Psychiatre et auteur
Retour sur le débat à l'Assemblée Nationale sur « l'état de la psychiatrie en France ». Exercice de langue de bois contreplaquée pour la nouvelle Ministre avec l'amenuisement de lignes de clivages politiques usuelles. Sur le terrain, « le choc d'attractivité » n'est peut être pas celui prévu.
Un hôpital à l’est de la France, une nuit, un infirmier - cela pourrait toucher toute catégorie du corps psychiatrique-. Dans une chambre, une femme hospitalisée, sans son consentement. La porte s’ouvre. Un viol. Un crime donc.
Quelque temps plus tard : le conseil de discipline du soignant violeur au sein de cet établissement. L’homme en blouse blanche est sanctionné d’une interdiction d’exercice. Pour un an. Dans quelques mois, il reviendra. « Les hommes » se font trop rares dans les équipes de psychiatrie intra-hospitalières.
Dans cette histoire – réelle - la justice n’a pas été saisie.
Aujourd’hui, en France, vous souhaitez commettre un crime en toute impunité ? Engagez-vous à l’HP. Nouveau « choc d’attractivité » ?
C’est l’autre versant des violences psychiatriques. Les violences envers les personnels, elles ont été rappelées à plusieurs reprises à l’Assemblée Nationale le 17 janvier dernier, les violences envers les personnes malades, moins. Quoique. Les conditions indignes de « soins » sont désormais partagées par l’ensemble des partis représentants de la Nation : de la gauche à l’extrême droite, en passant par la droite d’opposition. Au milieu, la droite de gouvernement : « en même temps, il n’y a pas de problème, en même temps il y a des solutions ».
Travail d’imagination
Imaginons maintenant que le crime en question dans l’établissement de l’est de la France est un meurtre. Pas un viol. Il est presque certain que la justice serait saisie, qu’une plainte serait déposée au titre de l’article 40 du Code de Procédure Pénale ou de l'article R3412 du Code de la Santé Publique (articles en annexe de ce billet), que le procureur de la République serait sollicité.
Mais, mais les vieilles habitudes asilaires ont la peau dure, en psychiatrie et ailleurs. Contre les malades, contre les personnes en situations de handicap. S’en rappeler… Pour se faire : regarder la « conspiration du silence », sur les disparus de l’Yonne dans les IME, les crimes sexuels du directeur et des professionnels de ces foyers pour enfants placés. Viol pouvant aller jusqu’à la disparition et au meurtre. Dans la même veine, relire "la révolte des enfants des Vermiraux"...
Regarder encore les enquêtes sur les structures de l’aide sociale à l’enfance (ASE), sur les maltraitances généralisées – systémiques- touchant l’ensemble de la chaîne du malheur. Ca continue. Perversion institutionnelle.
A la fin, celles et ceux qui payent de leur corps, dans leurs chairs, sont toujours les mêmes. Tout en bas de l’échelle. Celles et ceux dans les culs de basse fosse du système de soin et d’accompagnement : personnes hospitalisées, placées, pauvres, retenues, détenues.
Alors, une question. Comment soigner dignement, honnêtement, en conformité avec une éthique médicale minimale sans avoir le cran de s’affronter aux pathologies institutionnelles ? Comment le faire sans une dose de courage des décideurs politiques ? Ici les pathologies institutionnelles sont celles du corps psychiatrique, mais pas que. Ce qu’illustre cette histoire de viol par un soignant à l’encontre d’une personne hospitalisée c’est le système contentionnaire, celui qui coud les bouches, qui fait sa loi entre les murs et au-delà. Circulez, il n’y a rien à voir chez les considérés « sous-humains », les fous, les difformes, les mal-foutus. C’est aussi un réseau de complicités externes, conscientes ou inconscientes, qui dépasse les institutions.
Rester aveugles à ces parties de nous-mêmes ? Continuer à les cliver comme Voldemort avec ses horcruxes, qui à chaque meurtre fractionne son âme ? A chaque clivage pervers, une aire de mort en plus pour les abuseurs, les complices. A la fin, ça contamine tous les citoyens. Si l’inhumanité fait partie de notre humanité, le travail de la culture tente d’y mettre des bords. Mais...
Le clivage pervers ça commence bien en amont de ces actes criminels : viols, meurtres, agressions, violences. Et ça peut toucher tout le monde. Ca commence par le bas et par le haut de la pyramide. Ca marche sur la tête, ça marche sur les jambes. Quand le sommet (de l’État, d’une institution, d’une famille, d’un groupe...) jouit de ce clivage, qu’il l’entretient, c’est le meurtre psychique assuré à tous les étages. De haut en bas, de bas en haut. Figure de la culture de l’entrave. Problème systémique encore. Sur un autre plan, pensons qu’un ancien président d’une puissance mondiale bien qu’accusé de sédition est en bonne place pour être réélu… Qu’est-ce que cela dit ?
Assemblée nationale, 17 janvier 2024.
Retour au haut du corps psychiatrique avec les députés et la nouvelle ministre de la Santé-Travail-Et-Tout-Et-Tout. Aujourd’hui, elle répond aux questions des parlementaires sur l’état de la psychiatrie en France. Caroline Fiat, aide-soignante et députée, préside la séance.
Premier étonnement, les députés de tout bord ne se placent pas sur un angle sécuritaire hypertrophié mais bien sur l’inquiétude de ce que fait et ne fait plus la psychiatrie… soigner. Alors, certes, il y a l’ordre public mais pas que. Et ça, c’est relativement nouveau. Les pygmalions de la psychiatrie sécuritaire se retiennent, se questionnent. Peut-être changent-ils ? En tout cas, une brèche se présente avec des alliances. Se rappeler : la psychiatrie de secteur et le désaliénisme se sont bâtis sur une alliance entre gaullistes, communistes et chrétiens démocrates.
Entendus sur les bancs de l’Assemblée :
La psychiatrie et la pédo-psychiatrie sont de véritables bombes à retardement.
Les violences contre les soignants sont inacceptables.
Les personnes malades sont abandonnées.
Les soins se passent dans des conditions indignes.
Les mesures d’isolement et de mise en contention progressent.
Faire de la psychiatrie une grande cause nationale.
Ici ou là, quelques spots de publicités portés par les communicants parlementaires de l’institut Montaigne et de FondaMental, notamment un député de la droite de majorité (Renaissance). Une autre publicité pour l’enquête sur les UMD du journaliste du Monde Alexandre Kauffman qui doit paraître le lendemain, « l’homme le plus dangereux de France » (à lire).
Et puis, à un moment, explosion d’un syndrome de Gilles de la Tourette chez un député d’extrême droite (également aide-soignant), diable sorti de sa boîte brune. Après un propos sur les difficultés à soigner un « Supprimez l’AME pour financer l’hôpital psychiatrique !!! ».
Je ne l’avais pas vu venir.
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