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mardi 30 janvier 2024

CheckNews Est-il vrai que trois semaines de congé font perdre vingt points de QI, comme l’affirme Frédéric Saldmann ?

par Florian Gouthière   publié le 30 janvier 2024

L’affirmation du médiatique médecin, sur France 2, a suscité de nombreuses réactions. L’étude sur laquelle repose cette supposée statistique a été menée sur des personnes hospitalisées, et non des vacanciers.

Invité sur le plateau de Quelle Epoque ! pour promouvoir son dernier livre sur les mérites supposés du jeûne séquentiel, le médiatique Frédéric Saldmann a lâché une des statistiques à l’emporte-pièce dont il a le secret : «En trois semaines de vacances, on perd vingt points de quotient intellectuel, je ne vous dis par le désastre». La petite phrase, mise en exergue sur le réseau social X par le compte officiel de l’émission, a suscité beaucoup d’étonnement et de commentaires.

Dans son livre, Saldmann lâche également la même affirmation au détour d’un paragraphe, sans renvoyer à une source. Il existe néanmoins une littérature scientifique sur l’effet des vacances sur différentes performances intellectuelles.

Si l’on se focalise sur l’allégation de Saldmann, et les «vingt points de QI en trois semaines», on peut retracer son origine au psychologue allemand Siegfried Lehrl (mort en février 2023). Celui-ci déclarait par exemple en août 2008 au média en ligne ChangeX : «On a étudié cela sur des personnes qui étaient en observation à l’hôpital, comme s’ils étaient en vacances. Elles avaient déjà perdu cinq points de QI au bout de cinq jours, et vingt points de QI au bout de trois semaines. Donc un point de QI par jour en moyenne.» La référence des recherches en question n’est pas donnée dans cette interview. Un article du Guardian, daté de fin juillet 2001, se réfère à Lehrl pour une allégation analogue : «Rester allongé sur une plage durant cinq jours diminue notre QI de 5 %» – là encore sans préciser de référence scientifique.

Une extrapolation douteuse

Toutefois, dans un article cosigné par Lehrl lui-même, daté de décembre 2007, et intitulé «Le manque d’activité physique rend-il plus stupide ?» on trouve enfin cités les travaux appuyant ces allégations. L’étude, titrée «Die Talfahrt des IQ im Krankenhaus» («La baisse du QI à l’hôpital»), a pour unique auteur Siegried Lehrl, et aurait été publiée dans une revue scientifique de langue allemande en 1984 (1). En dépit de la consultation de nombreuses bases de données et archives, nous ne sommes pas parvenus à trouver une copie, ni même un compte rendu suffisamment détaillé, des travaux en question. Impossible, donc, de connaître le nombre de personnes impliquées dans cet essai, de jeter un oeil à la méthodologie employée, ni de vérifier si les résultats allégués étaient statistiquement significatifs. Aucune information, non plus, sur la réversibilité de cet état supposé. Enfin, et surtout, quelles que soient la validité ou la reproductibilité de ces résultats, l’équivalence hasardée par Lehrl entre une hospitalisation et des vacances semble très douteuse.

On notera qu’en 2011, dans un échange avec un journaliste du quotidien Daily Telegraph, Siegfried Lehrl déformait volontiers ses propres conclusions. «Quatorze jours de repos complet peuvent suffire à faire baisser le QI de vingt points, soit plus que la différence entre un élève brillant et un élève moyen», expliquait-il. «Le vocabulaire se réduit et nous constatons même des changements de personnalité.» Le journaliste précisait que «selon le professeur Lehrl», l’une des causes de ces résultats est que «l’inactivité réduit l’apport d’oxygène au cerveau». «Si l’on ajoute la déshydratation causée par la chaleur excessive, l’alcool ou les deux, le volume des cellules cérébrales peut diminuer de 15 %.» Si aucune étude spécifique n’est donnée en référence, on concédera ici que la baisse transitoire des performances cognitives dans un contexte de prise d’alcool ou de températures élevées est, effectivement, documentée.

Les «vingt points de QI perdus à l’issue de trois semaines de vacances»– qui se retrouvent mentionnés par de nombreux médias en ligne, en mentionnant sempiternellement Siegfried Lehrl en source – apparaissent donc comme une extrapolation douteuse de travaux dont il est, par ailleurs, très difficile d’évaluer la solidité.

Pour les élèves, un constat ancien

Toutefois, comme on l’a dit, il ne manque pas d’études scientifiques qui ont réellement interrogé l’évolution des performances cognitives dans un contexte de vacances. Et plus spécifiquement de vacances scolaires. Diverses équipes de recherche – essentiellement nord-américaines – ont cherché à mesurer l’évolution des performances d’élèves à différents tests : niveau dans la langue maternelle, en mathématiques, «quotient intellectuel», etc. (2). A noter que ces recherches ne portent pas sur l’effet des congés sur les performances cognitives des adultes.

Des élèves habitués, tout au long de l’année, à passer des évaluations, et qui cessent de se plier à de tels exercices durant deux mois (voire plus) sont-ils moins performants à ces tests ? Sans grande surprise : oui, à quelques subtilités près.

Le constat est ancien, puisqu’une méta-analyse de 1996 observait déjà que des élèves testés juste avant et juste après l’été avaient des scores très significativement inférieurs, en particulier en mathématiques, ou en orthographe. S’agissant de la maîtrise de la lecture, les résultats étaient différents : les scores tendaient à diminuer fortement pour les élèves issus des milieux sociaux les moins favorisés, et à se maintenir pour les plus aisés. Diverses études ultérieures montrent que l’ampleur de la baisse des résultats aux différents tests est corrélée à une moindre pratique durant l’été : les élèves qui font des exercices ou lisent des livres durant les vacances tendent à obtenir de meilleurs résultats aux évaluations de rentrée. Selon ces travaux, dès qu’ils sont replongés dans un contexte d’évaluation régulier – l’école – les élèves retrouvent leurs performances antérieures en quelques semaines.

Ces différentes études ne permettent toutefois pas d’élucider une question toute aussi importante : comment évolueraient, à long terme, les résultats d’élèves dont on amputerait sensiblement la durée des congés ? Autrement dit : en mettant en avant un effet transitoire «négatif» de l’interruption du rythme scolaire, on ne dit rien de potentiels effets positifs, à plus long terme, de ces ruptures intermittentes de l’apprentissage.

(1) Cette date est mentionnée dans plusieurs articles signés par Lehrl. D’autres travaux signés par d’autres chercheurs se réfèrent également à un article du même nom, du même auteur, qui aurait été publié dans la même revue en 1994. Il ne nous a pas été possible de déterminer s’il s’agissait d’une réédition de la même étude (sachant que Lehrl lui-même ne semble pas s’y référer), ou d’une erreur typographique… reproduite d’article scientifique en article scientifique par des chercheurs qui auraient fait mention de la publication «pour référence», sans l’avoir eux-mêmes dûment consultée.

(2) Il convient ici de rappeler qu’un test de «quotient intellectuel» évalue les compétences dans la résolution d’une gamme de problèmes assez spécifiques (avec un fort accent mis sur les problèmes logiques), en comparaison avec la moyenne de la population de même âge.


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