par Cécile Bourgneuf publié le 8 janvier 2024
Alors que des agressions envers les enseignants semblent s’être multipliées ces dernières semaines dans les établissements scolaires, Eric Debarbieux, professeur émérite à l’université Paris-Est-Créteil et ancien délégué ministériel à la prévention de la violence en milieu scolaire, assure que celles-ci sont plutôt stables.
Faut-il s’inquiéter de ce climat décrit comme agressif envers les enseignants ?
Il n’y a pas d’augmentation des actes de violences : depuis les années 2000, les enquêtes de victimation montrent que ces derniers sont stables et se réduisent même pour les plus graves. La succession des faits très lourds remontés ces dernières semaines peut être liée à l’effet de copycat – les élèves reproduisent ce dont ils ont entendu parler. Sans compter que nous ne sommes pas dans un contexte national et international sain. Est-ce que vous pensez sérieusement que les discours d’exclusion qui ont pignon sur rue dans le discours politique ou dans certaines émissions n’ont pas un impact dans les cours de récré ? Les faits les plus graves restent rares mais peuvent causer chez les enseignants un sentiment d’insécurité et d’inquiétude qui ne correspond pas forcément à la réalité. Ce sont essentiellement des petites violences, qui n’aboutissent généralement pas à des dépôts de plainte, mais dont les faits d’accumulation créent un sentiment de découragement, de perte d’autorité et de sens chez les professeurs.
Quelles sont les violences les plus fréquentes envers le personnel scolaire ?
Elles sont surtout verbales. En 2022, sur 30 000 enseignants du second degré interrogés, environ 40 % déclaraient avoir été insultés dans l’exercice de leur fonction (contre plus de 42 % en 2011), pour la plupart une fois dans l’année. 16 % répondaient avoir subi des menaces, 2 % des menaces de mort. Il s’agit, dans la plupart des cas, d’élèves qui crient «je vais te tuer». La violence physique reste exceptionnelle. 98 % des personnels répondent ne jamais avoir été frappés dans l’exercice de leur fonction en 2022, 95 % en 2013, donc en légère baisse. Les personnels blessés avec armes, cela reste très rare ; 0,4 % des répondants. Il s’agit en général d’outils dangereux utilisés en cours comme un compas balancé par un élève ou un biseau par exemple, en atelier menuiserie. Les enseignants spécialisés, qui travaillent avec des enfants à besoins particuliers, sont les plus exposés à ces violences, tout comme les surveillants, les professeurs de la filière professionnelle et les CPE, les conseillers principaux d’éducation.
Ces agressions concernent-elles tous les niveaux scolaires ?
Non, elles se déroulent surtout au collège et au lycée professionnel. L’enseignement général et technologique est beaucoup moins touché. 45 % des professeurs qui disent avoir été insultés l’ont été en collège et en lycée professionnels, contre 28 % en lycée général et technologique. En éducation prioritaire, il y a une différence plus minime qu’on ne l’imagine, autour de 4 % de plus qu’ailleurs. Et lorsque ces insultes ou menaces viennent des parents, elles sont plus importantes hors éducation prioritaire. Les violences extérieures sont traumatisantes mais restent très minoritaires. 5 % au maximum des faits de violences viennent de l’extérieur, et sur ces 5 %, la moitié n’est pas le fait d’inconnus. Cela peut venir d’anciens élèves, de parents, de grands frères.
Comment expliquer ces agressions ?
Il n’y a pas une raison mais des facteurs associés qui peuvent se combiner. Il peut y avoir des causes extérieures, parfois familiales, liées à des carences éducatives, affectives. Elles peuvent parfois se combiner avec des facteurs socio-économiques, liés au milieu social, à l’habitat, à l’influence des pairs. Il y a aussi des causes scolaires. La première est celle de l’instabilité des équipes éducatives, surtout en éducation prioritaire. Il faut une équipe soudée pour réduire les violences. Deuxième cause, la ségrégation scolaire. Plus vous en faites, même en interne avec des classes de niveau, plus vous risquez de mettre ensemble des enfants qui vont apprendre à augmenter leur compétence à faire bande contre.
Sommes-nous face, comme le diagnostique le ministre de l’Education, Gabriel Attal, à une crise de l’autorité à l’école ?
Tout dépend de la manière dont on nomme les choses. On a cette idée jurassique d’une autorité naturelle, avec ceux qui en auraient, contrairement à d’autres. Le problème, c’est qu’elle se construit de manière collective : c’est l’institution qui doit l’instaurer. Pourquoi ça ne marche pas quand il y a un turn-over trop important ? Parce qu’il faut une entraide collective et une loi commune suffisamment négociée pour que ça fasse autorité dans l’établissement. Or il y a une crise du vivre-ensemble au sein de la communauté éducative. On observe aujourd’hui de vrais problèmes de tensions entre les équipes. Sans compter que les personnels remettent aussi de plus en plus en cause l’autorité de l’institution, et que près de 80 % des personnels indiquent ne pas se sentir respectés par leur hiérarchie.
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