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dimanche 28 janvier 2024

Dépression et suicide maternel : les données françaises

Publié le 23/01/2024

Selon la littérature internationale, la dépression du post-partum (DPP) toucherait 10 à 20 % des femmes et des idées suicidaires sont rapportées par 7 % des femmes. Qu’en est-il de l’épidémiologie de la DPP en France ? Deux enquêtes permettent aujourd’hui de la documenter plus précisément. La première est l’Enquête Nationale Périnatale 2021 (ENP 2021), la seconde est l’enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles, dispositif permanent d’évaluation des suicides maternels.

Plus de 16 % des femmes souffrent de dépression 2 mois après l’accouchement

L’ENP, est une enquête transversale qui a lieu tous les 5 ans. Elle consiste à recueillir pendant 1 semaine, auprès de toutes les femmes qui accouchent dans les maternités françaises, un certain nombre d’informations concernant la mère et son enfant. En 2021, les données habituelles ont été complétées par un suivi à 2 mois avec un questionnaire rempli par internet ou téléphone.

Plus de 12 000 femmes sont accepté de participer, soit 96 % de celles ayant accouché, et 75 % ont donné leur accord pour le suivi à 2 mois (n = 7399). Parmi elles, 7133 ont complété le questionnaire de dépistage EPDS (Edimbourgh Post-Partum Depression Scale). Un score ≥ 10 et < 13 à l’EPDS évoquait une symptomatologie dépressive, quand un score ≥ 13 signait la présence d’une DPP. De plus, l’item 10 de cette échelle permet de dépister les idées suicidaires, et l’on considère que quand la réponse est autre que « jamais », des idées suicidaires sont présentes.

Selon les données recueillies, la DPP à 2 mois (EPDS ≥ 13) est présente chez 16,7 % des femmes. S’y ajoute une symptomatologie dépressive « modérée » mais au-dessus du seuil d’alerte (EPDS ≥ 10 et < 13), chez 12,6 % d’entre elles.

Cette prévalence globale reflète toutefois des disparités régionales, avec 3 régions dans lesquelles la prévalence est la plus élevée : l’Île de France, le Centre-Val de Loire et région PACA. Les raisons de ces disparités n’ont pas encore été élucidées.

En ce qui concerne les idées suicidaires évaluées par la question 10 de l’EPDS, il apparaît que 5 % des femmes (1 sur 20) présentent des idées suicidaires 2 mois après l’accouchement, fréquentes chez près de la moitié d’entre elles.

Cette étude, qui confirme la fréquence des troubles dépressifs 2 mois après l’accouchement chez les femmes françaises, s’est poursuivie sur 3500 femmes avec un nouvelle évaluation par EPDS à 6 mois et à 12 mois post-partum, dont les résultats ne sont pas encore disponibles.  

Une mort maternelle tous les 4 jours

Une fois déterminée la prévalence de la DPP en France, une autre question se pose : qu’en est-il du risque de vital de la femme ? Une autre étude fournit les éléments d’évaluation. Il s’agit de l’enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles. La mort maternelle se définit comme le décès d’une femme pendant la grossesse ou jusqu’à 1 an après l’accouchement avec un rôle causal de la grossesse sur le décès, que le lien soit direct ou indirect.

Au-delà du compte de ces décès et de leurs causes, l’OMS recommande la mise en place de dispositifs permettant de retracer le parcours de ces femmes, afin de faire émerger les éléments qui permettent d’identifier des facteurs d’imputabilité répétés dont l’étude approfondie éclaire sur les dysfonctionnements et fournit des pistes d’amélioration. En cela, la mort maternelle peut alors être considérée comme un « évènement sentinelle ».

L’enquête révèle qu’en France chaque année, 90 décès (soit 1 tous les 4 jours) surviennent en lien avec la grossesse, avec un niveau stable au cours des 15 dernières années. Le dernier rapport a vu diminuer les causes obstétricales et le suicide est devenu la 2ème cause de décès maternel (13 %) juste derrière les maladies cardio-vasculaires (14 %).

Il est la 1ère cause de décès considéré comme « évitable ». Notons que les recommandations de l’OMS préconisent de considérer tous les suicides jusqu’à 1 an après la grossesse comme des morts maternelles, parce que d’une part l’évaluation du rôle causal de la grossesse est très difficile, et d’autre part pour inciter à une prise de conscience du risque suicidaire maternel dans cette période, risque trop méconnu.

L’analyse des caractéristiques des femmes qui se sont suicidées retrouve une prévalence accrue de plusieurs facteurs de vulnérabilité, sociale notamment (43 %), avec une notion d’isolement très fréquente. Il existe aussi des vulnérabilités obstétricales (primipares, grossesse gémellaire, contexte de deuil périnatal), et enfin une prévalence des comorbidités addictives plus importante que dans la population générale. Les suicides sont survenus entre 6 semaines et 1 an après l’accouchement, avec une médiane de survenue de 4 mois, soit après la fin du suivi rapproché du post-partum.

L’analyse du parcours de soins de ces femmes a cherché à faire émerger des pistes afin d’améliorer la prévention. Le repérage des facteurs de risque et le dépistage des symptômes tout au long du parcours, la mise en place de circuits d’accompagnement et une bonne coordination des professionnels de santé, et la mise en place d’une offre de soins graduée sur l’ensemble du territoire pour accompagner plus efficacement les femmes qui vont mal.

Dr Roseline Péluchon

RÉFÉRENCE
Deneux C. : Le suicide maternel : un évènement rare et sentinelle mais peut-être emblématique pour identifier des pistes de prévention. Journées francophones de recherche en néonatologie, 7-8 décembre 2023, Paris


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