Par Nathalie Brafman Publié le 06 janvier 2024
Le médecin parisien a été l’un des premiers en France à proposer une consultation spécialisée sur les questions de transidentité pour les adolescents.
Ce matin-là, c’est à une consultation un peu particulière que Jean Chambry nous propose d’assister. Le pédopsychiatre parisien, chef de pôle du Centre intersectoriel d’accueil pour adolescent (Ciapa) du 18e arrondissement, à Paris – rattaché au groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie & neurosciences –, a rendez-vous avec Amanda et Léonie (les prénoms ont été changés), mais c’est en visio qu’il va discuter avec elles. Ces deux patientes sont à quelque 10 000 kilomètres de Paris. A La Réunion plus exactement.
Amanda se présente comme une jeune femme transgenre, elle aimerait savoir quels sont les traitements possibles pour une transition. Léonie, elle, se questionne sur son identité. Elle se définit comme non binaire (ni strictement un homme ni strictement une femme). Léonie n’envisage ni opération chirurgicale, ni traitement hormonal, ni même de changer de prénom, elle voudrait juste savoir pourquoi « [elle est] comme ça ». C’est leur psychiatre qui a sollicité le docteur Chambry. « Je n’ai pas beaucoup de compétences sur les questions de genre », a confié le médecin de La Réunion, au début des consultations.
Avec Amanda, puis Léonie, les questions vont s’enchaîner pendant deux heures. Le docteur Chambry ne compte pas son temps. Les consultations sont longues avec lui et doivent répondre à deux principes : accueillir la parole et voir comment aider. « Il faut rassurer ces jeunes. Je les préviens toujours que toutes les questions que je pose, c’est pour faire connaissance, pas pour établir un profil type. D’ailleurs, il n’y en a pas », explique-t-il.
Dédramatiser le débat
Sur ce sujet, il est devenu, au fil des années, une personnalité incontournable sur le terrain de l’expérience clinique. « Il est incontournable, car il s’est intéressé au sujet très précocement. Il l’a vu venir avant qu’il ne prenne l’importance qu’il a aujourd’hui. Ça lui donne du recul et de l’expérience », reconnaît Olivier Bonnot, pédopsychiatre à l’hôpital Barthélemy-Durand à Etampes (Essonne).
A la fin des années 2000, ils sont peu nombreux à se pencher sur les questions de dysphorie de genre. Jean Chambry travaille alors à la Fondation Vallée, une institution de soins en pédopsychiatrie, située à Gentilly (Val-de-Marne). Son intérêt pour le sujet lui fait rencontrer les pédopsychiatres Agnès Condat (Pitié-Salpêtrière) et Anne Bargiacchi (Robert-Debré), qui s’y intéressent elles aussi. « Ensemble, nous avons réfléchi et avons décidé d’ouvrir une consultation spécialisée dans chacun de nos établissements, pour accueillir ces jeunes mal dans leur corps. »
A la Fondation Vallée, on le laisse faire, mais cette initiative interroge, voire dérange. La première année, les demandes de consultation sont rares, une dizaine. Aujourd’hui, on serait plus proche des dix par mois, et les délais d’attente pour avoir un rendez-vous se sont allongés, six mois, un an, désormais deux ans.
Le docteur Chambry met d’emblée en garde : « Non, il n’y a pas une épidémie d’enfants transgenres. Autrefois, les personnes trans ne pouvaient pas en parler à leur entourage. Aujourd’hui, on peut s’autoriser des questions. Cela ne veut pas dire que tous vont changer de sexe. » Et d’insister : « Ce n’est pas parce qu’on en parle, qu’on crée le sujet. Environ 0,7 % des enfants adolescents vont construire une identité trans. Ça reste ultraminoritaire, mais c’est un public qui existe et qu’il faut écouter. Moi, ce qui m’intéresse, c’est comment accompagner des jeunes pour qu’ils puissent vivre leur vie le plus tranquillement possible. » Tout en dédramatisant le débat.
Le sujet est inflammable, mais ce passionné d’opéra n’a pas peur de prendre des coups. « Jean a un sens du dévouement au collectif, à ses patients, au soin, à ses collègues, qui est extraordinaire. De nos jours, ce n’est pas si fréquent que ça »,dit de lui Bruno Falissard, pédopsychiatre et professeur de santé publique et de biostatistique, à la tête de l’unité Inserm 669 (Maison de Solenn-Maison des adolescents, à Paris).
« C’est un appui précieux dans toutes les rencontres, aussi bien avec les instances [ministère de la santé, Haute Autorité de santé…] que dans des colloques ou des groupes de réflexion, reconnaît le psychiatre et psychanalyste Serge Hefez. Il a un côté apaisant et rassurant pour parler de ces situations souvent très délicates. Dans cette atmosphère, où il n’y a que des coups à prendre, Jean Chambry ne se laisse jamais aller à l’agressivité. Il plane un peu au-dessus de tout cela. »
« Un petit côté œcuménique »
Empathique, sensible, diplomate, calme… Ses collègues ne sont pas avares de compliments pour définir ce « gros bosseur » plutôt adepte des compromis que des querelles partisanes. « Il a un petit côté œcuménique, ironise Serge Hefez.Il a forcément les défauts de ses qualités. A trop vouloir plaire à tout le monde, être dans le compromis, il y a un moment où on perd sa propre spécificité. »
Revenons au tout début. Rien ne prédestinait Jean Chambry à la pédopsychiatrie, encore moins aux études de médecine. Encore que… Né à Evreux, en Normandie, il est élevé dans un milieu plutôt modeste : une mère comptable qui ne transige pas avec les études, un père mécanicien, sorte de self-made-man qui valorise plus le sport que les livres. C’est un garçon bien sage, plutôt effacé et très bon élève. Tout l’intéresse, mais il se rêve comédien. Impensable pour sa famille ! « Ce n’était pas un métier honorable pour eux. »
Et puis le roman familial veut qu’à l’âge de 5 ans il aurait émis le souhait d’être médecin. « Il n’y avait donc pas de sujet ! » La passion du théâtre ne le lâchera pas. Plus tard, il suivra le Cours Simon et jouera dans quelques pièces : Raya Dvora à l’Akteon ou encore Avant de partir au Petit Gymnase du Théâtre du Gymnase, à Paris.
Nous sommes en 1985, le voilà étudiant en médecine. Il se voit déjà à Paris, une ville qu’il ne connaît que par ses musées, mais nouvelle déconvenue. « Pour ma famille, Paris était une ville de perdition. » Ce sera Rouen.
A l’époque, la psychiatrie est déjà dans un coin de sa tête. « J’avais tout le temps besoin de comprendre les êtres humains. » L’étudiant n’est pas, de son propre aveu, « exceptionnel ». Le déclic se fait en troisième année, lorsqu’il rencontre des patients souffrant d’un cancer thoracique. « J’aimais les écouter et je me suis aperçu que, quand on les écoutait, ça leur faisait du bien. » Dermatologie, neurologie, pédiatrie, à l’époque, toutes les spécialités l’intéressent. La psychiatrie lui revient comme en boomerang lorsqu’il passe l’internat. Une déception pour sa mère qui le voyait plutôt cardiologue.
Cette fois, il ne cède pas. « Ce sera psychiatrie et à Paris ! » Lors d’un stage, il découvre la pédopsychiatrie. Une révélation. « Je n’y comprenais pas grand-chose. C’était autrement plus compliqué que la psychiatrie, mais je trouvais ça super intéressant. »
A l’écouter se raconter, rien dans sa carrière n’a été calculé. Les propositions se sont enchaînées au fil des rencontres. En 2003, il intègre le service de psychiatrie infanto-juvénile de la Fondation Vallée, dirigé par Catherine Jousselme. Il y avait fait un stage d’internat. Il y restera treize ans. Là, il s’est occupé en particulier d’une unité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, localisée aux urgences de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne). « Treize années extrêmement intenses, mais qui se sont très mal terminées », dit-il avec une petite pointe de regret. Un conflit interpersonnel l’oblige à claquer la porte en 2016. Tout s’effondre. « J’ai eu le sentiment que tout avait été trop facile et que je le payais. J’ai pensé que l’hôpital, c’était terminé pour moi. »
Pendant un temps, il envisage d’ouvrir un cabinet dans le privé. Mais il a un nom dans le petit milieu de la pédopsychiatrie. Et puis le hasard fait qu’à l’époque, Gérard Robin, qui dirige le Ciapa, veut prendre sa retraite. Il y entre en janvier 2017. Un an plus tard, il en prend les rênes. Une sorte de retour à la maison. Trente ans auparavant, il avait fait un stage dans ce qui était l’ancêtre de cet établissement.
Jean Chambry ne veut pas être confiné au rôle de « M. Transidentité au service des adolescents ». Au Ciapa, le pédopsychiatre, âgé de 56 ans, continue de s’occuper de jeunes atteints d’autisme ou d’autres troubles du neurodéveloppement, anorexiques… Surtout, il voudrait que tous les professionnels se forment et soient à l’aise avec les questions de dysphorie de genre. « Une majorité des patients qui viennent consulter n’ont pas besoin de l’expert. Ce qui compte surtout pour eux, c’est la qualité de l’accueil et de l’écoute, sans a priori. »
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