sociologique et féministe sur le fond, est bien plus incisif. Il risque de susciter de nombreux débats au sein de la communauté mathématique.
Les autrices n’ont pas voulu déplorer une énième fois un constat bien connu : il y a moins de mathématiciennes que de mathématiciens dans les labos (à peine plus de 20 %, en légère diminution ces dernières années ; le bonnet d’âne des disciplines académiques…).
Elles veulent secouer les esprits et pousser à corriger cette situation, par des analyses décapantes, des propositions osées et des critiques acerbes. En passant, elles n’interrogent pas seulement les inégalités de genre, mais aussi celles de classes sociales ou d’origines ethniques, qui sont encore moins considérées.
Un environnement « violent » contre les femmes
Leur méthode repose sur des chiffres et des constats tirés de références bibliographiques et sur des données de terrain. Pendant deux semaines, une quarantaine de lycéennes de Marseille, volontaires pour un stage de découverte de la recherche en maths, coorganisé par l’une des autrices, mathématicienne, ont été observées et interviewées par la première autrice, sociologue. L’ensemble a été mis en dessin par une troisième, médiatrice scientifique.
La douzaine de chapitres commence par les constats et le démontage des idées reçues comme les prétendues différences entre les cerveaux masculins et féminins. Puis la « déconstruction » se poursuit avec le cas de l’informatique, discipline dont les femmes ont été « poussées dehors », ou l’analyse du poids des classes sociales dans les choix de carrière.
Le chapitre le plus détonnant concerne le constat, réel, du manque de confiance en soi des filles, qui est trop souvent invoqué pour faire retomber les causes de l’exclusion sur elles, alors que, selon les autrices, il est le résultat d’un environnement « violent » contre les femmes. L’adjectif s’appliquant à toutes les remarques sexistes subies par les filles et pas seulement aux actes de harcèlement ou agression sexuels.
Une double spécificité est invoquée pour expliquer pourquoi les maths seraient plus touchées par les discriminations. Un élitisme plus présent qu’ailleurs renforcerait les inégalités. Et la croyance en l’universalité des maths, qui en théorie interdirait les exclusions, tendrait au contraire, par aveuglement, à nier le problème et donc repousserait les évolutions nécessaires.
En résumé, selon une approche très bourdieusienne et féministe, la situation résulte d’une « domination patriarcale, élitiste et raciste qui tient la majorité de la population à distance » des maths. Elle ne saurait évoluer sans transformation interne, sans doute douloureuse, des pratiques. Equations compliquées en perspective.
« Matheuses. Les filles, avenir des mathématiques », de Clémence Perronnet, Claire Marc et Olga Paris-Romaskevich, CNRS Editions, 240 p.
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