par Kim Hullot-Guiot publié le 5 janvier 2024
En janvier, toutes à poils ? Après le Dry January, le Damp January ou encore le Veganuary, ces défis débarqués ces dernières années en France et qui consistent à se passer, durant le premier mois de l’année, d’alcool ou de produits d’origine animale, voici le «Januhairy». Contraction des mots anglais «January» (janvier) et «hairy» (poilu·e), le Januhairy ne vise pas tant cette fois à tenter d’être plus vertueux dans sa consommation que, au contraire, à se lâcher la grappe, puisqu’il s’agit, pour les femmes, d’arrêter de se raser ou s’épiler. Si le poil se libère ces dernières années, et que de plus en plus de femmes se sentent davantage libres d’assumer leur duvet ou leur poil aux pattes, la pilosité féminine est encore souvent vue comme le marqueur d’une négligence, d’un manque d’hygiène ou d’un rejet de la féminité. Durant le confinement de la période Covid, une partie des Françaises avaient ainsi momentanément laissé un peu tomber leurs rasoirs, mais les sondages avaient aussi montré que le mouvement n’avait pas gagné la majorité des femmes, qui continuaient à se soumettre à de parfois douloureuses séances de dépilation.
Le concept de Januhairy a été lancé en 2018 par une étudiante en arts dramatiques britannique, Laura Jackson, qui pour les besoins d’une pièce avait momentanément remisé au placard pince et crème dépilatoire. «Cela a été difficile par certains aspects mais cela m’a aussi ouvert les yeux sur le tabou autour de la pilosité des femmes,explique-t-elle dans un post Instagram. Après quelques semaines à m’y habituer, j’ai commencé à aimer mes poils au naturel. J’ai aussi commencé à apprécier de ne plus vivre d’épisodes inconfortables d’épilation. Même si je me sentais libérée et plus confiante en moi, certaines personnes autour de moi ne comprenaient pas pourquoi je ne m’épilais plus/n’étaient pas d’accord avec ça. J’ai compris qu’il y avait encore beaucoup à faire pour que chacun accepte les autres complètement et sincèrement.»
«L’idée n’est pas de lancer une campagne de haine contre celles et ceux qui ne comprennent pas qu’avoir des poils est tout à fait normal, mais plutôt un projet pour apprendre à mieux se connaître soi-même et les autres», plaide encore Laura Jackson.
Pour Miléna Younès-Linhart, doctorante en études de genre et en sociologie au laboratoire d’études de genre et de sexualité à l’université Paris-VIII, «les injonctions débutent dès l’enfance, et d’abord dans la famille. Les normes dépilatoires que transmettent les mères contribuent à un contrôle de la sexualité des jeunes filles de deux façons : d’un côté, pour contrôler le moment d’entrée dans la sexualité, en interdisant aux jeunes filles de se dépiler avant un certain âge. D’autre part, une fois l’âge d’entrée dans la sexualité atteint, les filles doivent se dépiler pour que leur corps soit conforme à la norme de séduction et à la sexualité hétérosexuelle», écrivait-elle en 2019 dans une tribune publiée par Libération.
La même année, sous couvert d’anonymat, une salariée avait également raconté dans nos pages comment son choix de ne plus s’épiler ni porter de soutien-gorge l’avait mise en difficulté professionnelle. Il reste donc du chemin à faire avant que les corps des femmes soient libérés des injonctions et que leurs poils ne soient plus vus comme l’ennemi à abattre, une chose à cacher absolument à grands coups, parfois douloureux, de rasoir et de cire à épiler (il ne faudrait surtout pas que les hommes sachent que les femmes, aussi, ont naturellement des poils…). Et qu’elles-mêmes se sentent autorisées à les garder, sans subir de regard réprobateur ou dégoûté. S’il peut aider à aller en ce sens, le Januhairy, on l’applaudit.
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