Publié le 19/01/2024
Dr Philippe Tellier
Grâce à une méthode analytique performante, une équipe a comptabilisé 240 000 nanoparticules de plastique dans des bouteilles d’eau. De quoi interroger même si on ignore presque tout de leur impact potentiel sur la santé.
Le plastique sous les formes les plus diverses est omniprésent et son histoire remonte à l’Antiquité quand il était de source naturelle. Les plastiques synthétiques développés à partir de la fin du XIXème siècle ont vu leur production et leur diffusion exploser dans les années 60. Longtemps considérés comme inertes et anodins, ils sont devenus un élément crucial de la pollution environnementale et l’emblème de la destruction des écosystèmes de la planète avec ces images d’immenses îles flottantes composées de déchets plastiques. C’est l’un des aspects macroscopiques de la pollution environnementale. Le problème a aussi une autre dimension qui, pour sa part, est microscopique au travers de la formation de particules de plastique infiniment petites, les microplastiques (1 à 5 mm) et nanoplastiques (<1 μm), autant de réceptacles potentiels pour diverses substances chimiques réputées pour leur toxicité avérée ou simplement possible.
Une plateforme intégrant la SRS microscopy : une méthode analytique puissante
La publication récente d’un article dans le réputé PNAS (The Proceedings of the National Academy of Sciences), dont le titre lapidaire « Rapid single-particle chemical imaging of nanoplastics by SRS microscopy » n’a pas par lui-même pas de quoi retenir l’attention. La lecture rapide de l’article et de son résumé permet cependant de prendre connaissance de résultats qui ont défrayé la chronique ces derniers jours en révélant la présence abondante de nanoparticules de plastique dans le contenu en eau de bouteilles … de plastique dont la marque n’a pas été dévoilée. Dans le résumé, il est d’emblée fait état du caractère potentiellement plus toxique de ces nanoplastiques qui, du fait de leur petite taille, pourraient diffuser dans les recoins les plus éloignés et les plus obscurs de l’organisme des milliards d’humains exposés à ces polluants qui les poursuivent jusque dans leur eau de boisson. Il fallait pour les identifier, les caractériser et les doser une méthode analytique particulièrement puissante et complexe, désignée par l’acronyme SRS (Stimulated Raman Scattering), qui repose en partie sur une plateforme d’analyse hyperspectrale incluant un double algorithme de détection et de comptage automatique (particule par particule), dont l’un piloté par les données.
La méthode est à la fois hautement spécifique et hautement sensible, ce qui d’un point de vue méthodologique n’est pas totalement classique, les deux performances dans la détection ou l’analyse d’un signal étant volontiers antagonistes : le gain en sensibilité se fait souvent au détriment de la spécificité … et vice versa. Le décryptage complet de la méthode analytique n’est pas à la portée des béotiens, mais il importe d’évoquer sa complexité, en sachant que les auteurs considèrent qu’elle permet d’optimiser à la fois sensibilité et spécificité, ce qui n’est pas impossible compte tenu de la sophistication extrême des moyens qui appartient au domaine des hyperspécialités. Par ailleurs, sa validation interne semble convaincante, si l’on en juge d’après les images illustrant l’article, avec une catégorisation des particules en fonction de divers plastiques couramment utilisés… pour la plupart ailleurs que dans les bouteilles d’eau en question.
Il n’empêche que les résultats devront être répliqués avant de leur conférer une portée universelle, selon les normes scientifiques qui restent en vigueur, en dépit des progrès et de l’atomisation de la science qui la rend de moins en moins accessible à ceux qui ne sont pas de tel ou tel pré carré…
240 000 nanoparticules de plastique par litre d’eau embouteillée
L’imagerie hyperspectrale sensible à bande étroite boostée par les algorithmes a été appliquée à des bouteilles d’eau : c’est ainsi qu’une concentration de 2,4 ± 1,3 × 105 particules de nanoplastiques par litre, soit 240 000, a été mesurée, une valeur qui dépasse largement (d’un facteur deux à trois) la concentration de microplastiques mesurée dans d’autres études. Il faut y ajouter une hétérogénéité considérable et une non orthogonalité des particules en termes de composition et de morphologie. Un éclairage scientifique nouveau sur le nanomonde, de quoi inquiéter en théorie, si l’eau de boisson est ainsi polluée et s’il s’avère que ces minuscules particules peuvent franchir toutes les barrières de l’organisme et accéder ainsi aux organes les plus nobles, ce qui reste à prouver. Il faut raison garder, car rien ne prouve à l’heure actuelle que ces nanoparticules ingérées puissent avoir la moindre toxicité, leur biodisponibilité n’étant même pas connue. Par ailleurs, la plupart des plastiques identifiés ont manifestement d’autres sources que les bouteilles, ce qui amène à s’interroger sur leur origine en envisageant toutes les étapes qui mènent du recueil de l’eau à sa mise en bouteille, autrement dit cette dernière n’est peut-être pas la coupable, en dépit des apparences…
La nocivité des nano-microparticules chez l’humain n’est d’ailleurs pas établie, face à la multiplicité des agressions chimiques et physiques de toute nature dont notre environnement est porteur. Le nanomonde qui nous renvoie à l’infiniment petit contient une multitude de petites particules qui nous cernent véritablement et faire la part de celles qui sont nocives au sein de cet environnement hostile est une véritable gageure, quand bien même on retrouve du plastique dans le lait maternel et le sang, si l’on en croit certaines études encore peu nombreuses. Le sujet doit être creusé, avant de jeter les bouteilles en plastique avec l’eau qu’elles contiennent.
Le retour aux bouteilles en verre consignées n’en serait pas moins souhaitable, à la lueur d’autres menaces macroscopiques qui jalonnent les océans, mais in fine les résultats de cette étude pourraient plaider également en faveur de cette mesure, si l’on fait appel au principe de précaution… A cette aune, l’eau du robinet n’est guère plus fréquentable car elle n’est pas à l’abri d’autres polluants tout aussi minuscules, y compris nano et microplastiques provenant de son environnement.
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