Publié le 23/12/2023
Aurélie Haroche
Au lendemain de l’adoption mouvementée de la loi « Immigration » par l’Assemblée nationale, des photographies de panneaux listant les médecins d’un service hospitaliers pris au hasard ont été publiés sur X (ex Twitter). Pour les internautes postant ces images, ces dernières parleraient d’elles-mêmes : la multiplication des noms à « consonnance étrangère » parmi les praticiens travaillant dans nos hôpitaux rappelle combien d’une part la population de notre pays est marquée par le mélange et d’autre part combien l’immigration lui est essentielle.
Il a en effet souvent été rappelé combien la présence de professionnels de santé étrangers était aujourd’hui indispensable pour pallier les pénuries chroniques d’effectifs. Au choc des photos, le Dr Mathias Wargon, urgentiste en Seine-Saint-Denis et prolixe commentateur de la vie politique a voulu ajouter le choc des mots : « Aujourd’hui, des médecins de mon service ont réussi les épreuves classantes des connaissances et pourront soigner tous les racistes et les xénophobes qui se réjouissent de la loi anti-immigrés » a-t-il lancé en faisant référence aux épreuves de vérification des connaissances passées par les Praticiens à diplôme étranger hors union européenne (PADHUE) et signant « petit fils d’immigrés pauvres, sans diplômes et pas catholiques ».
A la santé de l’immigration choisie (et pourvoyeuse d’économie…)
Ces photos et ce commentaire (qui font écho à beaucoup d’autres) témoignent de la colère d’une partie de la communauté médicale à l’heure de l’adoption du projet de loi. Et si les mobilisations ont été importantes ces dernières semaines à propos de l’Aide médicale d’Etat (AME) ou encore de la limitation des séjours pour raisons de santé, on perçoit cette semaine que le rejet va au-delà de ces sujets.
Cependant, à l’instar de ce qui a pu être plus largement observé, on peut s’interroger sur l’existence d’un décalage entre l’émotion outrée (outrancière ?) qui transparaît dans ces réactions et la réalité du texte. Tout à leur volonté de dénoncer ce qui leur paraît être une rupture avec les traditions d’accueil de la France, certains commentateurs paraissent en effet faire l’impasse sur les ambiguïtés de ce texte et notamment sur le fait qu’il est tout sauf une invitation au départ des professionnels de santé étrangers ou français nés à l’étranger (même si on ne sait pas s’il s’en donnera tous les moyens).
En effet, parallèlement aux mesures destinées à limiter l’arrivée de nouveaux immigrés clandestins (mais aussi réguliers) dans notre pays, certaines dispositions renforcent la politique d’immigration choisie. Ainsi l’article 7 introduit une carte de séjour de quatre ans nommée « talent profession médicale et de la pharmacie ».
Avec ce dispositif (qui doit faire l’objet de précisions par décret, notamment en ce qui concerne les affectations et autorisations d’exercer et les seuils de rémunération), le gouvernement semble prendre acte que les mesures prises ces dernières années d’augmentation du numerus clausus ne seront nullement suffisante pour répondre aux défis de la démographie médicale (défis liés au défaut total d’anticipation des dernières décennies) et que les professionnels étrangers demeureront, comme ils le sont déjà, indispensables.
Cependant, parallèlement, il n’est pour l’heure pas prévu d’exception concernant les nouvelles règles s’imposant aux étudiants étrangers (caution à verser) pour les filières de santé, ce qui ne manque pas d’inquiéter certains doyens. Au-delà, une fois encore, c’est l’aveu, presque cynique, que le gouvernement attend une main d’œuvre déjà diplômée, pour faire l’économie de sa formation. Par ailleurs, on ne sait pas dans quelle mesure, le renforcement de l’attractivité de la France symbolisé par la carte « talent profession médicale » signifiera un allégement des contraintes et des procédures qui constituent aujourd’hui le quotidien des PADHUE…
Piller l’Afrique de ses médecins… et refuser ensuite de soigner ceux qui n’ont plus de praticiens !
Bien sûr, la France est loin d’être la seule à compter sur les professionnels de santé étrangers pour soigner sa population vieillissante. Il y a quelques jours, le Canada présentait de nouvelles mesures pour faciliter l’intégration des médecins étrangers, dans un pays où ces derniers représentent déjà 38 % de l’ensemble des praticiens.
Et dans la plupart des pays, la situation des professionnels étrangers est toujours moins enviable que celles de leurs pairs nationaux. Outre le fait que la France peut donc se consoler de sa malignité en scrutant les pratiques des autres pays de l’OCDE, l’encouragement des professionnels de santé à venir s’installer dans notre pays n’est pas uniquement un témoignage de l’ambiguïté de la loi et de la façon, discutable, dont les pouvoirs publics composent avec leurs insuffisances (incapacité de prévoir les problèmes de démographie médicale) et avec leur absence de ligne politique (l’immigration quand je veux, si je veux…). Elle est également potentiellement une mesure contre-productive, si l’on veut croire que l’objectif (et même si on peut être en désaccord avec ce dernier) est de limiter l’immigration clandestine (et régulière).
C’est ce que rappelaient dans une tribune en janvier dernier les Prs André Grimaldi et Jean-Paul Vernant, Xavier Emmanuelli (ancien secrétaire d’Etat et membre du comité des sages de l’Office français de l’immigration et de l’intégration) et le Dr et Rony Brauman (fondateur de Médecins sans frontière). Critiquant une disposition visant ouvertement à piller l’Afrique de ses médecins, ils observaient : « On pourrait se féliciter que le gouvernement veuille améliorer les conditions d’accueil et d’exercice des 10 000 médecins étrangers exerçant en France avec un diplôme hors Union européenne. La vérité est que ces médecins sont aujourd’hui indispensables au fonctionnement de nos hôpitaux, victimes d’une politique prolongée d’austérité. Ils ont participé en première ligne à la lutte contre la pandémie mais gardent un statut précaire et restent victimes de discriminations. Ils méritent bien sûr que leur situation s’améliore. Mais le manque de professionnels de santé, et notamment de médecins, est le résultat d’une politique malthusienne ayant mis en œuvre un numerus clausus de plus en plus resserré pendant près de trente ans. Le nombre d’étudiants admis en faculté de médecine est passé de 8 500 au début des années 1970 à seulement 3 800 en 2000 tandis que la Sécurité sociale a payé jusqu’à cette date la retraite anticipée de près de 10 000 médecins pour réduire la supposée “pléthore médicale”. (…) Le gouvernement pense donc que pour répondre à cette situation, il ne s’agit pas de changer de politique de santé mais, en améliorant l’“attractivité nationale”, de recruter encore plus de médecins, en provenance pour la plupart du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, qui accepteront de travailler pour des salaires moindres dans les lieux délaissés par les médecins français. Ce faisant, il entend profiter sans frais de professionnels formés par ces pays avec comme conséquence une réduction de l’accès aux soins de leurs populations. En somme, on souhaite transférer nos déserts médicaux dans les pays issus de nos anciennes colonies. Mais comment vouloir attirer les médecins de ces pays sans accepter ensuite de recevoir leurs populations malades laissées sans soins ? On ne limitera pas l’immigration illégale en continuant à priver les pays d’origine de leurs ressources naturelles, technologiques et humaines. Nous devons au contraire accepter de participer à la formation de leurs futurs professionnels de santé dans le cadre d’accords bilatéraux répondant aux besoins des populations locales » notaient-ils. On remarquera que certaines de leurs constatations rejoignent celles formulées par des personnalités dont les orientations politiques sont très éloignées des leurs. Le compte X « Femme médecin » ouvertement favorable à Eric Zemmour répond ainsi à propos des médecins étrangers que l’on veut attirer en France : « On a empêché une génération de Français d’être médecins ! Ceux issus de l’immigration sont moins payés comme dans le bâtiment et la restauration ! Vous appelez ça de l’humanisme ».
Tant cette contestation du Pr Grimaldi et de ses confrères que certaines analyses plus à droite éclairent les ambiguïtés de cette loi (et peut-être l’absence de véritable cap sincère de ses auteurs – même si le consensus parlementaire qui l’a fait naître n’est pas étranger à ce résultat). Mais si l’on peut s’interroger en effet sur le pillage des professionnels qualifiés des pays pauvres et sur le cynisme (aveugle) des politiques d’immigration des pays riches, on ne peut parallèlement ignorer, que même mal payés, même constamment maltraités administrativement, les PADHUE sont très peu nombreux à refaire le chemin en arrière. L’émigration pour ces praticiens est en effet souvent le prix à payer pour réaliser leur rêve de soigner dans des conditions bien plus confortables et intéressantes médicalement que dans leur pays natal.
C’est ce que constatait Christelle Fifaten Hounsou dans un article publié en 2014 dans la revue Hommes et migrations. « Sensibles malgré tout au sort des populations de leur pays d’origine, ils s’investissent dans l’humanitaire tout en reconnaissant que si ces actions peuvent améliorer leur quotidien, elles sont loin de résoudre les problèmes de fond. Mais il est hors de question pour eux de retourner définitivement dans le pays d’origine car cela impliquerait d’abandonner la vie sociale et professionnelle qu’ils ont eu tant de mal à construire. Ils ne se voient pas faire un tel sacrifice pour un pays qui les a obligés à émigrer. (…) Chez les médecins originaires d’Afrique de l’Ouest exerçant en France (MoAO), la question du retour est marquée d’amertume. Elle renvoie aussi à une sorte de défiance de la société d’origine vis-à-vis du retour des migrants. Pour ceux restés au pays, la migration est une chance qu’eux n’ont pas eue. Ils ne comprennent pas que quelqu’un qui a émigré veuille revenir. Plus particulièrement, l’émigré qualifié sur le retour, lorsqu’il se porte candidat à un emploi, peut être accusé de vouloir accaparer les rares opportunités dont disposent les diplômés locaux. Un médecin rentré au Bénin précise : “Je suis revenu avec des rêves plein la tête. Je le regrette aujourd’hui. J’ai investi tout ce que j’avais dans cette clinique. Mais il n’y a aucun soutien de l’État. Au contraire, je n’ai eu que des problèmes d’autorisation, des contrôles de matériel… Ici, à part les avortements illégaux, on ne peut pas développer une vraie médecine. J’ai voulu prendre des étudiants pour les former mais ils ne pensent qu’à faire de l’argent. Ils utilisaient mes locaux et mon matériel pour développer leur clientèle parallèle“»relatait-elle.
Cette analyse et ce témoignage rappellent s’il en était besoin la complexité de ces trajectoires et par ricochet des réponses politiques. Mais en matière de santé et d’intégration des professionnels étrangers, on ne peut que s’inquiéter d’une ligne guidée par le court-termisme et une forme de cynisme plutôt que par l’anticipation et le souci d’humanité (en général).
On relira :
Mathias Wargon : https://x.com/wargonm/status/1737194042671132680?s=51&t=D_KG_3zX5j6MIwmUpvHQDg
André Grimaldi, Jean-Paul Vernant, Xavier Emmanuelli et Rony Brauman,
https://www.lejdd.fr/Societe/tribune-ne-privons-pas-lafrique-de-ses-medecins-4159431
Christelle Fifaten Hounsou, En quête du métier de médecin,https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.2887
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